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Noftre Hofte, cependant, s'adreffant à la Troupe : Que vous femble, a-t-il dit, du gouft de cette foupe? Sentez-vous le citron, dont on a mis le jus,

Avec des jaunes d'oeufs meflez dans du verjus? 65 Ma foy, vive Mignot, & tout ce qu'il apprefte! Les cheveux cependant me dreffoient à la tefte;

REMARQUES.

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acheva de le ruiner de réputation, en l'immolant fur le Théatre à la rifée publique, dans la Comédie des Femmes favantes fous le nom de Tricotin, qu'il changea dans la fuite en celui de Triffotin. CHARLES COTIN, Parifien, fut reçu à l'Académie Françoife en 1656. & mourut au mois de Janvier 1682. Il a fait plufieurs Ouvrages en vers & en profe.

L'Abbé Caffaigne, né & élevé à Nîmes, où fon Père êtoit Tréforier du Domaine, fut Garde de la Bibliothèque du Roi. Il fut reçu à l'Académie à l'âge de vingt-fept ans, & n'en avoit que quarante-fix quand mourut à faint Lazare. L'étude & le chagrin du trait fatirique, qui donne occafion à cette Remarque, lui avoient dérangé la tête. Entre autres ouvrages il a laiflé une Traduction eltunée des trois Livres de Oratore. E D. P. 1740.

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L'Abbé Cotin êtoit Aumônier du Roi. Nous avons de lui dif. férentes Poeftes, & quelques Ouvrages en Profe tels que la Paftorale facrée, & Salomon, ou la Politique Royale. C'eft la fatale néceflité de la rime qui lui a attiré les traits répandus dans les Satires de M. Despréaux. Un Hémiftiche lui manquqit,Vous voilà bien embarrassé, dit FURETIERE?

Que ne placés-vous là l'Abbé Cotin. ED. P. 1740.

VERS 63. Sentez-vous le citron, dont on a mis le jus, &c.] Ces fortes de foupes êtoient alors à la mode, & on les appelloit des Soupes de l'écu d'argent, C'êtoit l'enfeigne d'un Traiteur qui avoit inventé la manière de les faire.

VERS 65. Ma foy, vive Mignot, &c.] Jacques Mignot, Patiffier-Traiteur, Maître Queux de la Maifon du Roi, & Ecuyer de la bouche de la Reine, crut qu'il êtoit de fon honneur de ne pas fouffrir qu'on traitât d'empoifonneur, un Officier gel que lui. Il donna fa plainte à M. Deffita, Lieutenant-Criminel, contre l'Auteur des Satires; mais ni ce Magiftrat, ni M. de Riants, Procureur du Roi, ne voulurent recevoir cette plainte. Ils le renvoïèrent en difant que l'injure dont il fe plaignoit, n'êtoit qu'une plaifanterie, dont il devoit rire tout le premier. Mignot n'en fut que plus irrité. & pour fe vanger, en fe faifant juftice lui-même, il s'avifa d'un expédient tout nouveau. Il avoit la réputation de faire d'excellens Bifcuits, & tout Paris en envoïoit querir chez lui. Inftruit que l'Abbé Cotin avoit fait une Satire contre M, Defpréaux leur

Car Mignot, c'est tout dire, & dans le monde entier :
Jamais empoisonneur ne fceut mieux fon métier.
J'approuvois tout pourtant de la mine & du geste,
70 Penfant qu'au moins le vin dûft reparer le refte.
Pour m'en éclaircir donc, j'en demande. Et d'abord,
Un laquais effronté m'apporte un rouge bord,
D'un Auvernat fumeux, qui meflé de Lignage,
Se yendoit chez Crenet, pour vin de l'Hermitage;

REMARQUES.

ennemi commun, il la fit imprimer à fes dépens; & quand on venoit acheter des bifcuits, il les envelopoit dans la Feuille qui contenoit la Satire imprimée. Lorfque M. Defpréaux vouloit fe réjouir avec les amis, il envoïoit acheter des bifcuits chés Mignot, pour avoir la Satire de Cotin. Cependant la colère de Mignot s'appaifa, quand il vit que la Satire de M. Defpréaux, bien loin de le décrier, comme il le craignoit, l'avoit rendu extrèmement célèbre. En effet, depuis ce tems là tout le monde vouloit aller chés lui. Mignot gagna du bien dans fa profeffion, & il faifoit gloire d'avouer qu'il devoit fa fortune à M. Def préaux.

VERS 73. Auvernat Lignage. ] Deux fameux vins du

terroir d'Orléans. DE SP.

