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l'air appartient à l'homme, et l'homme à l'air; et rien n'est à soi, ni à part.

CCII.

O soleil! ô cieux! qu'êtes-vous? Nous avons surpris le secret et l'ordre de vos mouvements. Dans la main de l'Étre des êtres, instruments aveugles et ressorts peut-être insensibles, le monde sur qui vous régnez mériteroit-il nos hommages? Les révolutions des empires, la diverse face des temps, les nations qui ont dominé, et les hommes qui ont fait la destinée de ces nations mêmes, les principales opinions et les coutumes qui ont partagé la créance des peuples dans la religion, les arts, la morale et les sciences, tout cela, que peut-il paroître ? Un

Nous méprisons beaucoup de choses pour ne atome presque invisible, qu'on appelle l'homme, pas nous mépriser nous-mêmes.

CXCVII.

Notre dégoût n'est point un défaut et une insuffisance des objets extérieurs, comme nous aimons à le croire, mais un épuisement de nos propres organes et un témoignage de notre foiblesse.

CXCVIII.

Le feu, l'air, l'esprit, la lumière, tout vit par l'action. De là la communication et l'alliance de tous les êtres; de là l'unité et l'harmonie dans l'univers. Cependant cette loi de la nature si féconde, nous trouvons que c'est un vice dans l'homme; et parcequ'il est obligé d'y obéir, ne pouvant subsister dans le repos, nous concluons qu'il est hors de sa place.

CXCIX.

L'homme ne se propose le repos que pour s'affranchir de la sujétion et du travail; mais il ne peut jouir que par l'action, et n'aime qu'elle.

CC.

qui rampe sur la face de la terre, et qui ne dure qu'un jour, embrasse en quelque sorte d'un coup d'œil le spectacle de l'univers dans tous les âges.

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Dieu par la dépendance mutuelle des différentes parties de l'univers, dont aucune ne peut s'isoler des autres ni subsister par

elle-même. On n'entend pas ce que veut dire l'air appartient à l'homme, et l'homme à l'air. L'homme ne peut se passer d'air; mais l'air existeroit fort bien sans l'homme. Appartient veut-il dire participe de la nature, etc.? Alors l'idée d'appar

Le fruit du travail est le plus doux des tenir n'a plus de liaison sensible avec l'idée de dépendance explaisirs.

CCI.

primée dans la première phrase. Il y a, je crois, abus de mots. S Quand on a beaucoup de lumières, etc. La liaison n'est pas assez marquée entre la première partie de cette maxime et la seconde; ce qui fait qu'au premier aspect elles paroissent se

Où tout est dépendant, il y a un maître contredire, quoiqu'elles ne se contredisent pas en effet : parce

où tout est dépendant, etc. Cette maxime paroît obscure. 11 semble que Vauvenargues a voulu prouver l'existence de

que la première partie offre une maxime absolue et générale, la seconde une réflexion applicable seulement à quelques occa

sions. S.

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justes. Mais s'il conclut mal, je présume qu'il distingue mal les objets, ou qu'il n'aperçoit pas d'un seul coup d'oeil tout leur ensemble, et qu'enfin quelque chose manque à l'étendue ou à la profondeur de son esprit.

CCXII.

On discerne aisément la vraie de la fausse étendue d'esprit : car l'une agrandit ses sujets, et l'autre, par l'abus des épisodes et par le faste de l'érudition, les anéantit.

ССХІІІ.

Quelques exemples rapportés en peu de mots et à leur place donnent plus d'éclat, plus de poids et plus d'autorité aux réflexions; mais trop d'exemples et trop de détails énervent toujours un discours. Les digressions trop longues lassent les lecteurs sensés, qui ne veulent pas ou trop fréquentes rompent l'unité du sujet, et qu'on les détourne de l'objet principal, et qui d'ailleurs ne peuvent suivre, sans beaucoup de peine, une trop longue chaîne de faits et de preuves. On ne sauroit trop rapprocher les choses, ni trop tôt conclure. Il faut saisir d'un coup d'œil la véritable preuve de son discours, et courir à la conclusion. Un esprit perçant fuit les épisodes, et laisse aux écrivains médiocres le soin de s'arrêter à cueillir les fleurs qui se trouvent sur leur chemin. C'est à eux d'amuser le peuple, qui lit sans objet, sans pénétration et sans goût.

CCXIV.

Le sot qui a beaucoup de mémoire est plein de pensées et de faits; mais il ne sait pas en conclure: tout tient à cela.

CCXV.

Savoir bien rapprocher les choses, voilà l'esprit juste. Le don de rapprocher beaucoup de choses et de grandes choses fait les esprits vastes. Ainsi la justesse paroît être le premier degré, et une condition très nécessaire de la vraie étendue d'esprit.

CCXVI.

Un homme qui digère mal, et qui est vorace,

est peut-être une image assez fidèle du caractère | la nature. L'homme est maintenant en disgrace d'esprit de la plupart des savants.

CCXVII.

Je n'approuve point la maxime qui veut qu'un honnête homme sache un peu de tout. C'est savoir presque toujours inutilement, et quelquefois pernicieusement, que de savoir superficiellement et sans principes. Il est vrai que la plupart des hommes ne sont guère capables de connoître profondément; mais il est vrai aussi que cette science superficielle qu'ils recherchent ne sert qu'à contenter leur vanité. Elle nuit à ceux qui possèdent un vrai génie : car elle les détourne nécessairement de leur objet principal, consume leur application dans les détails, et sur des objets étrangers à leurs besoins et à leurs talents naturels et enfin elle ne sert point, comme ils s'en flattent, à prouver l'étendue de leur esprit. De tout temps on a vu des hommes qui savoient beaucoup avec un esprit très médiocre; et au contraire, des esprits très vastes qui savoient fort peu. Ni l'ignorance n'est défaut d'esprit, ni le savoir n'est preuve de génie.

