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quelque chose de particulier, et nous avons pu lui donner le nom de complément essentiel ou de régime, tandis que l'autre sorte porte celui de complément accidentel, ou de simple complément.

Première question.

Le complément essentiel appelé régime, peut-il se subdiviser?

RÉPONSE. On a vu dans la première colonne des citations, que Rome est régime d'un verbe ou d'un adjectif actif; ce qui répond à l'accusatif des langues qui ont des cas.

Et dans la seconde, que Rome est le régime de à, de et dans.

On distinguera donc, si l'on veut, deux sortes de régimes, le régime du modificatif actif et le régime des invariables dits prépositions; car dans notre langue tous les régimes se rapportent à ces deux-là.

Deuxième question.

On ne pourrait donc pas dire que Rome, dans donne ton sang d Rome, et dans gens qui viennent de Rome, est le régime indirect de donne et de viennent.

RÉPONSE. On a voulu comparer des choses incomparables, le datif et l'ablatif des Latins, qui sont des mots revêtus de telle et de telle forme, avec des phrases. Parce qu'en notre phrase à Rome se rend par un mot, Romæ, celle de Rome par le mot Roma, les uns ont prétendu que à Rome, de Rome, sont des cas, c'est-à-dire que plusieurs mots ne sont qu'un mot, que plusieurs groupes de mots ne sont que formes d'un seul et même mot; doctrine qui n'a d'égale en absurdité que celle des verbes auxiliaires.

des

D'autres, feignant de reconnaître que nos substantifs n'ont point de cas, ont créé, pour remplacer ce nom, celui de régime direct et de régime indirect.

Régime est toujours pris dans un sens passif pour signifier le substantif qui est régi.

Ainsi Rome est régime de rendit, de servira, laissant, etc.; car c'est par eux qu'il est régi ou gouverné; c'est d'eux qu'il est dépendant. Dans donne ton sang à Rome, Rome est régi par à, il est sous sa dépendance immédiate; c'est donc de cet invariable qu'il est com

plément essentiel; il ne l'est ni directement ni indirectement du verbe donne (216).

Troisième question.

On a dit que Rome est régime d'ayant; il semble pourtant qu'il le soit d'echeté.

RÉPONSE. Dans le second hémistiche d César l'a vendue, la construction est:

a la (ou elle) vendue à César

La, substantif relatif, est évidemment le régime de a. Qu'est-ce qu'on a? Rome.

On a Rome vendue ou considérée comme vendue, et certes Rome n'est pas régime de vendue; elle est si peu régie, gouvernée par vendue, que c'est au contraire à cet adjectif qu'il fait la loi.

Si acheté est aussi un adjectif passif, il ne peut non plus rien régir, rien gouverner. Rome ne peut donc être régime d'acheté. Mais est-ce un adjectif passif, ou un motactif? Dans le livre que j'ai acheté, personne ne doute que acheté ne soit un adjectif passif, qui s'accorde avec le substantif LIVRE. Si dans le vers de Voltaire, ayant acheté Rome, ACHETÉ était un mot actif, un supin, un, que sais-je? il y aurait donc deux acheté différents du tout au tout, puisque l'un serait actif et l'autre passif. Au reste, cette question tient à la grande difficulté des adjectifs dits participes; c'est là qu'elle sera traitée à fond.

(216) Ce n'est pas Rome que tu donnes, c'est ton sang. Sang est donc le régime de donne, ROME ne l'est pas. Régime direct, non, mais régime indirect. - Et comment? D'abord pour qu'un mot soit régime indirect, il faut avant tout qu'il soit régime. Or, dans donne ton sang à Rome, Rome n'est sous la dépendance de donne ni d'une manière ni d'une autre ; ́il n'est, ni de' près ni de loin, sous son influence; car, encore une fois, ce n'est pas Rome qu'on doit donner. Il n'est donc point régime de DONNE, il n'en est donc pas le régime indirect, à moins qu'on ne veuille dire que le régime indirect est un régime qui n'est pas régime. N'est-il pas, au contraire, évident à tous les yeux que Rome est le régime de à, qu'il est sous sa loi, qu'il en est le régime?

