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trouve toute la naïveté de Marot avec une éner- | noble pour la poésie. C'est à ceux qui font pro

gie que Marot n'avoit pas. Je louerai des morceaux admirables dans ses épîtres, où le génie de ses épigrammes se fait singulièrement apercevoir. Mais en admirant ces morceaux, si dignes de l'être, je ne puis m'empêcher d'être choqué de la grossièreté insupportable qu'on remarque en d'autres endroits. Rousseau voulant dépeindre, dans l'Épître aux Muses, je ne sais quel mauvais poëte, il le compare à un oison que la flatterie enhardit à préférer sa voix au chant du cygne. Un autre oison lui fait un long discours pour l'obliger à chanter, et Rousseau continue ainsi :

A ce discours, notre oiseau tout gaillard
Perce le ciel de son cri nasillard ;
Et tout d'abord, oubliant leur mangeaille,
Vous eussiez vu canards, dindons, poulaille,
De toutes parts accourir, l'entourer,
Battre de l'aile, applaudir, admirer,
Vanter la voix dont nature le doue,
Et faire nargue au cygne de Mantoue.
Le chant fini, le pindarique oison,
Se rengorgeant, rentre dans la maison,
Tout orgueilleux d'avoir, par son ramage,
Du poulailler mérité le suffrage 1.

On ne nie pas qu'il n'y ait quelque force dans cette peinture; mais combien en sont basses les images? La même épître est remplie de choses qui ne sont ni plus agréables ni plus délicates. C'est un dialogue avec les Muses, qui est plein de longueurs, dont les transitions sont forcées et trop ressemblantes; où l'on trouve à la vérité de grandes beautés de détails, mais qui en rachètent à peine les défauts. J'ai choisi cette épître exprès, ainsi que l'Ode à la Fortune, afin qu'on ne m'accusât pas de rapporter les ouvrages les plus foibles de Rousseau pour diminuer l'estime que l'on doit aux autres. Puis-je me flatter en cela d'avoir contenté la délicatesse de tant de gens de goût et de génie qui respectent tous les écrits de ce poëte? Quelque crainte que je doive avoir de me tromper en m'écartant de leur sentiment et de celui du public, je hasarderai encore ici une réflexion. C'est que le vieux langage employé par Rousseau dans ses meilleures épîtres, ne me paroît ni nécessaire pour écrire naïvement, ni assez

Toute cette tirade est dirigée contre La Motte, dont les odes jouissoient, du temps de J.-B. Rousseau, d'une réputation que la postérité n'a point confirmée. B.

fession eux-mêmes de cet art à prononcer làdessus; je leur soumets sans répugnance toutes les remarques que j'ai osé faire sur les plus illustres écrivains de notre langue. Personne n'est plus passionné que je ne le suis pour les véritables beautés de leurs ouvrages. Je ne connois peut-être pas tout le mérite de Rousseau, mais je ne serai pas fâché qu'on me détrompe des défauts que j'ai cru pouvoir lui reprocher ›. On ne sauroit trop honorer les grands talents d'un auteur dont la célébrité a fait les disgraces, comme c'est la coutume chez les hommes, et qui n'a pu jouir dans sa patrie de la réputation qu'il méritoit, que lorsque accablé sous le poids de l'humiliation et de l'exil, la longueur de son infortune a désarmé la haine de ses ennemis et fléchi l'injustice de l'envie.

VIII.

QUINAULT.

