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saura du moins quelque gré d'avoir osé dire les choses que j'ai dites, parceque je les ai pensées, et que la vérité m'a été chère.

C'est le témoignage que l'amour des lettres m'oblige de rendre à un homme qui n'est ni en place, ni puissant, ni favorisé, et auquel je ne dois que la justice que tous les hommes lui doivent comme moi, et que l'ignorance ou l'envie s'efforcent inutilement de lui ravir.

LES ORATEURS.

Qui n'admire la majesté, la pompe, la magní ficence, l'enthousiasme de Bossuet, et la vaste étendue de ce génie impétueux, fécond, sublime? Qui conçoit, sans étonnement, la profondeur incroyable de Pascal, son raisonnement invincible, sa mémoire surnaturelle, sa connoissance universelle et prématurée? Le premier élève l'esprit; l'autre le confond et le trouble. L'un éclate comme un tonnerre dans un tourbillon orageux, et par ses soudaines hardiesses échappe aux génies trop timides; l'autre quement l'ascendant de la vérité; et comme si presse, étonne, illumine, fait sentir despotic'étoit un être d'une autre nature que nous, sa vive intelligence explique toutes les conditions, toutes les affections et toutes les pensées des hom

Je finirai sur les ouvrages de M. de Voltaire, en disant quelque chose de sa prose. Il n'y a guère de mérite essentiel qu'on ne puisse trouver dans ses écrits. Si l'on est bien aise de voir toute la politesse de notre siècle avec un grand art, pour faire sentir la vérité dans les choses de goût, on n'a qu'à lire la préface d'OEdipe, écrite contre M. de La Motte avec une délicatesse inimitable. Si on cherche du sentiment, de l'harmonie jointe à une noblesse singulière, on peut jeter les yeux sur la préface d'Alzire, et sur l'Epitre à madame la marquise du Châtelet. Si on souhaite une littérature universelle, un goût étendu qui embrasse le caractère de plusieurs nations, et qui peigne les manières différentes des plus grands poëtes, on trouvera cela dans les Réflexions sur les poëtes épiques, et les divers morceaux traduits par M. de Voltaire des poëtes anglais, d'une manière qui passe peut-être les originaux. Je ne parle pas de 'Histoire de Charles XII, qui, par la foiblesse des critiques que l'on en a faites, a dû acquérir une autorité incontestable, et qui me paroît être écrite avec une force, une précision et des images dignes d'un tel peintre. Mais quand on n'auroit vu de M. de Voltaire que son Essai sur le siècle de Louis XIV et ses Réflexions sur l'histoire, ce seroit déjà trop pour reconnoître en lui, non seulement un écrivain du premier ordre, mais encore un génie sublime qui voit tout en grand, une vaste imagination qui rap-mes, et paroît toujours supérieure à leurs conproche de loin les choses humaines, enfin un esprit supérieur aux préjugés, et qui joint à la politesse et à l'esprit philosophique de son siècle, la connoissance des siècles passés, de leurs mœurs, de leur politique, de leurs religions, et de toute l'économie du genre humain. Si pourtant il se trouve encore des gens pré-ginal des préceptes. Que dirai-je encore? Bosvenus, qui s'attachent à relever ou les erreurs ou les défauts de ses ouvrages, et qui demandent à un homme si universel la même correction et la même justesse de ceux qui se sont renfermés dans un seul genre, et souvent dans un genre assez petit, que peut-on répondre à des critiques si peu raisonnables? J'espère que le petit nombre des juges désintéressés me

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Trop emporte toujours l'idée d'excès, et l'auteur ne veut exprimer ici que surabondance. S.

Il faut qu'à ceux, ou la correction, la justesse de ceux. S.

ceptions incertaines. Génie simple et puissant, il assemble des choses qu'on croyoit être incompatibles, la véhémence, l'enthousiasme, la naïveté, avec les profondeurs les plus cachées de l'art; mais d'un art qui, bien loin de gêner la nature, n'est lui-même qu'une nature plus parfaite, et l'ori

suet fait voir plus de fécondité, et Pascal a plus d'invention; Bossuet est plus impétueux, et Pascal plus transcendant. L'un excite l'admiration par de plus fréquentes saillies; l'autre, tou‐ jours plein et solide, l'épuise par un caractère plus concis et plus soutenu.

Mais toi qui les a surpassés en aménités et en grâces, ombre illustre, aimable génie; toi qui fis régner la vertu par l'onction et par la

Fénelon.