PREMIÈRE SORTE DE RÉGIME.

Ne vous pressez donc nullement, e

Pour qu'on ne puisse pas abuser du Une traitresse voix bien souvent vous appèle; pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. a

Un maître nous insulte et nous nous prosternons! b

Et ce Roger, qui, d'un art délicat,
Mit sur la scène un galant avocat,
Homme d'honneur, et Duval-Alexandre,
S'il eût voulu conclure le marché,
Plus d'un auteur n'eût pas été faché
D'être acquéreur de sa maison à vendre. c
Tarquin n'a pu nous vaincre, il cherche à nous
tromper. d

Les consolations indiscrètes ne font qu'aigrir les grandes afflictions. f

Je vois venir l'Apelle de nos jours,
Notre grand peintre, enfin David lui-même. g

Sous le joug monastique asservi dès l'enfance,
L'habitant du Jura traînant son existence,
N'osait se délivrer, ni même se baunir.
Ses bras chargés de fers, tendus vers l'avenir,
Invoquaient, sans espoir, la liberté lointaine;
Tu vis son esclavage, il vit tomber sa chaîne. h

Dans tous ces exemples, nous n'avons noté que les régimes des modificatifs actifs, arrête, prosternons, etc. Les modificatifs sont toujours ou des verbes transitifs, ou des adjectifs actifs, dits participes présents. Aucune autre sorte de mots variables n'a dans notre langue la propriété de régir des substantifs.

Nous disons mots variables; car nous avons déjà vu et nous verrons plus amplement encore que plusieurs invariables, comme à, de, dans, etc., ont aussi cette propriété.

Le moraliste même a sa malignité:
Rappelons-nous, Pascal. Sa pieuse gaité

Des fils de Loyola se moquant sans scrupule,
Eternisa sur eux les traits du ridicule. i

Mes maximes sont belles

Pour qui sait les bien pratiquer.

Il faudra désormais que tu te les rappèles.
Croire peu, premier point.... k

Se rappeler, signifiant rappeler à soi, c'est-à-dire à sa mémoire, exige après lui un complément; et c'est nécessairement quelqu'un ou quelque chose qu'on se rappèle. Il faut donc éviter avec soin de dire: je m'en rappèle, ou je me rappèle de cela. C'est une faute de donner à des verbes un régime que l'usage leur refuse. Il ne faut done pas imiter La Rochefoucauld, lorsqu'il dit :

« Elles ne laissent pas d'opiniâtrer | Car quoiqu'on dise s'opiniâtrer, on ne » leurs pleurs, leurs plaintes, leurs dit pas opiniâtrer quelque chose. >> soupirs. >>

a MONTESQ. Espr. des Lois. 2. b F. DR NEUY. 1.3, Fab. 15. C ANDRIEUX. Matinée d'un

Amateur

d VOLT. Brut. 1, 1.
e LA F. 1. 8.

fJ.J. R. Héloïse. 1. 2.

g ANDRIEUX. Mat d'un Amat.

h CHENIER. Epit. à Volt.

i Jonez. Epit. à Palissot.
k FR. DE NEUF. 1. 3, Fab.3.

/ LAROCHEF. Max. 240.

Ellipse du modificatif, cause du régime.

J'ai choisi saint Denis, comme vous saint André.

a

On le fit prisonnier, lui, ses deux amis et la dame. b

J'aime mieux qu'il aille respirer le

C'est-à-dire comme vous AVEZ choisi saint André.

C'est-à-dire on fit lui prisonnier, on fit ses deux amis prisonniers, on fit la dame prisonnière.