On ne peut trop aimer la douceur, la mollesse, la facilité et l'harmonie tendre et touchante de la poésie de Quinault. On peut même estimer beaucoup l'art de quelques uns de ses opéras, intéressants par le spectacle dont ils sont remplis, par l'invention ou la disposition des faits qui les composent, par le merveilleux qui y règne, et enfin par le pathétique des situations, qui donne lieu à celui de la musique, et qui l'augmente nécessairement. Ni la grace, ni la noblesse, ni le naturel, n'ont manqué à l'auteur de ces poëmes singuliers. Il y a presque toujours de la naïveté dans son dialogue, et quelquefois du sentiment. Ses vers sont semés d'images charmantes et de pensées ingénieuses. On admireroit trop les fleurs dont il se pare, s'il eût évité les défauts qui font languir quelquefois ses beaux ouvrages. Je n'aime pas les familiarités qu'il a introduites dans ses tragédies: je suis fàché qu'on trouve dans beaucoup de scènes, qui sont faites pour inspirer la terreur et la pitié, des personnages qui, par le contraste de leurs discours avec les intérêts des malheureux, rendent ces mêmes scènes ridi

Incorrect. Reconnoître qu'on s'est trompé en regardant comme un défaut ce qui n'en est pas un, ce n'est pas se détromper des défauts. M.

IX.

SUR QUELQUES OUVRAGES DE VOLTAIRE '.

cules et en détruisent tout le pathétique. Je ne | de copier jusqu'à ses fautes. Je suis fâché qu'on puis m'empêcher encore de trouver ses meil- désespère de mettre plus de passion, plus de leurs opéras trop vides de choses, trop négligés conduite, plus de raison et plus de force dans dans les détails, trop fades même dans bien nos opéras, que leur inventeur n'y en a mis. des endroits. Enfin je pense qu'on a dit de lui J'aimerois qu'on en retranchât le nombre excesavec vérité qu'il n'avoit fait qu'effleurer d'ordi- sif de refrains qui s'y rencontrent, qu'on ne naire les passions. Il me paroît que Lulli a donné refroidit pas les tragédies par des puérilités, et à sa musique un caractère supérieur à la poésie qu'on ne fit pas des paroles pour le musicien, de Quinault. Lulli s'est élevé souvent jusqu'au entièrement vides de sens. Les divers morceaux sublime par la grandeur et par le pathétique qu'on admire dans Quinault prouvent qu'il y de ses expressions; et Quinault n'a d'autre mé- a peu de beautés incompatibles avec la musique, rite à cet égard que celui d'avoir fourni les si- et que c'est la foiblesse des poëtes ou celle du tuations et les canevas auxquels le musicien a genre qui fait languir tant d'opéras, faits à la fait recevoir la profonde empreinte de son génie. hâte et aussi mal écrits qu'ils sont frivoles. Ce sont sans doute les défauts de ce poëte et la foiblesse de ses premiers ouvrages qui ont fermé les yeux de Despréaux sur son mérite; mais Despréaux peut être excusable de n'avoir pas cru que l'opéra, théâtre plein d'irrégularités et de licences, eût atteint, en naissant, sa perfection. Ne penserions-nous pas encore qu'il manque quelque chose à ce spectacle, si les efforts inutiles de tant d'auteurs renommés ne nous avoient fait supposer que le défaut de ces poëmes étoit peut-être un vice irréparable? Cependant je conçois sans peine qu'on ait fait à Despréaux un grand reproche de sa sévérité trop opiniâtre. Avec des talents si aimables que ceux de Quinault, et la gloire qu'il a d'être l'inventeur de son genre, on ne sauroit être surpris qu'il ait des partisans très passionnés, qui pensent qu'on doit respecter ses défauts mêmes. Mais cette excessive indulgence de ses admirateurs me fait comprendre encore l'extrême rigueur de ses critiques. Je vois qu'il n'est point dans le caractère des hommes de juger du mérite d'un autre homme par l'ensemble de ses qualités; on envisage sous divers aspects le génie d'un auteur illustre; on le méprise ou l'admire avec une égale apparence de raison, selon les choses que l'on considère en ses ouvrages. Les beautés que Quinault a imaginées demandent grace pour ses défauts; mais j'avoue que je voudrois bien qu'on se dispensât

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Après avoir parlé de Rousseau et des plus grands poëtes du siècle passé, je crois que ce peut être ici la place de dire quelque chose des ouvrages d'un homme qui honore notre siècle, et qui n'est ni moins grand, ni moins célèbre que tous ceux qui l'ont précédé, quoique sa gloire, plus près de nos yeux, soit plus exposée à l'envie.

