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donne une règle aux hommes, qui doit juger | ment, que Dieu veut aussi leur salut? Il est

mort pour tous, j'en conviens: c'est-à-dire que sa mort les a tous rendus capables d'être lavés des souillures du péché originel, et d'as

leurs actions, et il les juge exactement par cette règle; il n'y déroge jamais. Par cette égalité constante il justifie bien sa parole, puisque la justice n'est autre chose que l'amour de l'éga-pirer au ciel qui leur étoit fermé; grace qu'ils lité; mais cette égalité qu'il met entre les hommes n'est point entre les hommes et lui. Peut-il y avoir de l'égalité dans une distance infinie des créatures au Créateur? cela se peut-il concevoir? Il se contredit, dites-vous, s'il est vrai qu'il nous donne une loi dont il nous écarte luimême. Non, il ne se contredit point, sa loi n'est point sa volonté; il nous a donné cette loi pour qu'elle jugeât nos actions; mais comme il ne veut pas nous rendre tous heureux, il ne veut pas non plus que tous suivent sa loi : rien de si facile à connoître.

Dieu n'est donc pas bon, direz-vous. Il est bon, puisqu'il donne à tant de créatures des graces qu'il ne leur doit point, et qu'il les sauve ainsi gratuitement. Il auroit plus de bonté, selon nos foibles idées, s'il vouloit nous sauver tous. Sans doute il le pourroit, puisqu'il est tout-puissant; mais puisqu'il le pourroit et qu'il ne le fait pas, il faut conclure qu'il ne le veut pas, et qu'il a raison de ne le pas vouloir. Il le veut, selon nous, me répondrez-vous; mais c'est nous qui lui résistons. O le puissant raisonnement! Quoi! celui qui peut tout, peut donc vouloir en vain; il manque donc quelque chose à sa puissance ou à sa volonté, car si l'une et l'autre étoient entières, qui pourroit leur résister? Sa volonté, dit-on, n'est que conditionnelle, c'est sous des conditions qu'il veut notre salut; mais quelle est cette volonté? Dieu peut tout, il sait tout; et il veut mon salut, que je ne ferai pas, qu'il sait que je ne ferai pas, et qu'il tient à lui d'opérer! Ainsi Dieu veut une chose qu'il sait qui n'arrivera pas, et qu'il pourroit faire arriver. Quelle étrange contradiction! Si un homme sachant que je veux me noyer, et pouvant m'en empêcher sans qu'il lui en coûte rien, et m'ôter même cette funeste volonté, me laissoit cependant mourir et suivre ma résolution, diroit-on qu'il veut me sauver, tandis qu'il me laisse périr? Tant de nations idolâtres que Dieu laisse dans l'erreur, et qu'il aveugle lui-même, comme le dit l'Écriture, prouventelles, par leur misère et par leur abandonne

n'avoient point avant. Mais de ce que tous sont rendus capables d'être sauvés, peut-on conclure que Dieu veut les sauver tous? Si vous le dites pour ne pas vous rendre, pour défendre votre opinion, voilà en effet une fuite; mais si si c'est pour nous persuader, y parviendrezvous par-là, et osez-vous l'espérer? Pensezvous qu'un Américain, d'un esprit simple et grossier, comme sont la plupart des hommes, qui ne connoît pas Jésus-Christ, à qui l'on n'en a jamais parlé, et qui meurt dans un culte impie, soutenu par l'exemple de ses ancêtres, et défendu par tous ses docteurs; pensez-vous, dis-je, que Dieu veuille aussi sauver cet homme, qu'il a si fort aveuglé? pensez-vous au moins qu'on le croie sur votre simple affirmation, et vous-même le croyez-vous?

