Page images
PDF
EPUB

cette ville s'étoient crûs intéreflez à la conferver, & étoient accourus pour la fecourir. Ils firent paroitre dans cette défenfe plus de prudence que de courage: mais la prudence humaine eft auffi inutile que le courage le plus héroïque, contre des Armées pour lesquelles l'Arbitre des évenemens fe déclare. Les habitans de Jérico bornérent leur bonheur & leur gloire à fe mettre à couvert des coups de leurs ennemis, & n'oférent pas même tenter de les attaquer. Au lieu de fe retrancher fur les rives du Jourdain, & d'en garder les paffages, ils fe couvri rent de leurs rainparts, ils fe retirérent dans Jérico, dont ils fermérent les portes, que la Parafrafe Chaldaïque dit avoir été de fer & d'airain. On ne doit pas alléguer cette retraite comme une difficulté contre la vérité de l'Hiftoire Ste. Elle étoit l'accompliffement des promeffes que Dieu avoit faites à Jofué, & une fuite de cette frayeur que Rahab avoit dépeinte aux deux Jofué II. Efpions: Nous avons entendu, leur avoit elle 10.11. dit, que P'Eternel a tari les eaux de la Mer Rouge devant vous quand vous étes fortis d'Egypte, & ce que vous avez fait aux deux Rois des Amorrhéens qui étoient au delà du Jourdain, à Sihon & à Hog, que vous avez détruits à la façon de l'interdit, & notre cœur s'eft fondu, & depuis ce temps-la perfonne de nous n'a eu du courage, car PEternel votre Dien eft le Dieu du Ciel & de la Terre. Qu'on ne demande donc pas pourquoi les Cananéens ne bordérent pas le Jourdain avec une Armée formidable; pourquoi ils ne difputérent pas le paffage de ce fleuve; pourquoi ils permirent que les Ifraelites aprochaffent des murs de Jérico? Si ces objections ont quelque couleur,

[ocr errors]

on

on peut les réfoudre fans peine, & en voici la réponse & la folution: Notre cœur s'eft fondu : perfonne n'a eu de courage. Mais d'où venoit ce défaut de courage? D'où vient que ces cœurs Le fondoient de cette maniére? En voici la raison, & jamais on n'en pouvoit avoir de plus folide: jamais terreur ne fut mieux fondée que celle de ce Peuple: Nous avons entendu que PEternel a tari les eaux de la Mer Rouge devant vous: nous avons entendu ce que vous avez fait aux deux Rois des Amorrhéens, & nous avons reconnu que PEternel eft le Dieu du Ciel & de la Terre.

L'évenement juftifia bientôt cette crainte. Dieu déclare à Jofué que les Ifraëlites alloient forcer les foibles obftacles que leur opofoient les habitans de Jérico. La maniére, dont il lui parla dans cette occafion, eft toute remplie de Majefté, & exprime avec une admirable éner gie le pouvoir du Dieu Souverain: Regarde, ditil à ce Général, je t'ai livré Férico, fon Roi & Jofue fes vaillans hommes.

VI.2.

avec 5.

Il lui prefcrivit enfuite les finguliéres démarches qu'il devoit faire pour fe rendre maitre de la ville. Il ordonna que toute l'Armée & tout le peuple en fiffent le tour pendant fix jours: Conferez que les Sacrificateurs fuffent à la tête de cette verf. 3. expédition: que quatre d'entre eux portaffent l'Arche, & que fept autres cuffent des cors de bélier De cors de bélier, c'eft ainfi que quelques Verfions traduifent le terme de l'Original? mais ceux qui font experts à mettre en œuvre la corne de bélier, doivent être admis à faire ici une objection aux Savans. Ils disent que cette matiére n'eft pas propre à l'ufage, auquel étoient deftinez les inftrumens dont il eft icí D 4500

ques

queftion. 53 Mafius à cédé à cette objection il dérive le mot de Jobel, c'eft celui qu'on a traduit cor de bélier, non d'un mot Arabe qui fignifie bélier mais de Jubal, qui eft le nom du premier Inventeur des inftrumens de Mufique. Il eft vrai que cette critique n'eft pas favorable à la penfée de quelques fpéculatifs qui ont trouvé de grands myftéres dans les prétendus cors de bélier. 54 Les Juifs difent qu'on les fefoit retentir le jour des grandes Fêtes, en particulier dans celle du Jubilé en mémoire de la délivrance d'Ifaac, qui alloit périr fous le couteau d'Abraham fon pére, fi un bélier n'avoit été fubftitué à fa place. ss Quelques Chrêtiens font entrez bien plus avant encore dans ce fens myftique que les Juifs leur avoient ouvert : au lieu de s'arrêter au bélier qui fut immolé à la place d'Ifaac, ils ont porté leur penfée fur la victime, dont laac n'étoit qu'un Type groffier. Ce n'eft pas la premiére fois qu'une remarque de critique a fait évanouir des idées Théologiques. Mais une question ausfi ftérile que celle qu'on agite fur l'origine du mot Jobel, ne mérite pas de faire diverfion au fpectacle inoui de la prise de Jérico.