Il ne m'appartient pas de faire une critique raisonnée de tous ses écrits, qui passent de bien loin mes connoissances et la foible étendue de mes lumières; ce soin me convient d'autant moins, qu'une infinité d'hommes plus instruits que moi ont déja fixé les idées qu'on doit en avoir. Ainsi je ne parlerai pas de la Henriade, qui, malgré les défauts qu'on lui impute et ceux qui y sont en effet, passe néanmoins, sans contestation, pour le plus grand ouvrage de ce siècle, et le seul poëme, en ce genre, de notre nation.

Je dirai peu de chose encore de ses tragédies: comme il n'y en a aucune qu'on ne joue au moins une fois chaque année, tous ceux qui ont quelque étincelle de bon goût peuvent y remarquer d'eux-mêmes le caractère original de l'auteur, les grandes pensées qui y règnent, les morceaux éclatants de poésie qui les em

■ Cet article a été imprimé pour la première fois dans l'édition de 1806. Il est tiré des manuscrits de l'auteur, mort plus de trente ans avant Voltaire. F.

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bellissent, la manière forte dont les passions y | leurs défauts, et souvent dans leurs défauts sont ordinairement traitées, et les traits hardis mêmes. et sublimes dont elles sont pleines.

Je ne m'arrêterai donc pas à faire remarquer dans Mahomet cette expression grande et tragique du genre terrible, qu'on croyoit épuisée par l'auteur d'Électre1. Je ne parlerai pas de la tendresse répandue dans Zaïre, ni du caractère théâtral des passions violentes d'Hérode", ni de la singulière et noble nouveauté d'Alzire, ni des éloquentes harangues qu'on voit dans la Mort de César, ni enfin de tant d'autres pièces, toutes différentes, qui font admirer le génie et la fécondité de leur auteur.

Mais parceque la tragédie de Mérope me paroît encore mieux écrite, plus touchante et plus naturelle que les autres, je n'hésiterai pas à lui donner la préférence. J'admire les grands caractères qui y sont décrits, le vrai qui règne dans les sentiments et les expressions, la simplicité sublime et tout-à-fait nouvelle sur notre théâtre, du rôle d'Égiste; la tendresse impétueuse de Mérope, ses discours coupés, véhéments, et tantôt remplis de violence, tantôt de hauteur. Je ne suis pas assez tranquille à une pièce qui produit de si grands mouvements, pour examiner si les règles et les vraisemblances sévères n'y sont pas blessées. La pièce me serre le cœur dès le commencement, et me mène jusqu'à la catastrophe, sans me laisser la liberté de respirer.

S'il y a donc quelqu'un qui prétende que la conduite de l'ouvrage est peu régulière, et qui pense qu'en général M. de Voltaire n'est pas heureux dans la fiction ou dans le tissu de ses pièces, sans entrer dans cette question, trop longue à discuter, je me contenterai de lui répondre que ce même défaut dont on accuse M. de Voltaire a été reproché très justement à plusieurs pièces excellentes, sans leur faire tort. Les dénouements de Molière sont peu estimés, et le Misanthrope, qui est le chef-d'œuvre de la comédie, est une comédie sans action. Mais c'est le privilége des hommes comme Molière et M. de Voltaire, d'être admirables malgré

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La manière dont quelques personnes, d'ailleurs éclairées, parlent aujourd'hui de la poésie, me surprend beaucoup. Ce n'est pas, disentils, la beauté des vers et des images qui caractérise le poëte, ce sont les pensées mâles et hardies; ce n'est pas l'expression du sentiment et de l'harmonie, c'est l'invention. Par-là on prouveroit que Bossuet et Newton ont été les plus grands poëtes de leur siècle; car assurément l'invention, la hardiesse et les pensées måles ne leur manquoient point.