Vous craignez, dites-vous, que ma doctrine ne tende à corrompre les hommes, et à les désespérer. Pourquoi donc cela, je vous prie? qu'ai-je dit à cet effet? J'enseigne, il est vrai, que les uns sont destinés à jouir, et les autres à souffrir toute l'éternité. C'est là la créance inviolable de tous ceux qui sont dans l'Église, et j'avoue que c'est un mystère que nous ne comprenons pas. Mais voici ce que nous savons avec la dernière évidence; voici ce que Dieu nous apprend. Ceux qui pratiqueront la loi sont destinés à jouir, ceux qui la transgresseront à souffrir; il n'en faut pas savoir davantage pour conduire ses actions et pour s'éloigner du mal. J'avoue que si cette notion ne se trouve pas suffisante, si elle ne nous entraîne pas, c'est qu'elle trouve en nous des obstacles plus forts; mais il faut convenir aussi que, bien loin de nous pervertir, rien n'est plus capable au contraire de nous convertir; et ceux qui s'abandonnent dans la vue de leur sujétion, agissent contre les lumières de la plus simple raison, quoique nécessairement.

Il ne faut donc pas dire que notre doctrine soit plus dangereuse que les autres : rien n'est moins vrai que cela; elle a l'avantage de concilier l'Écriture avec elle-même et vos propres

curités; mais elle n'établit point d'absurdités, elle ne se contredit pas. Cependant je sais le respect que l'on doit aux explications adoptées par l'Église; et si l'on peut me faire voir que les miennes leur sont contraires, ou même qu'elles s'en éloignent, quelque vraies qu'elles me paroissent, j'y renonce de tout mon cœur; sachant combien notre esprit, sur de semblables matières, est sujet à l'illusion, et que la vérité ne peut pas se trouver hors de l'Église catholique, et du pape qui en est le chef.

DISCOURS SUR LA LIBERTÉ.

contradictions. Il est vrai qu'elle laisse des obs- | losophes, d'accord sur ce point, s'en rapportent à l'expérience. Mais, disent les sages, puisque la réflexion est aussi capable de nous déterminer que le sentiment, opposons donc la raison aux passions lorsque les passions nous attaquent. Ils ne font pas attention que nous ne pouvons même avoir la volonté d'appeler à notre aide la raison, lorsque la passion nous conseille et nous préoccupe de son objet. Pour résister à la passion, il faudroit au moins vouloir lui résister. Mais la passion vous fera-t-elle naître le desir de combattre la passion, dans l'absence de la raison vaincue et dissipée? Le plus grand bien connu, dit-on, détermine nécessairement notre ame. Oui, s'il est senti tel et présent à notre esprit ; mais si le sentiment de ce prétendu bien est affoibli, ou que le souvenir de ses promesses sommeille dans le sein de la mémoire, le sentiment actuel et dominant l'emporte sans peine entre deux puissances rivales, la plus foible est nécessairement vaincue. Le plus grand bien connu parmi les hommes, c'est sans difficulté le paradis. Mais lorsqu'un homme amoureux se trouve vis-à-vis de sa maîtresse, ou l'idée de ce bien suprême ne se présente pas à son esprit, quoiqu'elle y soit empreinte, ou elle se présente si foiblement que le sentiment actuel et passionné d'un plaisir volage prévaut sur l'image effacée d'une éternité de bonheur; de sorte qu'à parler exactement, ce n'est pas le plus grand bien connu qui nous détermine, mais le bien dont le sentiment agit avec le plus de force sur notre ame, et dont l'idée nous est plus présente. Et de tout cela je conclus que nous ne faisons ordinairement que ce que nous voulons, mais que nous ne voulons jamais que ce que nos passions ou nos réflexions nous font vouloir; que par conséquent toutes nos fautes sont des erreurs de notre esprit ou de notre cœur. Nous nous figurons plaisamment que lorsque la passion nous porte à quelque mal, et que la raison nous en détourne, il y a encore en nous un tiers auquel il appartient de décider. Mais ce tiers, quel est-il? je le demande. Je ne connois dans l'homme que des sentiments et des pensées; quand les passions lui donnent un mauvais conseil, à qui aura-t-il recours? A sa raison? mais si la raison lui dit elle-même d'obéir cette fois à ses passions, qui

