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cela seul qu'ils font partie de la langue usuelle. Un grand nombre d'entre eux le sont devenus en quelque sorte doublement par la maniere véritablement française dont ils sont écrits.

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Il faut donc écrire des récépissés, des débets, des avés, etc. L'orthographe française, en naturalisant tous ces mots, leur donne à tous les mêmes droits.

Si quoique primitivement factum fût un cas latin, on écrit des factums, pourquoi n'écrirait-on pas aussi des factotums, des albums, des numéros, des erratas, des opéras?

Si quoique primitivement debet fût la troisième personne du singulier de debeo, on écrit des débets, pourquoi n'écrirait-on pas des tacets, des déficits, des accessits?

Si quoique primitivement recipe fût un impératif qui signifie reçois, on écrit des récipés, pourquoi n'écrirait-on pas des avés, des jubés? Il n'est plus temps de se décider. Ces mots ont reçu leurs lettres de naturalité, ils ne peuvent plus être traités que comme français. C'est précisément parce que te deum, mezzo-termine et quelques autres mots semblables ont conservé le caractère originel, qu'ils restent invariables au pluriel.

ARTICLE IV.

Du nombre des noms abstraits.

Les grammairiens placent dans la catégorie des noms qui n'ont que le singulier les substantifs abstraits, comme la justice, l'éternité, les noms de métaux, etc. L'usage des auteurs et la saine idéologie montrent au contraire qu'il n'y a aucun nom abstrait, aucun nom de métal qui n'ait ou ne puisse avoir un pluriel.

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Qu'on distingue ou non mal-à-propos une éternité passée et une éternité à venir, il suffit qu'on se figure ou qu'on croie se figurer l'une et l'autre, pour être autorisé à dire avec Pascal deux éternités.

Quand on prend la vérité pour désigner collectivement tout ce qui est vrai ou pour une vérité unique, le singulier est nécessaire; mais le pluriel ne l'est pas moins, lorsqu'on veut exprimer plusieurs vérités individuelles, ou plusieurs espèces ou sortes de vérités.

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Il n'y a guère de véritable amitié Auguste t'a comblé d'amitiés, de bienfaits, r qu'entre égaux. m

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Singulier.

C'est une chose admirable que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de folie mêlé à leur science, a

Pluriel.

Lejeune homme toujours bouillant dans ses caprice
Est prompt à recevoir l'impression des vices, b

Rousseau emploie dans la même phrase, prononce du même sujet les mots caprice et caprices.

« Vous objectez les caprices de l'enfant, vous avez tort. Le caprice de » l'enfant n'est point l'ouvrage de la nature. » C

Vous objectez les caprices de l'enfant, c'est-à-dire ses différents actes capricieux. Le caprice de l'enfant, c'est-à-dire cette disposition générale ainsi appelée, n'est point l'ouvrage de la nature.

Tous les auteurs sont pleins de semblables exemples, où le nom abstrait est tantôt au singulier, tantôt au pluriel, selon le sens qui, ici comme ailleurs, est le maître souverain.

Avant donc que d'écrire apprenez à penser. » d

Si l'on me disait :

Je vais faire une phrase où je me propose de faire entrer un substantif abstrait, à quel nombre dois-je le mettre? Je croirais qu'on me tend un piége, à peu près comme celui dont parle La Fontaine :

Ce que je tiens est-il en vie en non?

Il tenait un moineau, dit-on,

Prêt d'étouffer la pauvre bête,

Ou de la làcher aussitôt

Pour mettre Apollon en défaut.
Apollon reconnut ce qu'il avait en tête:
Mort ou vif, lui dit-il, montre-nous tou moineau,
Et ne me tends plus de panneau. e

Malheureusement messieurs les grammairiens et moi nous sommes

du nombre de ceux de qui on peut dire de toute manière :

Aucun de vous n'est sorcier, je vous jure. f

Quant à moi, tout ce que je puis tenter, c'est d'expliquer les phrases qu'on me montre, et de chercher à y découvrir le secret de la bonne composition; et j'avoue que je n'ai jamais rien à dire à ceux qui demandent: qu'est-ce que je veux dire?

ARTICLE V.

Du nombre des noms de métaux.

Les grammairiens sont aussi dans l'habitude de répéter que les noms de métaux n'ont point de pluriel. Cette règle est comme celle des noms abstraits. Diront-ils que rarement on a l'occasion d'employer

a Mox. Med, male, lui. 1,5. b BoiL. Art. poët. 3.

c J. J. R. Emil. 2.

d Bon. Art poët. 1.

