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ces femmes qui épient les jeunes gens, Thieste souffre qu'elle l'entretienne, et marche quelque temps à côté d'elle; et comme elle se plaint de la nécessité qui détruit toutes les vertus, et fait les opprobres du monde, il lui dit que la pauvreté n'est point un vice quand on sait vivre de son industrie sans nuire à personne ; et ne se trouvant point d'argent parcequ'il est jeune, il lui donne sa montre qui n'est plus à la mode, et qui est un présent de sa mère; ses camarades se moquent de lui et le tournent en ridicule, mais il leur répond: Mes amis, vous riez de trop peu de chose. Le monde est rempli de misères qui serrent le cœur; il faut être humain; le désordre des malheureux est toujours le crime des riches.

foible des choses humaines, il voulut paroître | n'y pense point. S'il rencontre, la nuit, une de à son siècle comme un philosophe impartial qui n'obéissoit qu'aux lumières de la plus exacte raison. Sans chaleur et sans préjugés, les hommes sont faits de manière que si on leur parle avec autorité et avec passion, leurs passions et leur pente à croire les persuadent facilement; mais si au contraire on badine et qu'on leur propose des doutes, ils écoutent avidement, ne se défiant pas qu'un homme qui parle de sangfroid puisse se tromper : car peu savent que le raisonnement n'est pas moins trompeur que le sentiment, et d'ailleurs l'intérêt des foibles, qui composent le plus grand nombre, est que tout soit cru équivoque. Isocrate n'a donc eu qu'à lever l'étendard de la révolte contre l'autorité et les dogmatiques, pour faire aussitôt beaucoup de prosélytes. Il a comparé le génie de l'esprit ambitieux des héros de la Grèce à l'esprit de ses courtisanes; il a méprisé les beauxarts. L'éloquence, a-t-il dit, et la poésie sont peu de chose; et ces paradoxes brillants, il a su les insinuer avec beaucoup d'art, en badinant et sans paroître s'y intéresser. Qui n'eût cru qu'un pareil système n'eût fait un progrès pernicieux

dans un siècle si amoureux du raisonnement et du vice? Cependant la mode a son cours, et l'erreur périt avec elle. On a bientôt senti le foible d'un auteur qui, paroissant mépriser les plus grandes choses, ne méprisoit pas de dire des pointes, et n'avoit point de répugnance à se contredire pour ne pas perdre un trait d'esprit. Il a plu par la nouveauté et par la petite hardiesse de ses opinions, mais sa réputation précipitée a déja perdu tout son lustre ; il a survécu à sa gloire, et il sert à son siècle de preuve qu'il n'y a que la simplicité, la vérité et l'éloquence, c'est-à-dire toutes les choses qu'il a méprisées, qui puissent durer.

XII.

Thieste, ou la simplicité.

Thieste est né simple et naïf: il aime la pure vertu, mais il ne prend pas pour modèle la vertu d'un autre ; il connoît peu les règles de la probité, il la suit par tempérament. Lorsqu'il y a quelque loi de la morale qui ne s'accorde pas avec ses sentiments, il la laisse à part et

XIII.

Trasille, ou les gens à la mode.

flexions en sa présence, et que l'on eût la liTrasille n'a jamais souffert qu'on fît de réberté de parler juste. Il est vif, léger et railleur, samment de discours, ne se laisse ni manier, ni n'estime et n'épargne personne, change incesuser, ni approfondir, et fait plus de visites en un jour que Dumoulin ou qu'un homme qui sollicite pour un grand procès. Ses plaisanteries sont amères: il loue rarement. Il pousse l'insolence jusqu'à interrompre ceux qui sont assez vains pour le louer, les fixe et détourne la tête. Il est dur, avare, impérieux; il a de l'ambition Les femmes le courent, il les joue: il ne conpar arrogance, et quelque crédit par audace. noît pas l'amitié ; il est tel que le plaisir même ne peut l'attendrir un moment.

XIV.

Phocas, ou la fausse singularité.

Phocas se pique plus qu'homme du monde de n'emprunter de personne ses idées. Si vous lui parlez d'éloquence, ne lui nommez pas Cicéron, il vous feroit d'abord l'éloge d'Abdallah, d'Abutales et de Mahomet, et vous assureroit que rien n'égale la sublimité des Arabes. Lorsqu'il est question de la guerre, ce n'est ni M. de Turenne ni le grand Condé qu'il admire; il leur

préfère d'anciens généraux dont on ne connoît | médiocrité de leur fortune déguise et avilit, et que les noms et quelques actions contestées. que la prospérité seule peut développer.

