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mandaient. Et ainsi, en nous quittant à la hâte: «J'en parlerai, dit-il, à nos Pères; ils y trouveront bien quelque réponse. Nous en avons ici de bien subtils. >> Nous l'entendîmes bien ; et quand je fus seul avec mon ami, je lui témoignai d'être étonné du renversement que cette doctrine apportait dans la morale. A quoi il me répondit qu'il était bien étonné de mon étonnement. «Ne savez-vous donc pas encore que leurs excès sont beaucoup plus grands dans la morale que dans les autres matières?» Il m'en donna d'étranges exemples, et remit le reste à une autre fois. 10 J'espère que ce que j'en apprendrai sera le sujet de notre premier entretien.

Je suis, etc.

TREIZIÈME LETTRE

Ecrite par l'auteur des lettres au provincial aux
RR. PP. Jésuites.

Mes révérends Pères,

Du 30 septembre 1656.

Je viens de voir votre dernier écrit,' où vous continuez 15 vos Impostures jusqu'à la vingtième, en déclarant que vous finissez par là cette sorte d'accusation, qui faisait votre première partie,3 pour en venir à la seconde, où vous devez prendre une nouvelle manière de vous défendre, en montrant qu'il y a bien d'autres casuistes que les vôtres qui sont 20 dans le relâchement aussi bien que vous. Je vois donc maintenant, mes Pères, à combien d'Impostures j'ai à répondre; et puisque la quatrième, où nous en sommes demeurés, est sur le sujet de l'homicide, il sera à propos, en y répondant, de satisfaire en même temps à la onzième, trei- 25 zième, quatorzième, quinzième, seizième, dix-septième et dix-huitième, qui sont sur le même sujet.

Je justifierai donc dans cette lettre la vérité de mes citations contre les faussetés que vous m'imposez. Mais parce que vous avez osé avancer dans vos écrits « que les sentiments de vos auteurs sur le meurtre sont conformes aux 5 décisions des papes et des lois ecclésiastiques, » vous m'obligerez à détruire dans ma lettre suivante une proposition si téméraire et si injurieuse à l'Église. I importe de faire voir qu'elle est exempte de vos corruptions, afin que les hérétiques ne puissent pas se prévaloir de vos égarements Io pour en tirer des conséquences qui la déshonorent. Et ainsi, en voyant d'une part vos pernicieuses maximes, et de l'autre les canons de l'Église qui les ont toujours condamnées, on trouvera tout ensemble, et ce qu'on doit éviter, et ce qu'on doit suivre.

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I

Votre quatrième Imposture est sur une maxime touchant le meurtre, que vous prétendez que j'ai faussement attribuée à Lessius. C'est celle-ci : « Celui qui a reçu un soufflet peut poursuivre à l'heure même son ennemi, et même à coups d'épée, non pas pour se venger, mais pour réparer son hon20 neur. >> Sur quoi vous dites que cette opinion-là est du casuiste Victoria.3 Et ce n'est pas encore là le sujet de la dispute; car il n'y a point de Victoria et de Lessius, puisque Lessius dit lui-même qu'elle est aussi de Navarre 4 et de votre P. Henriquez,5 qui enseignent «que celui qui a reçu un soufflet 25 peut à l'heure même poursuivre son homme, et lui donner autant de coups qu'il jugera nécessaire pour réparer son honneur. >> Il est donc seulement question de savoir si Lessius est du sentiment de ces auteurs, aussi bien que son confrère. Et c'est pourquoi vous ajoutez «que Lessius ne 30 rapporte cette opinion que pour la réfuter, et qu'ainsi je lui attribue un sentiment qu'il n'allègue que pour le combattre, qui est l'action du monde la plus lâche et plus honteuse à un

écrivain. » Or je soutiens, mes Pères, qu'il ne la rapporte que pour la suivre. C'est une question de fait qu'il sera bien facile de décider. Voyons donc comment vous prouvez ce que vous dites, et vous verrez ensuite comment je prouve ce que je dis.

Je deLessius 10

Mais

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Pour montrer que Lessius n'est pas de ce sentiment, vous dites qu'il en condamne la pratique. Et pour prouver cela vous rapportez un de ses passages (liv. II, chap. ix, n. 82), où il dit ces mots : «J'en condamne la pratique. » meure d'accord que, si on cherche ces paroles dans au nombre 82, où vous les citez, on les y trouvera. que dira-t-on, mes Pères, quand on verra en même temps qu'il traite en cet endroit d'une question toute différente de celle dont nous parlons, et que l'opinion, dont il dit en ce lieu-là qu'il en condamne la pratique, n'est en aucune 15 sorte celle dont il s'agit ici, mais une autre toute séparée? Cependant il ne faut, pour en être éclairci, qu'ouvrir le livre même où vous renvoyez. Car on y trouvera toute la

suite de son discours en cette manière :