Reprenons Mérope. Ce que j'admire encore dans cette tragédie, c'est que les personnages y disent toujours ce qu'ils doivent dire, et sont grands sans affectation. Il faut lire la seconde scène du second acte pour comprendre ce que je dis. Qu'on me permette d'en citer la fin, quoiqu'on pût trouver dans la même pièce de plus beaux endroits.

EGISTE.

Un vain desir de gloire a séduit mes esprits.
On me parloit souvent des troubles de Messène.
Des malheurs dont le Ciel avoit frappé la reine.
Sur-tout de ses vertus dignes d'un autre prix :
Je me sentois ému par ces tristes récits.
De l'Élide en secret dédaignant la mollesse,
J'ai voulu dans la guerre exercer ma jeunesse,
Servir sous vos drapeaux, et vous offrir mon bras:
Voilà le seul dessein qui conduisit mes pas.
Ce faux instinct de gloire égara mon courage;
A mes parents flétris sous les rides de l'âge,
J'ai de mes jeunes ans dérobé les secours :
C'est ma première faute, elle a troublé mes jours.
Le Ciel m'en a puni : le Ciel inexorable
M'a conduit dans le piége, et m'a rendu coupable.

MEROPE.

Il ne l'est point, j'en crois son ingénuité;
Le mensonge n'a point cette simplicité.
Tendons à sa jeunesse une main bienfaisante.
C'est un infortuné que le Ciel me présente :
Il suffit qu'il soit homme et qu'il soit malheureux.
Mon fils peut éprouver un sort plus rigoureux :
Il me rappelle Égiste; Égiste est de son âge;
Peut-être comme lui, de rivage en rivage.
Inconnu, fugitif, et partout rebuté,

Il souffre le mépris qui suit la pauvreté.
L'opprobre avilit l'ame et flétrit le courage.
MEROPE, acte II, scène 11.

Cette dernière réflexion de Mérope est bien naturelle et bien sublime. Une mère auroit pu être touchée de toute autre crainte dans une telle calamité et néanmoins Mérope paroit

pénétrée de ce sentiment. Voilà comme les sen- | pharès, Britannicus, il n'a pas prétendu, je tences sont grandes dans la tragédie, et comme il faudroit toujours les y placer.

C'est, je crois, cette sorte de grandeur qui est propre à Racine, et que tant de poëtes après lui ont négligée, ou parcequ'ils ne la connoissoient pas, ou parcequ'il leur a été bien plus facile de dire des choses guindées, et d'exagérer la nature. Aujourd'hui on croit avoir fait un caractère lorsqu'on a mis dans la bouche d'un personnage ce qu'on veut faire penser de lui, et qui est précisément ce qu'il doit taire. Une mère affligée dit qu'elle est affligée, et un héros dit qu'il est un héros. Il faudroit que les personnages fissent penser tout cela d'eux, et que rarement ils le dissent; mais, tout au contraire, ils le disent et le font rarement penser. Le grand Corneille n'a pas été exempt de ce défaut, et cela a gâté tous ses caractères. Car enfin ce qui forme un caractère, ce n'est pas, je crois, quelques traits, ou hardis, ou forts, ou sublimes, c'est l'ensemble de tous les traits et des moindres discours d'un personnage. Si on fait parler un héros, qui mêle par-tout de l'ostentation, de la vanité, et des choses basses à de grandes choses, j'admire ces traits de grandeur qui appartiennent au poëte, mais je sens du mépris pour son héros dont le caractère est manqué. L'éloquent Racine, qu'on accuse de stérilité dans ses caractères, est le seul de son temps qui ait fait des caractères; et ceux qui admirent la variété du grand Corneille sont bien indulgents de lui pardonner l'invariable ostentation de ses personnages, et le caractère toujours dur des vertus qu'il a su décrire.