En tel genre que ce puisse être', si vous lui citez deux grands hommes, soyez sûr qu'il choisira toujours le moins illustre. Phocas évite de se rencontrer avec les autres, et dédaigne de parler juste. Il affecte sur-tout de n'être point. suivi dans ses discours, comme un homme qui ne parle que par inspiration et par saillies. Si vous lui dites quelque chose de sérieux, il répond par une plaisanterie; et si vous parlez au contraire de choses frivoles, il entame un discours sérieux. Il dédaigne de contredire, mais il interrompt. Il est bien aise de vous faire entendre que vous ne dites rien qui l'intéresse; que tout est usé pour quelqu'un qui pense et qui sent comme lui. Foible esprit, qui s'est persuadé qu'on est singulier par étude, et à force d'affectation, original.

XV.

Cirus, ou l'esprit extrême.

XVI.

Lipse, ou l'homme sans principes.

Lipse n'avoit aucun principe de conduite; il vivoit au hasard et sans dessein; il n'avoit aucune vertu. Le vice même n'étoit dans son cœur qu'une privation de sentiment et de réflexion : pour tout dire, il n'avoit point d'ame. Vain sans être sensible au déshonneur; capable d'exécucrimes; ne délibérant jamais sur rien; méchant ter sans intérêt et sans malice les plus grands par foiblesse ; plus vicieux par déréglement d'esprit que par amour du vice. En possession d'un bien immense à la fleur de son âge, il passoit sa vie dans la crapule avec des joueurs d'instruments et des comédiennes. Il n'avoit dans sa familiarité que des gens de basse extraction, que leur libertinage et leur misère avoient d'abord rendus ses complaisants, mais dont la foiblesse de Lipse lui faisoit bientôt des égaux, Cirus cachoit sous un extérieur simple un parcequ'il n'y a point d'avantage avec lequel on esprit ardent et inquiet. Modéré au dehors, se familiarise si promptement que la fortune mais extrême; toujours occupé au dedans, et qui n'est soutenue d'aucun mérite. On trouvoit plus agité dans le repos que dans l'action; trop dans son antichambre, sur son escalier, dans libre et trop hardi dans ses opinions pour donsa cour, toutes sortes de personnages qui assiéner des bornes à ses passions; suivant avec in-geoient sa porte. Né dans une extrême distance dépendance tous ses sentiments, et subordon- du bas peuple, il en rassembloit tous les vices, nant toutes les règles à son instinct, comme un et justifioit la fortune que les misérables accuhomme qui se croit maître de son sort, et se sent des défauts de la nature. confie à son naturel présomptueux et inflexible : dénué des talents qui soulèvent les hommes dans la médiocrité et qui ne se rencontrent pas avec des passions si sérieuses; supérieur à cette fortune qui le renferme dans l'enceinte d'une ville ou d'une petite province, fruit d'une sagesse assez bornée; éloquent, profond, pénétrant; né avec le discernement des hommes, séducteur hardi et flatteur, fertile et puissant en raisons, impénétrable dans ses artifices; plus dangereux lorsqu'il disoit la vérité, que les plus trompeurs ne le sont par les déguisements et le mensonge; un de ces hommes que les autres hommes ne comprennent point, que la

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XVII.

Lisias, ou la fausse éloquence.

Lisias sait orner une histoire de quelques couleurs ; il raconte agréablement, et il embellit ce qu'il touche. Il aime à parler; il écoute peu; il se fait écouter long-temps, et s'étend sur des bagatelles, afin d'y placer toutes ses fleurs. Il ne pénètre point ceux à qui il parle ; il ne cherche point à les pénétrer; il ne connoît ni leurs intérêts, ni leurs caractères, ni leurs desseins. Bien loin de chercher à flatter leurs passions ou leurs espérances, il agit toujours avec eux comme s'ils n'avoient d'autre affaire que de l'écouter et de rire de ses saillies. Il n'a de l'esprit