Il traite la question : « savoir, si on peut tuer pour un 20 soufflet,» au nombre 79, et il la finit au nombre 80, sans qu'il y ait en tout cela un seul mot de condamnation. Cette question étant terminée, il en commence une nouvelle en l'article 81: «< savoir, si on peut tuer pour des médisances. » Et c'est sur celle-là qu'il dit, au nombre 82, ces paroles que 25 vous avez citées : « J'en condamne la pratique. »

N'est-ce donc pas une chose honteuse, mes Pères, que vous osiez produire ces paroles, pour faire croire que Lessius condamne l'opinion qu'on peut tuer pour un soufflet, et que n'en ayant rapporté en tout que cette seule preuve 30 vous triomphiez là-dessus, en disant, comme vous faites: << Plusieurs personnes d'honneur dans Paris ont déjà re

connu cette fausseté par la lecture de Lessius, et ont appris par là quelle créance on doit avoir à ce calomniateur? » Quoi! mes Pères, est-ce ainsi que vous abusez de la créance que ces personnes d'honneur ont en vous? Pour 5 leur faire entendre que Lessius n'est pas d'un sentiment, vous leur ouvrez son livre en un endroit où il en condamne un autre. Et comme ces personnes n'entrent pas en défiance de votre bonne foi, et ne pensent pas à examiner s'il s'agit en ce lieu-là de la question contestée, vous trompez 10 ainsi leur crédulité. Je m'assure, mes Pères, que pour vous garantir d'un si honteux mensonge vous avez eu recours à votre doctrine des équivoques, et que lisant ce passage tout haut vous disiez tout bas qu'il s'y agissait d'une autre matière. Mais je ne sais si cette raison, qui suffit bien 15 pour satisfaire votre conscience, suffira pour satisfaire la juste plainte que vous feront ces gens d'honneur, quand ils verront que vous les avez joués de cette sorte.

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Empêchez-les donc bien, mes Pères, de voir mes lettres, puisque c'est le seul moyen qui vous reste pour conserver 20 encore quelque temps votre crédit. Je n'en use pas ainsi des vôtres. J'en envoie à tous mes amis. Je souhaite que tout le monde les voie. Et je crois que nous avons tous raison. Car enfin, après avoir publié cette quatrième Imposture avec tant d'éclat, vous voilà décriés si on vient à 25 savoir que vous y avez supposé un passage pour un autre. On jugera facilement que si vous eussiez trouvé ce que vous demandiez au lieu même où Lessius traite cette matière, vous ne l'eussiez pas été chercher ailleurs, et que vous n'y avez eu recours que parce que vous n'y voyiez rien qui fût 30 favorable à votre dessein. Vous vouliez faire trouver dans Lessius ce que vous dites dans votre Imposture, page 10, ligne 12: «qu'il n'accorde pas que cette opinion soit pro

bable dans la spéculation; » et Lessius dit expressément en sa conclusion (n. 80): «Cette opinion, qu'on peut tuer pour un soufflet reçu, est probable dans la spéculation.» N'est-ce pas là, mot à mot, le contraire de votre discours? Et qui peut assez admirer avec quelle hardiesse vous pro- 5 duisez en propres termes le contraire d'une vérité de fait? De sorte qu'au lieu que vous concluiez de votre passage supposé que Lessius n'était pas de ce sentiment, il se conclut fort bien de son véritable passage qu'il est de ce même sentiment.

ΙΟ

Vous vouliez encore faire dire à Lessius « qu'il en condamne la pratique. » Et comme je l'ai déjà dit, il ne se trouve pas une seule parole de condamnation en ce lieu-là ; mais il parle ainsi: «Il semble qu'on n'en doit pas facilement permettre la pratique: in praxi non videtur FACILE 15 PERMITTENDA. » Est-ce là, mes Pères, le langage d'un homme qui condamne une maxime? Diriez-vous qu'il ne faut pas permettre facilement, dans la pratique, les adultères ou les incestes? Ne doit-on pas conclure au contraire que, puisque Lessius ne dit autre chose, sinon que la pratique 20 n'en doit pas être facilement permise, son sentiment est que cette pratique peut être quelquefois permise, quoique rarement? Et comme s'il eût voulu apprendre à tout le monde quand on la doit permettre, et ôter aux personnes offensées les scrupules qui les pourraient troubler mal à pro- 25 pos, ne sachant en quelles occasions il leur est permis de tuer dans la pratique, il a eu soin de leur marquer ce qu'ils doivent éviter pour pratiquer cette doctrine en conscience. Écoutez-le, mes Pères. «Il semble, dit-il, qu'on ne doit pas le permettre facilement à cause du danger qu'il y a 30 qu'on n'agisse en cela par haine ou par vengeance, ou avec excès, ou que cela ne causât trop de meurtres. >> De sorte

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