C'est pourquoi quand M. de Voltaire a critiqué 1 les caractères d'Hippolyte, Bajazet, Xi

crois, diminuer l'estime de ceux d'Athalie, Joad, Acomat, Agrippine, Néron, Burrhus, Mithridate, etc. Mais puisque cela me conduit à parler du Temple du Goût, je suis bien aise d'avoir occasion de dire que j'en estime grandement les décisions. J'excepte ces mots : Bossuet, le seul éloquent entre tant d'écrivains qui ne sont qu'élé gants: car je ne crois pas que M. de Voltaire lui-même voulût sérieusement réduire à ce petit mérite d'élégance les ouvrages de M. Pascal, l'homme de la terre qui savoit mettre la vérité dans un plus beau jour et raisonner avec plus de force. Je prends la liberté de défendre encore contre son autorité le vertueux auteur de Télémaque, homme né véritablement pour enseigner aux rois l'humanité, dont les paroles tendres et persuasives pénètrent le cœur, et qui, par la noblesse et par la vérité de ses peintures, par les graces touchantes de son style, se fait aisément pardonner d'avoir employé trop souvent les lieux communs de la poésie et un peu de déclamation.

Mais quoi qu'il puisse être de cette trop grande partialité de M. de Voltaire pour Bossuet, que je respecte d'ailleurs plus que personne, je déclare que tout le reste du Temple du Goût m'a frappé par la vérité des jugements, par la vivacité, la variété et le tour aimable du style : et je ne puis comprendre que l'on juge si sévèrement d'un ouvrage si peu sérieux, et qui est un modèle d'agréments.

Dans un genre assez différent, l'Épitre aux mânes de Génonville et celle sur la mort de mademoiselle Le Couvreur m'ont paru deux morceaux remplis de charmes, et où la douleur, l'amitié, l'éloquence et la poésie parloient avec la grace la plus ingénue et la simplicité la plus

Dans son Temple du Gout, Voltaire, après avoir parlé de touchante. J'estime plus deux petites pièces Pierre Corneille, s'exprime ainsi sur Racine :

Plus pur, plus élégant, plus tendre,

Et parlant au cœur de plus près,

Nous attachant sans nous surprendre,
Et ne se démentant jamais,
Racine observe les portraits

De Bajazet, de Xipharès,

De Britannicus, d'Hippolyte;

A peine il distingue leurs traits;
Ils ont tous le même mérite.
Tendres, galants, doux et discrets;
Et l'amour qui marche à leur suite,
Les croit des courtisans français.

faites de génie, comme celles-ci, et qui ne respirent que la passion, que beaucoup d'assez longs poëmes.

I Dans l'édition faite sous les yeux de Voltaire, à Genève, en 1768, et dans les réimpressions faites depuis sa mort, cette phrase ne se trouve point; et le Temple du Goût s'exprime ainsi sur l'évêque de Meaux : l'éloquent Bossuet vouloi thien rayer quelques familiarités échappées à son génie vaste, impétueux et facile, lesquelles déparent un peu la sublimité de ses oraisons funèbres; et il est à remarquer qu'il ne garantit point ce qu'il a dit de la prétendue sagesse des anciens Egyptiens. F.