Notre vie ne seroit qu'une suite de caprices, si notre volonté se déterminoit d'elle-même et sans motifs. Nous n'avons point de volonté qui | ne soit produite par quelque réflexion ou par quelque passion. Lorsque je lève la main, c'est pour faire un essai de ma liberté, ou par quelque autre raison. Lorsqu'on me propose au jeu de choisir pair ou impair, pendant que les idées de l'un et de l'autre se succèdent dans mon esprit avec vitesse, mêlées d'espérance et de crainte, si je choisis pair, c'est parceque la nécessité de faire un choix s'offre à ma pensée au moment que pair y est présent. Qu'on propose tel exemple qu'on voudra, je démontrerai à un homme de bonne foi que nous n'avons aucune volonté qui ne soit précédée par quelque sentiment ou par quelque raisonnement qui la font naître. Il est vrai que la volonté a aussi le pouvoir d'exciter nos idées; mais il faut qu'ellemême soit déterminée auparavant par quelque cause. La volonté n'est jamais le premier principe de nos actions, elle est le dernier ressort; c'est l'aiguille qui marque les heures sur une pendule et qui la pousse à sonner. Ce qui dérobe à notre esprit le mobile de ses volontés, c'est la fuite précipitée de nos idées ou la complication des sentiments qui nous agitent. Lé motif qui nous fait agir a souvent disparu lorsque nous agissons, et nous n'en trouvons plus la trace. Tantôt la vérité et tantôt l'opinion nous déterminent, tantôt la passion ; et tous les phi

le sauvera de l'erreur? Y a-t-il dans son esprit | philosophes, de dire quelquefois obscurement un autre tribunal qui puisse infirmer les arrêts en un volume ce que la poésie et l'éloquence et les résolutions de celui-ci? Approfondissons peignent beaucoup mieux d'un seul trait.

davantage. Tout être créé dépend nécessairement des lois de sa création; l'homme est visiblement dans cette dépendance; ses actions pourroient-elles lui appartenir lorsque son être même ne lui est pas propre? Dieu même ne pourroit suspendre ses lois absolues sur notre ame, sans anéantir en elle toute action. Un être qui a tout reçu ne peut agir que par ce qui lui a été donné; et toute la puissance divine, qui est infinie, ne sauroit le rendre indépendant. Toutefois en suivant ces lois primitives dont je parle, nous suivons nos propres desirs. Ces lois sont l'essence de notre être, et ne sont point distinctes de nous-mêmes, puisque nous n'existons qu'en elles. Nous nommons liberté avec raison la puissance d'agir par elles, et nécessité la violence qu'elles souffrent des objets extérieurs, comme lorsque nous sommes en prison ou dans quelque autre dépendance involontaire. Ce qui fait illusion aux partisans du libre arbitre, c'est le sentiment qu'ils en trouvent dans leur conscience. Ce sentiment-là n'est point faux. Soit que nos passions ou nos réflexions nous déterminent, il est vrai que c'est nous qui nous déterminons; car il y auroit de la folie à distinguer nos sentiments ou nos pensées de nous-mêmes. Ainsi la liberté et la nécessité subsistent ensemble. Ainsi le raisonnement et l'expérience justifient la foi qui les admet. C'est ce que M. de Voltaire a parfaitement bien exprimé

dans ces beaux vers:

Sur un autel de fer, un livre inexplicable
Contient de l'avenir l'histoire irrévocable.
La main de l'Éternel y marqua nos desirs,
Et nos chagrins cruels, et nos foibles plaisirs.
On voit la Liberté, cette esclave si fière,
Par d'invincibles nœuds en ces lieux prisonnière.
Sous un joug inconnu, que rien ne peut briser,
Dieu sait l'assujettir, sans la tyranniser;
A ses suprêmes lois, d'autant mieux attachée
Que sa chaîne à ses yeux pour jamais est cachée;
Qu'en obéissant même elle agit par son choix,
Et souvent au destin pense donner des lois.

HENRIADE, chant VII, v. 285–96.