On remarque dans tout son ouvrage un esprit juste, élevé, nerveux, pathétique, égalelement capable de réflexion et de sentiment, et doué avec avantage de cette invention qui distingue la main des maîtres et qui caractérise le génie.

douceur, pourrois-je oublier la noblesse et le | de matière que de longs discours, plus de procharme de ta parole lorsqu'il est question d'é- portion et plus d'art. loquence? Né pour cultiver la sagesse et l'humanité dans les rois, ta voix ingénue fit retentir au pied du trône les calamités du genre humain foulé par les tyrans, et défendit contre les artifices de la flatterie la cause abandonnée des peuples. Quelle bonté de cœur, quelle sincérité se remarque dans tes écrits! Quel éclat de paroles et d'images! Qui sema jamais tant de fleurs dans un style si naturel, si mélodieux et si tendre? Qui orna jamais la raison d'une si touchante parure? Ah! que de trésors, d'abondance, dans ta riche simplicité!

O noms consacrés par l'amour et par les respects de tous ceux qui chérissent l'honneur des lettres! Restaurateurs des arts, pères de l'éloquence, lumières de l'esprit humain, que n'aije un rayon du génie qui échauffa vos profonds discours, pour vous expliquer dignement et marquer tous les traits qui vous ont été propres! Si l'on pouvoit mêler des talents si divers, peut-être qu'on voudroit penser comme Pascal, écrire comme Bossuet, parler comme Fénelon. Mais parceque la différence de leur style venoit de la différence de leurs pensées et de leur manière de sentir les choses, ils perdroient beaucoup tous les trois, si l'on vouloit rendre les pensées de l'un par les expressions de l'autre. On ne souhaite point cela en les lisant; car chacun d'eux s'exprime dans les termes les plus assortis au caractère de ses sentiments et de ses idées : ce qui est la véritable marque du génie. Ceux qui n'ont que de l'esprit empruntent nécessairement toute sorte de tours et d'expressions : ils n'ont pas un caractère distinctif.

SUR LA BRUYÈRE.

Il n'y a presque point de tour dans l'élo

Personne n'a peint les détails avec plus de feu, plus de force, plus d'imagination dans l'expression, qu'on n'en voit dans ses Caractères. Il est vrai qu'on n'y trouve pas aussi souvent que dans les écrits de Bossuet et de Pascal, de ces traits qui caractérisent une passion ou les vices d'un particulier, mais le genre humain. Ses portraits les plus élevés ne sont jamais aussi grands que ceux de Fénelon et de Bossuet: ce qui vient en grande partie de la différence des genres qu'ils ont traités. La Bruyère a cru, ce me semble, qu'on ne pouvoit peindre les hommes assez petits : et il s'est bien plus attaché à relever leurs ridicules que leur force. Je crois qu'il est permis de présumer qu'il n'avoit ni l'élévation, ni la sagacité, ni la profondeur de quelques esprits du premier ordre; mais on ne lui peut disputer sans injustice une forte imagination, un caractère véritablement original, et un génie créateur 1.

Dans la première édition, on lisoit, au lieu du dernier paragraphe, le passage suivant :

« Il est étonnant qu'on sente quelquefois dans un si beau génie, et qui s'est élevé jusqu'au sublime, les bornes de l'esprit humain : cela prouve qu'il est possible qu'un auteur sublime ait

moins de profondeur et de sagacité que des hommes moins pathétiques. Peut-être que le cardinal de Richelieu étoit supérieur

à Milton.

« Mais les écrivains pathétiques nous émeuvent plus fortement; et cette puissance qu'ils ont sur notre ame, la dispose à nous accorder plus de lumières. Nous jugeons toujours d'un auteur par le caractère de ses sentiments. Si on compare La Bruyère à Fénelon, la vertu toujours tendre et naturelle du dernier, et l'amour-propre qui se montre quelquefois dans l'autre, le sentiment nous porte malgré nous à croire que celui qui fait paroitre l'ame la plus grande a l'esprit le plus éclairé; et toutefois il

quence qu'on ne trouve dans La Bruyère; et si seroit difficile de justifier cette préférence. Fénelon a plus de

on y desire quelque chose, ce ne sont pas certainement les expressions, qui sont d'une force infinie et toujours les plus propres et les plus précises qu'on puisse employer. Peu de gens l'ont compté parmi les orateurs, parcequ'il n'y a pas une suite sensible dans ses Caractères. Nous faisons trop peu d'attention à la perfection de ses fragments, qui contiennent souvent plus

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CARACTÈRES.