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L'Auvernat, ou Auvernas, eft un vin fort rouge & fumeux qui n'eft bon à boire que dans l'arrière-faifon. Il eft fait de raifins noirs qu'on appelle du même nom, parce que le plant en eft venu d'Auvergne. Le Lignage, eft un vin moins fort en couleur, qui eft fait avec toutes fortes de raifins. Les Cabaretiers mêlent ces deux fortes de vins pour faire leurs vins clairets & rofés de plufieurs couleurs.

VERS 74. Se vendoit chez Crenet.] Fameux Marchand de vin, logé à la Pomme de Pin. DESP.

Le Cabaret de la Pomme de Pin eft vis-à vis l'Eglife de la Magdelaine, près du Pont Notre Dame. Il êtoit déja renommé du tems de Regnier, qui en parle ainfi dans fa X. Satire:

Où maints Rubis balays tout rougissans de vin,
Montroient un hac itur à la Pomme de Pin.

Et même du tems de Rabelais,
qui dit; Puis cauponifons és Ta-
bernes méritoires de la Pomme de
Pin de Caflel, de la Magdeléne,
de la Mule. Pantagr. L. II.
ch. 6.

Crenet ne fit pas comme Mignot, car il ne fit que rire du mélange

de vins qu'on lui reprochoit dans cette Satire. Ce reproche n'êtoit pas auffi fans fondement, car M. du Brouffin avoit fait acheter à M. d'Herbaut, chés Crenet, un muid de vin de l'Hermitage, qu'on reconnut enfuite être de ce vin coupé & mélangé, ce qui

75 Et qui rouge & vermeil, mais fade & doucereux,
N'avoit rien qu'un gouft plat, & qu'un déboire affreux
A peine ay-je fenti cette liqueur traîtresse,
Que de ces vins meslez j'ai reconnu l'adresse.
Toutefois avec l'eau que j'y mets à foison,
80 J'efperois adoucir la force du poison.

Mais qui l'auroit pensé ? pour comble de difgrace,
Par le chaud qu'il faifoit nous n'avions point de glace
Point de glace, bon Dieu ! dans le fort de l'efté !
Au mois de Juin! Pour moi, j'eftois fi transporté
85 Que donnant de fureur tout le feftin au Diable,
Je me fuis veu vingt fois preft à quitter la table;
Et dûft-on m'appeller & fantafque & bouru,
J'allois fortir enfin : quand le rost a paru.

Sur un liévre flanqué de fix poulets étiques, 90 S'élevoient trois lapins, animaux domestiques,

REMARQUES.

mit le Brouffin dans une furieufe
colère contre Crenet, qu'il ne
menaçoit pas de moins que de
le perdre. C'eft à cet avanture
que l'Auteur fait allufion.

Ibid.
Pour vin de
Hermitage. Il croît fur un
côteau du Dauphiné près la ville
de Thain, fur le bord du Rhône,
vis-à-vis de Tournon. Un Her-
mitage donne fon nom au ter-
ritoire & au vin qu'on y re-
cueille.

CHANG. Vers 75. Et qui
rouge & vermeil ] Il y avoit : Et
qui rouge en couleur, dans les pre-
mières Editions.

YERS 83. Point de glace,

bon Dieu!] Dans le tems que cette Satire fut faite, l'ufage de la glace n'êtoit pas fi commun en France qu'il l'eft à préfent. Il n'y avoit que ceux qui fe piquoient de délicateffe & de rafinement, qui buffent à la glace. Ainfi la plainte, que fait ici le Perfonnage, qui parle, marque bien fon caractère.

VERS 88. -Quand le roft a paru. Lorfque l'Auteur tra vailloit à cette Satire, il demanda à M. du Brouffin, s'il falloit dire le Rôt, ou le Rôti. 11 répondit qu'on pouvoit dire l'un & l'autre, mais que Rot êtoit plus noble. Servir le Rot.

Qui dés leur tendre enfance élevez dans Paris,
Sentoient encor le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entailées,
Regnoit un long cordon d'aloüetes preffées,
95 Et fur les bords du plat, fix pigeons étalez
Prefentoient pour renfort leurs fqueletes brûlez.
A cofté de ce plat paroiffoient deux falades,
L'une de pourpier jaune, & l'autre d'herbes fades,
Dont l'huile de fort loin faififfoit l'odorat,

100 Et nageoit dans des flots de vinaigre rofat.
Tous mes Sots à l'inftant changeant de contenance,
Ont loüé du feftin la fuperbe ordonnance:

REMARQUES.

VERS 92. Sentoient encor le chou.] Une petite avanture domeftique a fourni à l'Auteur l'idée de ce vers & des deux précédens. Un foir il y avoit du monde à fouper chés M. Boileau fon Père. En entrant dans la falle à manger, on fentit une odeur femblable à celle de la foupe aux choux, dont tout le monde fut frappé; & l'on ne fut point d'où venoit cette odeur,iufqu'à ce que l'on eut fervi le rôt. On décou, vrit au fond du batin un Lapin nourri aux choux, qui êtoit caché fous le refte de la viande: car on la fervoit alors en pira. mide. On fit d'abord emporter ce Lapin; mais il avoit répanda par tout une odeur de chou, qui dura tout le reste du repas.