CCXVIII.

La vérité échappe au jugement, comme les faits échappent à la mémoire. Les diverses faces des choses s'emparent tour-à-tour d'un esprit vif, et lui font quitter et reprendre successivement les mêmes opinions. Le goût n'est pas moins inconstant: il s'use sur les choses les plus agréables, et varie comme notre humeur.

CCXIX.

Il y a peut-être autant de vérités parmi les hommes que d'erreurs; autant de bonnes qualités que de mauvaises; autant de plaisirs que de peines mais nous aimons à contrôler la nature humaine, pour essayer de nous élever au-dessus de notre espèce, et pour nous enrichir de la considération dont nous tâchons de la dépouiller. Nous sommes si présomptueux, que nous croyons pouvoir séparer notre intérêt personnel de celui de l'humanité, et médire du genre humain sans nous compromettre. Cette vanité ridicule a rempli les livres des philosophes d'invectives contre

chez tous ceux qui pensent, et c'est à qui le chargera de plus de vices. Mais peut-être est-il sur le point de se relever et de se faire restituer toutes ses vertus; car la philosophie a ses modes comme les habits, la musique et l'architec

ture, etc. .

CCXX.

Sitôt qu'une opinion devient commune, il ne faut point d'autre raison pour obliger les hommes à l'abandonner et à embrasser son contraire, jusqu'à ce que celle-ci vieillisse à son tour, et qu'ils aient besoin de se distinguer par d'autres choses. Ainsi, s'ils atteignent le but dans quelque art ou dans quelque science, on doit s'attendre qu'ils le passeront pour acquérir une nouvelle gloire : et c'est ce qui fait en partie que les plus beaux siècles dégénèrent si promptement, et qu'à peine sortis de la barbarie ils s'y replongent.

CCXXI.

Les grands hommes, en apprenant aux foibles à réfléchir, les ont mis sur la route de l'erreur.

ССХХІІ.

Où il y a de la grandeur, nous la sentons malgré nous. La gloire des conquérants a toujours été combattue; les peuples en ont toujours souffert, et ils l'ont toujours respectée.

CCXXIII.

Le contemplateur, mollement couché dans une chambre tapissée, invective contre le soldat qui passe les nuits de l'hiver au bord d'un fleuve, et veille en silence sous les armes pour la sûreté de sa patrie.

CCXXIV.

Ce n'est pas à porter la faim et la misère chez les étrangers, qu'un héros attache la gloire, mais à les souffrir pour l'État : ce n'est pas à donner la mort, mais à la braver.

I VARIANTE. La philosophie a ses modes comme l'architecture, les habits, la danse, etc. L'homme est maintenant en disgrace chez les philosophes, et c'est à qui le chargera de plus de vices; mais peut-être est-il sur le point de se relever et de se faire restituer toutes ses vertus.

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Ceux qui n'ont que de l'esprit ont du goût les petites. pour les grandes choses, et de la passion pour

CCXXXVIII.

La plupart des hommes sont si resserrés dans la sphère de leur condition, qu'ils n'ont pas même le courage d'en sortir par leurs idées : et si on en voit quelques uns que la spéculation des grandes choses rend en quelque sorte incaLa plupart des hommes vieillissent dans un pables des petites, on en trouve encore davan-petit cercle d'idées qu'ils n'ont pas tirées de leur lage à qui la pratique des petites a ôté jusqu'au fonds; il y a peut-être moins d'esprits faux que sentiment des grandes.

CCXXXI.

de stériles.

cœur, d'inclination, à une action quelconque : c'est le com amore des Italiens. L'expression n'est peut-être pas bien exacte;

Les espérances les plus ridicules et les plus mais il est difficile de la remplacer. S. hardies ont été quelquefois la cause des succès extraordinaires.

CCXXXII.

Les sujets font leur cour avec bien plus de goût que les princes ne la reçoivent 1. Il est

1 Les sujets font leur cour avec bien plus de goût, etc. Goût veut dire ici le plaisir qu'on éprouve à satisfaire un penchant. Faire avec goût, dans ce sens, est se porter de

I VARIANTE. Les hommes sont si sensibles à la flatterie, que. lors même qu'ils pensent que c'est flatterie, ils ne laissent pas d'en être les dupes.

2 Il y a des hommes qui, sans y penser, etc. Comment se forme-t-on une idée de soi sans y penser? J'aimerois mieux sans s'en apercevoir. M.

3 VARIANTE. Nous nous formons, sans y penser *, une idée de notre figure sur l'idée que nous avons de notre esprit, ou sur le sentiment qui nous domine, et c'est pour cela qu'un fat se croit toujours si bien fait.

Sans y penser, etc. Cette négligence a déjà été observée. Il faut sans nous en apercevoir. M.

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Lorsque la fortune veut humilier les sages, elle les surprend dans ces petites occasions où l'on est ordinairement sans précaution et sans défense. Le plus habile homme du monde ne peut empêcher que de légères fautes n'entraî

1 VARIANTE. Le plus ou le moins d'esprit est peu de chose; mais ce peu, quelle différence ne met-il pas entre les hommes! Qu'est-ce qui fait la beauté ou la laideur, la santé ou l'infirmité? N'est-ce pas ou un peu plus ou un peu moins de bile, et quelque différence imperceptible des organes?

Ce que Vauvenargues dit ici des zélés, au no 546, il le dit des dévots. B.

CCLI.

La patience est l'art d'espérer.

CCLII.

Le désespoir comble non seulement notre misère, mais notre foiblesse.

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