que pour lui; il ne laisse pas même aux autres le temps d'en avoir pour lui plaire. Si quelqu'un d'étranger chez lui a la hardiesse de le contredire, Lisias continue à parler; ou s'il est obligé de lui répondre, il affecte d'adresser la parole à tout autre qu'à celui qui pourroit le redresser. Il prend pour juge de ce qu'on lui dit, quelque complaisant qui n'a garde de penser autrement que lui. Il sort du sujet dont on parle, et s'épuise en comparaisons. A propos d'une petite expérience de physique, il parle de tous les systèmes de physique; il croit les orner, les déduire, et personne ne les entend. Il finit en disant qu'un homme qui invente un fauteuil plus commode, rend plus de service à l'État que celui qui a fait un nouveau système de philosophie. Lisias ne veut pas cependant qu'on croie qu'il ignore les choses les moins importantes. Il a lu jusqu'aux voyageurs et jusqu'aux relations des missionnaires. Il raconte de point en point les coutumes d'Abyssinie et les lois de l'empire de la Chine. Il dit ce qui fait la beauté en Éthiopie, et il conclut que la beauté est arbitraire, puisqu'elle change selon les pays. Lisias a été plus modeste, plus aimable et plus complaisant. La vieillesse, qui fixe les fortunes, détruit les vertus. Ceux qui voient aujourd'hui Lisias sont assez persuadés de son esprit, mais aucun n'est content de soi ; aucun ne se souvient de ses discours, nul n'en est touché, nul n'a envie de s'attacher à lui. Il a des équipages magnifiques, une table très délicate, pour des gens de basse extraction qui l'applaudissent. Il habite dans un palais; ce sont les avantages qu'il retire de beaucoup d'esprit et d'une plus grande

fortune".

XVIII. Alcipe.

Alcipe a pour les choses rares cet empressement qui témoigne un goût inconstant pour celles qu'on possède. Sujet en effet à se dégoûter des plus solides, parcequ'il a moins de pas

́11Ce caractère a été imprimé pour la première fois dans l'édi

tion de 1806; les éditions faites depuis portent toutes de soi; je

crois qu'il faut de lui. B.

sion que de curiosité pour elles; peu propre, par défaut de réflexion, à tirer long-temps des mêmes hommes et des mêmes choses de nouveaux usages; moins touché quelquefois du grand que du merveilleux; laissant emporter son esprit, qui manque naturellement un peu d'assiette, aux impressions précipitées de la surprise, et cherchant dans le changement ou par le secours des fictions, des objets qui éveillent son ame trop peu attentive et vide de grandes passions; capable néanmoins de concevoir le grand et de s'y élever, mais trop paresseux et trop volage pour s'y soutenir; hardi dans ses projets et dans ses doutes, mais timide à croire et à faire; défiant avec les habiles, par la crainte qu'ils n'abusent de son caractère sans précaution et sans artifice; fuyant les espritsimpérieux qui l'obligent à sortir de son naturel pour se défendre, et font violence à sa timidité et à sa modestie; épineux par la crainte d'être dupe, quelquefois injuste : comme il craint les explications par timidité ou par paresse, il laisse aigrir plusieurs sujets de plainte sur son cœur, trop foible également pour vaincre et pour produire ces délicatesses: tels sont ses défauts les plus cachés. Quel homme n'a pas ses foiblesses? Celui-ci joint à l'avantage d'un beau naturel un coup d'oeil fort vif et fort juste: personne ne juge si sainement des choses au degré où il les pénètre; il ne les suit pas assez loin. La vérité échappe trop promptement à son esprit naturellement vif, mais foible, et plus pénétrant que profond. Son goût, d'une justesse rare sur les choses de sentiment, saisit avec peine celles qui ne sont qu'ingénieuses. Trop naturel pour être affecté de l'art, il ignore jusqu'aux bienséances estimables, par cette grande et précieuse simplicité, par la noblesse de ses sentiments, par la vivacité de ses lumières, et par des vertus trop aimables pour être exprimées.

XIX.

Le mérite frivole.