I.

Oronte, ou le vieux fou.

Oronte, vieux et flétri, dit que les gens vieux sont tristes, et que pour lui il n'aime que les jeunes gens. C'est pour cela qu'il s'est logé dans une auberge, où il a, dit-il, le plaisir de ceux qui voyagent, sans leurs peines, parcequ'il voit tous les jours à souper de nouveaux visages. On le voit quelquefois au jeu de paume, avec de jeunes gens qui sortent du bal, et il va déjeuner avec eux; il les cultive avec le même soin que s'il avoit envie de leur plaire. Mais on peut lui rendre justice ce n'est pas la jeunesse qu'il aime, c'est la folie. Il a un fils qui a vingt ans, et qui est déja estimé dans le monde; mais ce jeune homme est appliqué, et passe une grande partie de la nuit à lire. Oronte a brùlé plusieurs fois les livres de son fils, et n'a fait grace qu'à des vers obscènes, qui d'ailleurs sont assez mauvais. Ce jeune homme en rachète toujours de nouveaux, et trompe les soins de son père. Oronte a voulu lui donner une fille de l'Opéra que lui-même a eue autrefois, et n'a rien négligé, dit-il, pour son éducation; mais ce petit drôle est entêté, ajoute-t-il, et a l'esprit gâté et plein de chimères.

II.

Thersite.

Thersite est l'officier de l'armée que l'on voit le plus. C'est lui qu'on rencontre toujours à la suite du général, monté sur un petit cheval qui boite, avec un harnois de velours en broderie, et un coureur qui marche devant lui. S'il y a ordre à l'armée de partir la nuit pour cacher une marche à l'ennemi, Thersite ne se couche point comme les autres, quoiqu'il y ait du temps; mais il se fait mettre des papillotes,

Thersites. que nous appelons Thersite, nous est représenté

et fait poudrer ses cheveux en attendant qu'on batte la générale. Il accompagne exactement l'officier de jour, et visite avec lui les postes de l'armée. Il donne des projets au général, et fait un journal raisonné de toutes les opérations de la campagne. On ne fait guère de détachement où il ne se trouve; et comme il est le premier de son régiment à marcher, et qu'on le cherche par-tout, on apprend qu'il est volontaire à un fourrage qui se fait sur les derrières du camp; et un autre marche à sa place. Ses camarades ne l'estiment point; mais il ne vit pas avec eux, il les évite; et si quelque officier général lui demande le nom d'un officier de son régiment qui est de garde, Thersite lui répond qu'il le connoit bien, mais qu'il ne se souvient pas de son nom. Il est familier, officieux, insolent, et pourtant très bas avec son colonel. Il fait servilement sa cour à tous les grands seigneurs de l'armée; et s'il se trouve chez le duc Eugène lorsque celui-ci se débotte, Thersite fait un mouvement pour lui présenter ses souliers; mais comme il s'aperçoit qu'il y a beaucoup de monde dans la chambre, il laisse prendre les souliers par un valet, et rougit en se relevant.

III.

Les jeunes gens.

Les jeunes gens jouissent sans le savoir, et s'ennuient en croyant se divertir. Ils font un souper où ils sont dix-huit sans compter les dames; et ils passent la nuit à table à détonner quelques chansons obscènes, à conter le roman de l'Opéra, et à se fatiguer pour chercher le plaisir, qu'à peine les plus impudents peuvent essayer dans un quart-d'heure de faveur; et comme on se pique à tous les âges d'avoir de l'esprit, ils admettent quelquefois à leurs parties des gens de lettres qui font là leur apprentissage pour le monde. Mais tous s'ennuient réciproquement, et ils se détrompent les uns des autres.