VERS 94. Regnoit un long cordon d'alouetes preffées. 1 Comme ce repas fe donnoit en êté, au mois de Juin, les Critiques ont prétendu qu'en ce tems-là on ne

mangeoit pas d'alouettes. C'eft Bourfaut, qui fait cette objection dans fa Satire des Satires; Comédie imprimée en 1669.

Notre Auteur répondoit, qu'il avoit eu raifon de faire fervir des Alouettes dans ce repas,parce que c'eft un repas donné par un homme d'un goût bizare & extravagant, qui cherche des mets extraordinaires : qu'ainfi, l'on peut préfumer qu'il a donné des Alouettes, quoique mauvaifes, dans une faifon où il n'eft pas impoffible d'en avoir, puifqu'il y en a en tout tems: les Aloüettes n'êtant pas des Oiseaux de paflage. L'Auteur auroit peutêtre changé cet endroit, fi fes ennemis ne s'êtoient pas fi fort applaudis de cette critique.

IMIT. Vers 96. Leurs fqueletes brûlex.] HORACE, dans fon récit d'un Feftin ridicule, applique aux Merles, ce que notre Auteur dit ici des Pigeons :

-Tum pectore adufto
Vidimus& Merulas poni. L. II. Sat. VIII. 90.

Tandis que mon Faquin, qui fe voioit priser, Avec un ris moqueur les prioit d'excuser. 105 Sur tout certain Hableur, à la gueule affamée, Qui vint à ce feftin, conduit par la fumée, Et qui s'eft dit Profés dans l'ordre des Côteaux, A fait en bien mangeant, l'éloge des morceaux.

REMARQUES.

VERS 105. Sur tout certain Hableur.] Celui dont le caractè. re eft fi vivement exprimé dans ces dix vers, s'appelloit B. D. L. Coufin iflu de Germain de nôtre Auteur. Il êtoit Neveu de M. de L. ... ... Grand Audiancier de France, qui lui avoit acheté une Charge de Préfident à la Cour des Monnoies: mais il diffipa tout fon bien; & fon Oncle l'aïant abandonné, il fut réduit à vivre chés fes amis. Il alloit fouvent chés M. Boileau le Greffier, Frère aîné de M. Defpréaux. Ce fut là que fe pafla entre ce même M. D. L.... & la Comteffe de Criffé, cette Scéne plaifante & vive,qui a êté décrite par M. Racine dans fes Plaideurs, fous les noms de Chica neau & la Comtesse de Pimbéche. La Comteffe de Criffé êtoit une Plaideufe de profeffion qui pafloit fa vie daus les procès, & qui diffipa de grands biens dans cette occupation ruïneufe. Le Parlement fatigué de fon obftination à plaider, lui défendit d'intenter aucun procès, fans l'avis par écrit de deux Avocats, que la Cour lui nomma. Cette interdiction de plaider la mit dans une fureur inconcevable. Après avoir fatigué de fon défefpoir les Juges, les Avocats, & fon Procureur; elle alla en

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core porter fes plaintes à M. Boileau le Greffier, chez qui fe trouva par hafard M. de L..... dont il s'agit. Cet homme qui vouloit fe rendre néceflaire par tout, s'avifa de donner des con feils à cette Plaideufe. Elle les écouta d'abord avec avidité ; mais par un mal - entendu qui furvint entre eux, elle crut qu'il vouloit l'infulter, & l'accabla d'injures. M. Defpréaux, qui êtoit préfent à cette Scéne, en fit le récit à M. Racine, qui l'accom. moda au Théatre, & l'inféra dans fes Plaideurs. Il n'a prefque fait que la rimer. La première fois que l'on joua cette Comédie on donna à l'Actrice, qui répréfentoit la Comteffe de Pimbeche un habit de couleur de Rofe féche, & un mafque fur l'oreille; ce qui êtoit l'ajustement ordinaire de la Comteffe de Criffe

VERS 107. Dans l'ordre des Coteaux. ] Ce nom fur donné à trois grands Seigneurs tenant ta ble, qui eftoient partagez fur l'eftime qu'on devoit faire des vins des Cofteaux des environs de Reims. Ils avoient chacun leurs partifans. DESP.

Je ne puis m'ôter de l'esprit (dit le P. BOUHOURS) qu'on n'entendra pas un jour l'Auteur des Satires, dans la defcription de fon Feftin

Sur tout certain Hableur & ca

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