J'aimerois mieux avoir fait ces douze vers que le long chapitre de la puissance de M. Locke. C'est le propre des philosophes qui ne sont que

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On dit : Si tout est nécessaire, il n'y a plus de vice. Je réponds qu'une chose est bonne ou mauvaise en elle-même, et nullement parcequ'elle est nécessaire ou ne l'est pas. Qu'un homme soit malade parcequ'il le veut, ou qu'il soit malade sans le vouloir, cela ne revient-il pas au même? Celui qui s'est blessé lui-même à la chasse n'est-il pas aussi réellement blessé que celui qui a reçu à la guerre un coup de fusil? et celui qui est en délire pour avoir trop bu n'est-il pas aussi réellement fou, pendant quelques heures, que celui qui l'est devenu par maladie? Dira-t-on que Dieu n'est point parfait, parcequ'il est nécessairement parfait? Ne fautil pas dire, au contraire, qu'il est d'autant plus parfait, qu'il ne peut être imparfait? S'il n'étoit pas nécessairement parfait, il pourroit déchoir de sa perfection à laquelle il manqueroit un plus haut degré d'excellence, et qui dès lors ne mériteroit plus ce nom. Il en est de même du vice plus il est nécessaire, plus il est vice; rien n'est plus vicieux dans le monde que ce qui, par son fond, est incapable d'être bien. Mais, dira quelqu'un, si le vice est une maladie de notre ame, il ne faut donc pas traiter les vicieux autrement que des malades. Sans difficulté: rien n'est si juste, rien n'est plus humain. Il ne faut pas traiter un scélérat autrement qu'un malade; mais il faut le traiter comme un malade. Or, comment en use-t-on avec un malade? par exemple, avec un blessé qui a la gangrène dans le bras? si on peut sauver le bras sans risquer le corps, on sauve le bras; mais si on ne peut sauver le bras qu'au péril du corps, on le coupe, n'est-il pas vrai? Il faut donc en user de même avec un scélérat : si on

RÉPONSE AUX CONSÉQUENCES DE LA NÉCESSITÉ.