Ces jeunes gens vont au spectacle pour se rassembler. Ils y paroissent, épuisés de leurs

par Homère, dans son Iliade, comme le plus laid, le plus lache incontinences, avec une audace affectée et des

et le plus insolent des capitaines grecs qui se trouvèrent au siége de Troie. C'est par cette raison que ce nom est ordinairement donné à ceux à qui l'on croit pouvoir reprocher les mèmes défauts. F.

yeux éteints. Ils parlent grossièrement des femmes, et avec dégoût. On les voit sortir quelquefois au commencement du spectacle, pour

vient en tête; et après avoir fait le tour des allées obscures de la Foire, ils reviennent au dernier acte de la comédie et se racontent à l'oreille leurs ridicules prouesses. Ils se font un point d'honneur de traiter légèrement tous les plaisirs; et les plaisirs, qui fuient la dissipation et la folie, ne leur laissent qu'une ombre foible et une fausse image de leurs charmes.

satisfaire quelque idée de débauche qui leur | de louer; qui, lorsqu'on lui lit un mauvais roman, mais protégé, le trouve digne de l'auteur du Sopha, et feint de le croire de lui; qui demande à un grand seigneur qui lui montre une ode, pourquoi il ne fait pas une tragédie ou un poëme épique; qui du même éloge qu'il donne à Voltaire, régale un auteur qui s'est fait siffler sur les trois théâtres; qui, se trouvant à souper chez une femme qui a la migraine, lui dit tristement que la vivacité de son esprit la consume comme Pascal, et qu'il faut l'empêcher de se tuer. S'il arrive à un homme de ce caractère de faire une plaisanterie sur quelqu'un qui n'est pas riche, mais dont un homme riche prend le parti, aussitôt le flatteur change de langage, et d'ombre au mérite distingué. C'est l'homme dit que les petits défauts qu'il reprenoit servent

IV.

Midas, ou le sot qui est glorieux.

dont Rousseau disoit :

Quelquefois même aux bons mots s'abandonne.
Mais doucement et sans blesser personne.

Cet homme qui a loué toute sa vie jusqu'à ceux qu'il aimoit le moins, n'a jamais obtenu des autres la moindre louange, et tout ce que ses amis ont osé dire de plus fort pour lui, c'est ce vieux discours : En vérité, c'est un honnête garçon, ou c'est un bon homme.

VI.

Lacon, ou le petit homme.

Le sot qui a de la vanité est l'ennemi né des talents. S'il entre dans une maison où il trouve un homme d'esprit, et que la maîtresse du logis lui fasse l'honneur de le lui présenter, Midas le salue légèrement et ne répond point. Si l'on ose louer en sa présence le mérite qui n'est pas riche, il s'assied auprès d'une table, et compte des jetons ou mêle des cartes sans rien dire. Lorsqu'il paroît un livre dans le monde qui fait quelque bruit, Midas jette d'abord les yeux sur la fin, et puis sur le milieu du livre; ensuite il prononce que l'ouvrage manque d'ordre, et qu'il n'a jamais eu la force de l'achever. On parle devant lui d'une victoire que le héros du Nord a remportée sur ses ennemis ; et sur ce qu'on raconte des prodiges de sa capacité et de sa valeur, Midas assure que la disposition de la bataille a été faite par M. de Rottembourg qui Lacon ne refuse pas son estime à tous les n'y étoit pas, et que le prince s'est tenu caché auteurs. Il y a beaucoup d'ouvrages qu'il addans une cabane jusqu'à ce que les ennemis fus-mire; et tels sont les vers de La Motte, l'Hissent en déroute. Un homme qui a été à cette toire romaine de Rollin, et le Traité du vrai action l'assure qu'il a vu charger le roi à la tète mérite, qu'il préfère, dit-il, à La Bruyère. Il de sa maison; mais Midas répond froidement met dans une même classe Bossuet et Fléchier, qu'on ne verra jamais que des folies d'un prince et croit faire honneur à Pascal de le comparer qui fait des vers, et qui est l'ami de Voltaire. à Nicole, dont il a lu les Essais avec une patience tout-à-fait chrétienne. Il soutient qu'après Bayle et Fontenelle, l'abbé Desfontaines est le meilleur écrivain que nous ayons eu. Il ne peut souffrir la musique de Rameau ; et si on lui parle des Indes galantes ou de l'opéra de Dardanus, il se met à chanter des morceaux de Tancrède, ou d'un autre ancien opéra. Il n'épargne pas les acteurs qui ont succédé à Murer, à Thevenard, etc., et Poirier ne paroît jamais qu'il ne batte long-temps des mains pour faire

V.

Le flatteur insipide.