Je finirai sur les ouvrages de M. de Voltaire, en disant quelque chose de sa prose. Il n'y a guère de mérite essentiel qu'on ne puisse trouver dans ses écrits. Si l'on est bien aise de voir toute la politesse de notre siècle avec un grand art, pour faire sentir la vérité dans les choses de goût, on n'a qu'à lire la préface d'OEdipe, écrite contre M. de La Motte avec une délicatesse inimitable. Si on cherche du sentiment, de l'harmonie jointe à une noblesse singulière, on peut jeter les yeux sur la préface d'Alzire, et sur l'Épître à madame la marquise du Châtelet. Si on souhaite une littérature universelle, un goût étendu qui embrasse le caractère de plusieurs nations, et qui peigne les manières différentes des plus grands poëtes, on trouvera cela dans les Réflexions sur les poëtes épiques, et les divers morceaux traduits par M. de Voltaire des poëtes anglais, d'une manière qui passe peut-être les originaux. Je ne parle pas de l'Histoire de Charles XII, qui, par la foiblesse des critiques que l'on en a faites, a dû acquérir une autorité incontestable, et qui me paroît être écrite avec une force, une précision et des images dignes d'un tel peintre. Mais quand on que son Essai sur

n'auroit vu de M. de Voltaire

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saura du moins quelque gré d'avoir osé dire les choses que j'ai dites, parceque je les ai pensées, et que la vérité m'a été chère.

C'est le témoignage que l'amour des lettres m'oblige de rendre à un homme qui n'est ni en place, ni puissant, ni favorisé, et auquel je ne dois que la justice que tous les hommes lui doivent comme moi, et que l'ignorance ou l'envie s'efforcent inutilement de lui ravir.

LES ORATEURS.

Qui n'admire la majesté, la pompe, la magnificence, l'enthousiasme de Bossuet, et la vaste étendue de ce génie impétueux, fécond, sublime? Qui conçoit, sans étonnement, la profondeur incroyable de Pascal, son raisonnement invincible, sa mémoire surnaturelle, sa connoissance universelle et prématurée? Le premier élève l'esprit; l'autre le confond et le trouble. L'un éclate comme un tonnerre dans un

tourbillon

diesses échappe aux génies trop timides; l'autre orageux, et par ses soudaines harquement l'ascendant de la vérité; et comme si presse, étonne, illumine, fait sentir despotic'étoit un être d'une autre nature que nous, sa vive intelligence explique toutes les conditions, toutes les affections et toutes les pensées des hom

ceptions incertaines. Génie simple et puissant, il assemble des choses qu'on croyoit être incompa tibles, la véhémence, l'enthousiasme, la naïveté, avec les profondeurs les plus cachées de l'art; mais d'un art qui, bien loin de gêner la nature, n'est lui-même qu'une nature plus parfaite, et l'ori

le siècle de Louis XIV et ses Réflexions sur l'histoire, ce seroit déjà trop pour reconnoître en lui, non seulement un écrivain du premier ordre, mais encore un génie sublime qui voit tout en grand, une vaste imagination qui rap-mes, et paroît toujours supérieure à leurs conproche de loin les choses humaines, enfin un esprit supérieur aux préjugés, et qui joint à la politesse et à l'esprit philosophique de son siècle, la connoissance des siècles passés, de leurs mœurs, de leur politique, de leurs religions, et de toute l'économie du genre humain. Si pourtant il se trouve encore des gens pré-ginal des préceptes. Que dirai-je encore? Bosvenus, qui s'attachent à relever ou les erreurs ou les défauts de ses ouvrages, et qui demandent à un homme si universel la même correction et la même justesse de ceux qui se sont renfermés dans un seul genre, et souvent dans un genre assez petit, que peut-on répondre à des critiques si peu raisonnables? J'espère que le petit nombre des juges désintéressés me

2

Trop emporte toujours l'idée d'excès, et l'auteur ne veut

exprimer ici que surabondance. S.

Il faut qu'à ceux, ou la correction, la justesse de ceux. S.

suet fait voir plus de fécondité, et Pascal a plus d'invention; Bossuet est plus impétueux, et Pascal plus transcendant. L'un excite l'admiration par de plus fréquentes saillies; l'autre, tou jours plein et solide, l'épuise par un caractère plus concis et plus soutenu.

I

Mais toi qui les a surpassés en aménités et en grâces, ombre illustre, aimable génie; toi qui fis régner la vertu par l'onction et par

1 Fénelon.

la

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