Un homme du monde est celui qui a beaucoup d'esprit inutile, qui sait dire des choses flatteuses qui ne flattent point, des choses sen» L'auteur veut dire que Lisias a encore plus de fortune que sées qui n'instruisent point, qui ne peut perd'esprit ; mais cette manière d'exprimer sa pensée ne me paroitsuader personne, quoiqu'il parle bien; qui a

pas correcte. S.

de cette sorte d'éloquence qui sait créer ou em- | temps plusieurs sociétés; il entretient des relabellir les bagatelles, et qui anéantit les grands sujets; aussi pénétrant sur le ridicule qu'aveugle et dédaigneux pour le mérite; un homme riche en paroles et en extérieur, qui, ne pouvant primer par le bon sens, s'efforce de paroître par la singularité; qui, craignant de peser par la raison, pèse par son inconséquence et ses écarts; plaisant sans gaieté, vif sans passions; qui a besoin de changer sans cesse de lieux et d'objets, et ne peut suppléer par la variété de ses amusements le défaut de son propre fonds.

Si plusieurs personnes de son caractère se rencontrent ensemble, et qu'on ne puisse pas arranger une partie, ces hommes qui ont tant d'esprit n'en ont pas assez pour soutenir une demi-heure de conversation, même avec des femmes, et ne pas s'ennuyer d'abord les uns des autres. Tous les faits, toutes les nouvelles, toutes les plaisanteries, toutes les réflexions, sont épuisées en un moment. Celui qui n'est pas employé à un quadrille ou à un quinze, est obligé de se tenir assis auprès de ceux qui jouent, pour ne pas se trouver vis-à-vis d'un autre homme qui est auprès du feu, et auquel il n'a rien à dire. Tous ces gens aimables qui ont banni la raison de leurs discours, font voir qu'on ne peut s'en passer; le faux peut fournir quelques scènes qui piquent la surface de l'esprit; mais il n'y a que le vrai qui touche et qui ne s'épuise jamais.

XX.

Titus, ou l'activité.

Titus se lève seul et sans feu pendant l'hiver; et quand ses domestiques entrent dans sa chambre, ils trouvent déja sur sa table un tas de lettres qui attendent la poste. Il commence à la fois plusieurs ouvrages qu'il achève avec une rapidité inconcevable, et que son génie impatient ne lui permet pas de polir. Quelque chose qu'il entreprenne, il lui est impossible de la retarder; une affaire qu'il remettroit l'inquiéteroit jusqu'au moment qu'il pourroit la reprendre. Occupé de soins si sérieux, on le rencontre pourtant dans le monde comme les hommes les plus désœuvrés. Il ne se renferme pas dans une seule société, il cultive en même

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tions sans nombre au dedans et au dehors du royaume. Il a voyagé, il a écrit, il a été à la cour et à la guerre; il excelle en plusieurs métiers, et connoît tous les hommes et tous les livres. Les heures qu'il est dans le monde, il les emploie à former des intrigues et à cultiver ses amis; il ne comprend pas que les hommes puissent parler pour parler, ou agir seulement pour agir, et l'on voit que son ame souffre quand la nécessité et la politesse le retiennent inutilement. S'il recherche quelque plaisir, il n'y emploie pas moins de manége que dans les affaires les plus sérieuses; et cet usage qu'il fait de son esprit l'occupe plus vivement que le plaisir même qu'il poursuit. Sain et malade, il conserve la même activité; il va solliciter un procès le jour qu'il a pris médecine, et fait des vers une autre fois avec la fièvre; et quand on le prie de se ménager: Hé! dit-il, le puis-je un moment? vous voyez les affaires qui m'accablent; quoiqu'au vrai il n'y en a aucune qui ne soit tout-à-fait volontaire. Attaqué d'une maladie plus dangereuse, il se fait habiller pour mettre ses papiers en ordre: il se souvient des paroles de Vespasien, et, comme cet empereur, veut mourir debout.

XXI.

Le paresseux.

Au contraire, un homme pesant se lève le plus tard qu'il peut, dit qu'il a besoin de sommeil, et qu'il faut qu'il dorme pour se porter bien. Il est toute la matinée à se laver la bouche; il tracasse en robe de chambre, prend du thé à plusieurs reprises, et ne dine point parcequ'il n'en a pas le temps. S'il va voir une jeune femme que cette visite importune, mais qui ne veut pas que personne sorte mécontent d'auprès d'elle, il lui laisse toute la peine de l'entretenir; elle fait des efforts visibles pour ne pas laisser tomber la conversation. L'indolent ne s'aperçoit pas que lui-même ne parle point; il ne sent pas qu'il pèse à cette jeune femme : it s'enfonce dans son fauteuil, où il est à son aise, où il s'oublie et n'imagine pas qu'il y ait au monde quelqu'un qui s'ennuie, pendant qu'un homme qui l'attend chez lui, et auquel il a

donné heure pour finir une affaire, ne peut comprendre ce qui le retarde. De retour chez soi, on lui dit que cet homme a fort attendu et s'en est enfin allé; il répond qu'il n'y a pas grand mal, et dit qu'on le fasse souper.