[ocr errors]

Le tour de la ville devoit fe faire durant fix jours. Tous les Ifraelites avoient ordre de garder un profond filence pendant cette mystérieufe marche, & de n'élever la voix que lorsqu'ils en recevroient un commandement exprès de Jofué. C'étoit afin qu'ils méditaffent avec un profond recueillement les merveilles, que Dieu fe

53. MASIUS fur Jofué VI. 4. dans le II. vol. des gr. Critiques pag. 1560.

54. Voi. HOUTINGIUS in Mischna tom. II. tit. Besch haschenah pag. 344. voi. diverses speculations des

4.5

tefoit en faveur de fon Peuple. Le filence eft
quelquefois repréfenté dans l'Ecriture comme
la difpofition d'une Ame concentrée en elle-
même, & qui fixe toutes les penfées fur un fu-
jet. C'eft
C'est le feps de ces paroles du Pfalmifte:
O Dieu la louange

vaux t'y feront attend en filence dans Sion, des

Pfeaume

rendus. On ne devoit entendre LXV. 2. autour de Jérico, pendant les fix jours marquez, que les cors portez par les Sacrificateurs. Les Ifraelites, en entendant le fon que feroient retentir ces Miniftres des chofes facrées, étoient appellez à porter leur penfée fur le Dieu de la Religion, qui avoit feul la puiflance d'opérer un Miracle comme celui dont ils alloient être les témoins.

Les ordres donnez par Jofué furent ponctuellement exécutez. On fit le tour de Jérico: on porta l'Arche autour de cette ville; les Sacrificateurs fonnérent du cor pendant fix jours. Quand le feptiéme jour fut arrivé, on eut ordre de faire fept tours au lieu d'un, mais avec les mêmes cérémonies que le jour précedent; & Jofue dit au Peuple Jettez des cris de réjouiffance,car l'Eternel vous a donné la ville. Qu'il étoit doux d'obéir à cet ordre, & de faire l'expérience de cette vérité, que le Prophéte exprima dans fes Cantiques plufieurs fiécles après Jofué! O que bienheureux eft le peuple, qui fait Pleaume ce qu'est le cri de réjouifance! Cette voix, ou LXXXIX. plûtôt la toute puiffance divine, dont elle fut 16. accompagnée, fit crouler les murs de Jérico.

C'eft

Rabbins dans ce même titre de la Mischna, ibid. cap. 3.

fect. 2. 3. 4. 5. 6. pag. 340. &c.

55. Voi, MASIus ubi fupra.

[ocr errors]

C'est augmenter ce miracle fans néceffité que d'avancer comme l'ont fait quelques Juifs, non feulement que les murs de Jérico tombé rent, mais que la terre les engloutit. C'eft le diminuer auffi, comme l'a fait un 57 Rabin, que de l'attribuer à des caufes Phyfiques, comme fi le fon des cors, & les cris du peuple, avoient pû produire ce grand évenement.

Je ne fuis pas furpris que cette pensée foit montée dans l'efprit des Juifs, mais qu'elle ait été foutenue avec gravité par des Théologiens, & par des Philofophes Chrêtiens, c'est ce qu'on ne peut voir fans étonnement. C'est pourtant ce qu'ont fait deux hommes, dont la pénétration & le génie ne font pas communs. Le premier c'eft les pére Merfene, dans fes Commentaires fur la Genéfe. Le fecond c'eft s9 Daniel Géorge Morhofius, dans un Traité intitulé, de Scypho vitreo per certum humana vocis fonum fracto. Heft vrai qu'ils ont moins deffein l'un & l'autre de prouver la vérité, que la poffibilité de ce Phénoméne : ils prétendent qu'il eft poffible, & ils fe fondent fur des raifons Philofophiques & fur des faits. Voici les raifons que la Philofophie leur fournit.

1. Le fon eft plus propre à brifer des corps durs & fecs, que le vent le plus violent. Le vent ne pouffe qu'un air groffier, qui agite les parties extérieures des corps, contre lefquelles

il

56. C'eft l'idée que reveillent ces paroles de la Para

dans la ויתבלע תחותה .phrafe Chaldaique fur Jofué VI

Polyglotte Tom. II. pag. 16...

57. Voi. Geor. MORHOFIUS de fcypho vitreo, &c. pag. 14. pag. 192.

58. MERSENNE Commentar, in Gonef. IV. 21. pag.

« PreviousContinue »