LA F. 4, 19. ƒ VOLT.

ces mots à ce nombre? Mais si le sens amène presque toujours le singulier, pourquoi nous défendre de faire ce qui peut nous venir dans l'idée? et si ce cas très-rare, l'idée de pluriel, se présente, pourquoi avoir établi une règle que nous serons forcés d'enfreindre?

L'idée, l'idée seule doit guider celui qui parle ou qui écrit. Il dira voilà de l'or, voilà des ors à différents titres; voilà du cuivre bien étamé; voilà des cuivres de différentes grandeurs, de différentes qualités.

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Dans la première.colonne non-seulement César est un nom singulier, mais un nom propre qui dans l'intention de l'auteur ne désigne que le rebelle qui avait passé le Rubicon. Rome est aussi un nom propre, celui de cette ville superbe qui affectait l'empire du monde. Dans la seconde colonne, Rome quoiqu'au singulier n'est plus rigoureusement parlant un nom propre ; il s'agit de deux Romes, de Rome la sainte et de la Rome des Césars, peut-être plus différentes l'une de l'autre que Sparte et Babylone. Le nom de César s'est étendu à plusieurs. Ainsi César et Rome en conservant le type originel sont employés dans les deux derniers vers à la manière des noms communs. Ville et empereur diffèrent de ces deux noms parce qu'ils ont été inventés de première intention pour remplir les fonctions de noms communs, au lieu que César et Rome ont dû servir d'abord à exprimer des noms propres.

On verra qué toute la difficulté des noms propres tient au transport qu'on en fait ou qu'on pourrait en faire pour représenter des noms

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Le public éclairé préféra toujours les Sophocle, les Euripide, les Térence, aux Baius, Quesnel, Petit-Pied, et à tous les gens de cette espèce. a

Les Charlemagne et les Saint-Louis relevèrent l'éclat de leur règne en relevant celui du culte. b

Les Aristote, les Platon succèdent aux Sophocle et aux Euripide. c

Les Paul-Emile, les Scipion, les Caton sont muets pour nous; Byzance leur est étrangère. d

Que de frelons vont pillant les abeilles !
Que de Pradons s'érigent en Corneilles •
Que de Gauchats semblent des Massillons,
Que de Le Daims succèdent aux Bignons! e

Un Auguste aisément peut faire des Virgiles.f
Aux siècles de Midas on ne vit point d'Orphées. g

On a vu en France les Aristotes, les
Platons succéder aux Sophocles et aux
Euripides.

Tous les hommes ne sauraient être des Scipions.

Omnes non possunt esse Scipiones.

Dans la première colonne, les noms d'Achille, d'Agamemnon, d'Aristote, de Scipion, etc., etc., malgré les adjectifs pluriels qui les accompagnent ne sont réellement là que pour désigner un seul individu, savoir Achille, fils de Pelée; Agamemnon, frère de Ménélas; Scipion, dit l'Africain; Paul Émile, collègue de Varus, vainqueur de Numance, etc.

Mais dans la seconde, il s'agit de plusieurs hommes qui ressemblent à Achille, à Scipion, etc.

Quand Delille dit: Sybaris était-il le berceau des Achilles? il demande si cette ville efféminée enfantait des héros semblables.

D'OU CETTE RÈGLE:

Le nom propre employé à représenter le seul individu pour lequel il a été inventé reste au singulier; mais il prend la marque du pluriel, lorsque par extension il est dit de plusieurs individus semblables.

N'imitez donc pas les exemples suivants :

Clio vint l'autre jour se plaindre au dieu des vers
Qu'en certain lieu de l'univers

On traitait d'auteurs froids, de poètes stériles,
Les Homères et les Virgiles.

Ces belles Montbazons, ces Châtillons brillantes,
Ces piquantes Bouillons, ces Nemours si touchantes
Dansant avec Louis sous des berceaux de fleurs. i

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Je sais ce qu'il coûta de périls et de peines
Aux Condes, aux Sullys, aux Colberts, aux Turennes
Pour avoir une place au haut de l'Hélicon. k
Tu parles comme au temps des Dèces, des Émiles. I
Les Scipions vainqueurs, et les Catons mourants,
Les Pauls, les Fabiens, alors de tous ensemble,
On en verra sortir un tout qui lui ressemble, m

i VOLT. Contes en vers.
k Id.

1 Id. Mort de César. 3, 4.
m Cons. Remerciment au car-
dinal de Mazarin.

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