XXII.

Horace, ou l'enthousiaste.

ce puissant instinct, et peut-être aussi par l'erreur de quelque ambition plus secrète, il a consumé ses beaux jours dans l'étude et dans les voyages, et sa vie, toujours laborieuse, a toujours été agitée. Son esprit perçant et actif a tourné son application du côté des grandes affaires et de l'éloquence solide. Il est simple dans ses paroles, mais hardi et fort. Il parle quelquefois avec une liberté qui ne lui peut nuire, et qui écarte cependant la défiance de l'esprit d'autrui. Il paroît d'ailleurs comme un homme qui ne cherche point à pénétrer les autres, mais qui suit la vivacité de son humeur. Quand il veut faire parler un homme froid, il le contredit quelquefois pour l'animer; et si celui-ci dissimule, sa dissimulation et son silence parlent à Théophile; car il sait quelles sont les choses que l'on cache: tant il est difficile de lui échapper. Il tourne, il manie un esprit; il le feuillette, si j'ose ainsi dire, comme on discute

Horace se couche au point du jour, et se lève quand le soleil est déja sur son déclin. Les rideaux de sa chambre demeurent fermés jusqu'à ce que la nuit approche. Ii lit quelquefois aux flambeaux pendant le jour, afin d'être plus recueilli; et, la tête échauffée par sa lecture, il lui arrive de quitter son livre, de parler seul, et de prononcer des paroles qui n'ont aucun sens. On l'a vu autrefois à Rome, pendant les chaleurs de l'été, se promener toute la nuit sur des ruines, ou s'asseoir parmi des tombeaux, et interroger ces débris. On l'a vu aussi à des bals s'at-un livre qu'on a sous les yeux et qu'on ouvre à tacher quelquefois à un masque qui ne parloit point, se rendre amoureux de ce silence, qu'il interprétoit follement; car Horace est l'homme du monde dont l'imagination va le plus vite, et son esprit prompt et fertile sait prêter aux êtres muets toutes les passions qui l'animent. Une autre fois, sur ce qu'il entend dire qu'un ministre a parlé librement au prince en faveur de quelque innocent, Horace lui écrit avec transport, et le félicite au nom des peuples d'une belle action qu'il n'a pas faite. On lui reproche ses extravagances, et il les avoue. Il se raconte lui-même si naïvement, qu'on lui pardonne sans aucune peine ses folles singularités. Il parle même quelquefois avec tant de sens, de justesse et de véhémence, qu'on est malgré soi entraîné. Sa forte éloquence lui fait prendre de l'ascendant sur les esprits. Ceux qui se sont moqués de ses chimères deviennent très souvent ses prosélytes, et plus enthousiastes que lui, ils répandent ses sentiments et sa folie.

XXIII.

Théophile, ou la profondeur. Théophile a été touché dès sa jeunesse d'une forte curiosité de connoître le genre humain et le différent caractère des nations. Poussé par

divers endroits. Théophile ne fit jamais ni fausses démarches, ni discours frivoles, ni préparations inutiles. Aussi a-t-il l'art d'abréger les affaires les plus contentieuses et les négociations les plus difficiles. Tous ceux qui l'entendent parler se confient aussitôt à lui, parcequ'ils se flattent d'abord de le connoître. Sa simplicité leur en impose; son esprit profond ne peut être ainsi mesuré. La force et la droiture de son jugement lui suffisent pour pénétrer les autres hommes, mais il échappe à leur curiosité sans artifice. Par la seule étendue de son génie, Théophile est la preuve que l'habileté n'est pas uniquement un art, comme les hommes faux se le figurent, et que la supériorité d'esprit nous cache bien plus sûrement que la finesse ou que la dissimulation, toujours inutile au fourbe contre la prudence.

XXIV.

Cléon, ou la folle ambition.

Cléon a passé sa jeunesse dans l'obscurité, entre la vertu et le crime. Vivement occupé de sa fortune avant de se connoître, et plein de projets chimériques, il se repaissoit de ces songes dans un âge mûr. Son naturel ardent et mélancolique ne lui permettoit pas de se dis

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