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peut l'épargner sans faire tort à la société dont | sa rigueur? Quoi de plus aimable que ses dons, il est membre, il faut l'épargner; mais si le salut ou de plus terrible que ses coups? Mais, pourde la société dépend de sa perte, il faut qu'il suivez-vous, malgré cela je ne puis m'empêcher meure: cela est dans l'ordre. Mais Dieu punira- d'excuser un homme que la nature seule a fait t-il aussi ce misérable dans l'autre monde, qui méchant. Eh bien! mon ami, excusez-le; poura été puni dans celui-ci, et qui n'a vécu d'ail- quoi vous défendre de la pitié? La nature a leurs que selon les lois de son être ? Cette ques- rempli le cœur des bons de l'horreur du vice; tion ne regarde pas les philosophes, c'est aux mais elle y a mis aussi la compassion pour temthéologiens à la décider. Ah! du moins, conti- pérer cette haine trop fière, et les rendre plus nue-t-on, en punissant le criminel qui nuit à la indulgents. Si la créance de la nécessité augsociété, vous ne direz pas que c'est un homme mente encore ces sentiments d'humanité, si elle foible et méprisable, un homme odieux. Et rappelle plus fortement les hommes à la clépourquoi ne le dirois-je pas? Ne dites-vous pas mence, quel plus beau système? O mortels, vous-même d'un homme qui manque d'esprit, tout est nécessaire le rien ne peut rien enque c'est un sot? et de celui qui n'a qu'un œil, gendrer; il faut donc que le premier principe ne dites-vous pas qu'il est borgne? Assurément, de toutes choses soit éternel; il faut que les ce n'est pas leur faute s'ils sont ainsi faits. Cela êtres créés, qui ne sont point éternels, tiennent est tout différent, répondez-vous : je dis d'un tout ce qui est en eux de l'Etre éternel qui les a homme qui manque d'esprit, que c'est un sot; faits. Or, s'il y avoit dans l'esprit de l'homme mais je ne le méprise point. Tant mieux; vous quelque chose de véritablement indépendant; faites fort bien: car si cet homme qui manque s'il y avoit, par exemple, une volonté qui ne d'esprit a l'ame grande, vous vous tromperiez en dépendît pas du sentiment et de la réflexion disant que c'est un homme méprisable; mais de qui la précèdent, il s'ensuivroit que cette vocelui qui manque en même temps d'esprit et de lonté seroit à elle-même son principe. Ainsi cœur, vous ne pouvez pas vous tromper en disant il faudroit dire qu'une chose qui a commencé qu'il est méprisable, parceque dire qu'un homme a pu se donner l'être avant que d'être ; il fauest méprisable, c'est dire qu'il manque d'esprit droit dire que cette volonté, qui hier n'étoit et de cœur. Or, on n'est point injuste quand on point, s'est pourtant donné l'existence qu'elle a ne pense en cela que ce qui est vrai et ce qu'il aujourd'hui : effet impossible et contradictoire. est très impossible de ne pas penser. A l'égard Ce que je dis de la volonté, il est aisé de l'apde ceux que la nature a favorisés des beautés pliquer à toute autre chose; il est, dis-je, aisé du génie ou de la vertu, il faudroit être bien de sentir que c'est une loi générale à laquelle peu raisonnable pour se défendre de les aimer, est soumise toute la nature. En un mot, je me par cette raison qu'ils tiennent tous ces biens de trompe fort, ou c'est une contradiction de dire la nature. Quelle absurdité! quoi, parceque qu'une chose est, et qu'elle n'est pas nécessaiM. de Voltaire est né poëte, j'estimerois moins rement. Ce principe est beau et fécond, et je ses poésies? parcequ'il est né humain, j'ho- crois qu'on en peut tirer les conséquences les norerois moins son humanité? parcequ'il est né plus lumineuses sur les matières les plus diffigrand et sociable, je n'aimerois pas tendre- ciles; mais le malheur veut que les philosophes ment toutes ses vertus? C'est parceque toutes ne fassent qu'entrevoir la vérité, et qu'il y en ces choses se trouvent en lui invinciblement, que ait peu de capables de la mettre dans un beau je l'en aime et l'en estime davantage; et comme il jour. ne dépend pas de lui de n'être pas le plus beau génie de son siècle, il ne dépend pas de moi de n'être pas le plus passionné de ses admirateurs La justice est le sentiment d'une ame amouet de ses amis. Il est bon nécessairement, je reuse de l'ordre, et qui se contente du sien. Elle l'aime de même. Qu'y a-t-il de beau et de grandest le fondement des sociétés; nulle vertu n'est que ce que la nature a fait ? Qu'y a-t-il de difforme et de foible que ce qu'elle a produit dans

Sur la justice.

plus utile au genre humain; nulle n'est consacrée à meilleur titre. Le potier ne doit rien à

l'argile qu'il a pétrie, dit saint Paul; Dieu ne | ports, une forme et des proportions, c'est-à

peut être injuste. Cela est visible; mais nous en concluons qu'il est donc juste, et nous nous étonnons qu'il juge tous les hommes par la même loi, quoiqu'il ne donne pas à tous la même grace; et quand on nous démontre que cette conduite est formellement opposée aux principes de l'équité, nous disons que la justice divine n'est point semblable à la justice humaine: qu'on définisse donc cette justice contraire à la nôtre. Il n'est pas raisonnable d'attacher deux idées différentes au même terme, pour lui donner tantôt un sens, tantôt un autre, selon nos besoins ; et il faudroit ôter toute équivoque sur une matière de cette importance.

Sur la providence.