C'est-à-dire que si elle va respirer le

bon air de la campagne, qu'elle le mau-mauvais air de la ville.

vais air de la ville. c

Puisque vous n'êtes point en des liens si doux

C'est-à-dire comme moi je TROUVE

Pour trouver tout en moi comme moi tout en vous. d tout en vous.

Les auteurs sont pleins de cette sorte d'ellipses. La cause est facile à trouver lorsqu'on voit l'effet, et que cette cause a déjà été énoncée.

Quelquefois l'adjectif ou le verbe causatif est sous-entendu sans avoir eté précédemment exprimé.

Ellipse du régime et de la cause.

César envoya-t-il un cartel à Caton, C'est-à-dire, Pompée envoya-t-il un ou Pompée à César, pour tant d'affronts cartel à César, etc.

réciproques? e

Ellipse du régime seul.

Quoi vous les livreriez à ce juge implacable,
Qui force l'innocent à s'avouer coupable,
Quis dit convaincu dès qu'il peut soupçonner,
Et commence à punir avant de condamner? f
La torture interroge et la douleur répond. g

L'hypocrite ose-t-il affronter le trépas?

Il ment, trompe, séduit; mais, sire, il ne meurt pas. h

Le seul pouvoir qui crée, a le droit de détruire. &

Il est impossible de soupçonner, de punir, de condamner, d'interroger, etc., sans soupçonner, punir, condamner, interroger quelqu'un ou quelque chose. Ces verbes doivent avoir essentiellement un régime qui, s'il n'est exprimé, est nécessairement sous-entendu.

Il n'est presque point de verbe que les habiles écrivains ne sachent employer avec cette ellipse. Toutes les règles sur ce point seraient inutiles; il faut lire et relire les maîtres du langage; eux seuls peuvent former le goût.

a VOLT. Gertrude.

b Id. L'Ingénu.

e J. J. B. Emil...

d MoL. Misanthr. 5, 7.
e J.J. R. Noue. Hél. 1, 357.
fRAINOUARD. Templ. 4, 5.

g RAYNOUAND. Templ. 4, 5.
h Id.
i Id.

3.

Prétendus régimes du verbe.

On leur a dit: voulez-vous de l'eau ? Toujours libre sans lui, sans sujets et sans maître,

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Dans ces phrases eau, effets, sens, loisir, moyens, sont régimes de la préposition de. Ils sont sous son influence immédiate; ils sont donc le régime de cette préposition, et non pas celui des verbes voulez, voit, donne, etc. avec lesquels ils n'ont point de contact. Comment a-t-on pu croire que ces substantifs précédés de de, mot emprunté aux Latins qui le font toujours suivre de l'ablatif, soient le régime d'un verbe, et même le régime direct, le régime qui répond à l'accusatif des Latins (217)?

Quel est donc, dans ces phrases et autres semblables, le régime du verbe? C'est un substantif sous-entendu, tel que partie, quantité, etc.

Voulez-vous de l'eau? c'est-à-dire voulez-vous une partie ou une quantité d'eau? On voit de grands effets, c'est-à-dire on voit quantité de grands effets.

(217) Nous disons avec deux sens bien différents : voulez-vous de l'eau? voulez-vous l'eau? Donnez-moi du pain, donnez-moi le pain. Ici la langue latine, qui ne peint souvent qu'à grands traits, négligeant les nuances, traduit nos deux phrases par une seule, da mihi panem. Mais peut-on conclure de là que du pain signifie le pain, c'est-à-dire que la partie et le tout soient la même chose? Si les Latins voulaient traduire fidèlement donne-moi du pain, ils diraient da mihi de pane, et comme nous ils feraient comprendre qu'ils veulent, non pas tout le pain, mais une partie de cette substance.

a LA BRUT. 6.

FRANC DE NEUrça, 1. 8,
Fab, 17-

e FRANC. DT NEUFCH. I. 10,
Fab. 2.
d VOLT, OEd, 214.

e VOLT. OEd. 2, 4.

f Id. Homme aux 40 écus.
g ETIENNE. Les a Gendr. 229-

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