Un homme parfaitement insipide est celui qui loue indifféremment tout ce qu'il croit utile

Nom que Voltaire a souvent employé pour désigner Frédéric le Grand. La bataille dont il s'agit ici est sans doute celle de

Friedberg, gagnée par Frédéric, le 4 juin 1743. sur le prince
Charles de Lorraine. B.

de la peine à Gelliotte: tant il est difficile de | un homme grave qu'il ne connoissoit que de la lui plaire dès qu'on prime en quelque art que veille. ce puisse être.

VII.

Caritès, ou le grammairien.

IX.

Clazomène, ou la vertu malheureuse.

Clazomène a eu l'expérience de toutes les misères de l'humanité. Les maladies l'ont as

siégé dès son enfance, et l'ont sevré dans son printemps de tous les plaisirs de la jeunesse. Né pour les plus grands déplaisirs, il a eu de la hauteur et de l'ambition dans la pauvreté. Il s'est vu dans ses disgraces méconnu de ceux qu'il aimoit. L'injure a flétri sa vertu ; et il a été

Caritès est esclave de la construction, et ne peut souffrir la moindre hardiesse. Il ne sait point ce que c'est qu'éloquence, et se plaint de ce que l'abbé d'Olivet a fait grace à Racine de quatre cents fautes: mais il sait admirablement la différence de pas et point; et il a fait des notes excellentes sur le petit Traité des Synony-offense de ceux dont il ne pouvoit prendre de mes, ouvrage très propre, dit-il, à former un grand orateur. Caritès n'a jamais senti si un mot étoit propre ou ne l'étoit pas; si une épithète étoit juste, et si elle étoit à sa place. Si pourtant il fait imprimer un petit ouvrage, il y fait, pendant l'impression, de continuels changements: il voit, il revoit les épreuves, il les communique à ses amis; et si, par malheur, le libraire a oublié d'ôter une virgule qui est de trop, quoiqu'elle ne change point le sens, il ne veut point que son livre paroisse jusqu'à ce qu'on ait fait un carton, et il se vante qu'il n'y a point de livre si bien imprimé que le sien.

VIII.

L'étourdi.

Il n'y a pas long-temps qu'étant à la Comédie auprès d'un jeune homme qui faisoit du bruit, je lui dis : Vous vous ennuyez; il faut écouter une pièce quand on veut s'y plaire.-Mon ami, me répondit-il, chacun sait ce qui le divertit je n'aime point la comédie, mais j'aime le théâtre; vous êtes bien fou d'imaginer d'apprendre à quelqu'un ce qui lui plaît. - Cela peut bien — être, lui dis-je; je ne savois pas que vous vinssiez à la comédie pour avoir le plaisir de l'interrompre. Et moi je savois, me dit-il, qu'on ne sait ce qu'on dit quand on raisonne des plaisirs d'autrui; et je vous prendrois pour un sot, mon très cher ami, si je ne vous connoissois depuis long-temps pour le fou le plus accompli qu'il y ait au monde. - En achevant ces mots, il traversa le théâtre, et alla baiser sur la joue

vengeance. Ses talents, son travail continuel, son application à bien faire, n'ont pu fléchir la dureté de sa fortune. Sa sagesse n'a pu le garantir de faire des fautes irréparables. Il a souffert le mal qu'il ne méritoit pas, et celui que son imprudence lui a attire. Lorsque la fortune

a

paru se lasser de le poursuivre, la mort s'est fleur de son âge; et quand l'espérance trop offerte à sa vue. Ses yeux se sont fermés à la lente commençoit à flatter sa peine, il a eu la douleur insupportable de ne pas laisser assez de bien pour payer ses dettes, et n'a pu sauver sa vertu de cette tache. Si l'on cherche quelque raison d'une destinée si cruelle, on aura, je crois, de la peine à en trouver. Faut-il demander la raison pourquoi des joueurs très habiles se ruinent au jeu, pendant que d'autres hommes y font leur fortune? ou pourquoi l'on voit des années qui n'ont ni printemps ni automne, où les fruits de l'année sèchent dans leur fleur? Toutefois, qu'on ne pense pas que Clazomène eût voulu changer sa misère pour la prospérité des hommes foibles. La fortune peut se jouer de la sagesse des gens vertueux; mais il ne lui appartient pas de faire fléchir leur courage.

X.

Phalante, ou le scélérat.

Phalante a voué ses talents aux fureurs et au crime; impie, esclave insolent des grands, ambitieux, oppresseur des foibles, contempteur des bons, corrupteur audacieux de la jeunesse, son génie violent et hardi préside en

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