Les inondations ou la sécheresse font périr Les inondations ou la sécheresse font périr les fruits; le froid excessif dépeuple la terre des animaux qui n'ont point d'abri; les maladies épidémiques ravagent en tous lieux l'espèce humaine et changent de vastes royaumes en déserts; les hommes se détruisent eux-mêmes par les guerres, et le foible est la proie du fort. Celui qui ne possède rien, s'il ne peut travailler, qu'il meure: c'est la loi du sort; il diminue et s'évanouit à la face du soleil, délaissé

de toute la terre. Les bêtes se dévorent aussi

entre elles : le loup, l'épervier, le faucon, si les animaux plus foibles leur échappent, périssent eux-mêmes; rivaux de la barbare cruauté des hommes, ils se partagent ses restes sanglants et ne vivent que de carnage. O terre! ô terre, tu n'es qu'un tombeau et un champ couvert de dépouilles; tu n'enfantes que pour la mort. Qui t'a donné l'être? Ton ame paroît endormie dans ses fers. Qui préside à tes mouvements? Te faut-il admirer dans ta constante et invariable imperfection? Ainsi s'exhale le chagrin d'un philosophe qui ne connoît que la raison et la nature sans révélation.

Sur l'économie de l'univers.

dire un ordre, et cet ordre subsistera tant qu'un agent supérieur s'abstiendra de le déranger. Il ne faut donc pas s'étonner que l'univers ait ses lois et une certaine économie. Je vous défie de concevoir un seul atome sans cet attribut. Mais, dit-on, ce qui vous étonne, ce n'est pas que l'univers ait un ordre immuable et nécessaire, mais c'est la beauté, la grandeur et la magnificence de son ordre. Foibles philosophes! entendez-vous bien ce que vous dites? Savez-vous que vous n'admirez que les choses qui passent vos forces ou vos connoissances? Savez-vous que si vous compreniez bien l'univers, et qu'il ne s'y rencontrât rien qui passât les limites de votre pouvoir, vous cesseriez aussitôt de l'admirer. C'est donc votre très grande petitesse qui fait un colosse de l'univers. C'est votre foiblesse infinie qui vous le représente dans votre poussière, animé d'un esprit si vaste, si puissant et si prodigieux. Cependant tout petits, tout bornés que vous êtes, vous ne laissez pas d'apercevoir de grands défauts dans cet infini, et il vous est impossible de justifier tous les maux moraux et physiques que vous y éprouvez. Vous dites que c'est la foiblesse de votre esprit qui vous empêche de voir l'utilité et la bienséance de ces désordres apparents. Mais pourquoi ne croyez-vous pas tout aussi bien que c'est cette mème foiblesse de vos lumières qui vous empêche de saisir le vice des beautés appal'univers a la meilleure forme possible, puisque rentes que vous admirez ? Vous répondez que Dieu l'a fait tel qu'il est. Cette solution est d'un

1 Mais pourquoi ne croyez-vous pas aussi bien que c'est cette méme foiblesse de vos lumières qui vous empeche de sentir le vice de ces beautés apparentes que vous admirez?

Cette idée paroit absolument fausse; car la beauté de l'ordre qui régit l'univers est dans l'univers même. Ce que nous admi rons, c'est que l'univers subsiste; car nous ne pouvons douter

qu'il subsiste. Qu'il puisse subsister autrement, mieux si l'on veut, à la bonne heure; il n'en est pas moins vrai qu'il subsiste. Je puis voir plus loin, mais il n'en est pas moins admirable que je voie. Je puis avoir un sens de plus, mes sens n'en sont pas moins une machine admirable. Ces résultats que je ne puis nier, sont ce que j'appelle les beautés de l'ordre de l'univers. Ces

Tout ce qui a l'être a un ordre, c'est-à-dire beautés ne peuvent donc être simplement apparentes, puisque une certaine manière d'exister qui lui est aussi essentielle que son être même pétrissez au hasard un morceau d'argile; en quelque état que vous le laissiez, cette argile aura des rap

nous n'en jugeons que par les résultats de cet ordre. Cet ordre ne peut avoir de vices cachés, puisque ces vices le contrarieroient et empêcheroient les résultats que nous admirons. Au lieu que ce que nous prenons pour des défauts peut conduire à des résultats que nous ne connoissons pas; car on peut croire à ce qu'on ignore, et non pas nier ce que l'on connoit. S.

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