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D'UN ECRIT ANONYME,

Contre la mémoire de feu M. Jofeph Saurin, de l'académie des fciences, examinateur des livres, & prépofe au journal des favans. (*)

SI celui qui pourfuit feu M. Saurin jusque dans

le tombeau, favait que cet académicien a laiffé une famille nombreuse, il ferait fans doute affligé d'avoir porté le poignard dans le cœur des enfans, en remuant les cendres du père.

S'il favait que le fils, auffi rempli de probité & de mérite que dénué de fortune, peut fe voir arracher toutes les espérances par les calomnies dont on noircit la mémoire de fon père; s'il apprenait que ces calomnies peuvent priver d'établissement cinq filles vertueuses, il effuierait par fes larmes ce que fa coupable imprudence lui a fait écrire.

Jufqu'à quand verra-t-on, non feulement les gens de lettres qui doivent être humains, mais encore ceux dont la profeffion eft d'être charitables, infecter les journaux & les dictionnaires, de médisances, d'offenses perfonnelles, de fcandales, que la religion réprouve & que le monde abhorre?

On imprima il y a quelques années, dans les fupplémens de Moréri & du célèbre Bayle, des anecdotes concernant feu M. Jofeph Saurin. On l'accuse

(*) Cet écrit anonyme fut inféré dans un journal suisse en 1758.

dans ces articles des actions les plus odieufes, parce qu'il avait quitté une fecte pour une autre, ou plutôt parce qu'il avait mieux aimé vivre à Paris, dans le fein des lettres, que de fe confumer ailleurs dans le fatras des difputes théologiques. Je fus indigné de l'infolence du compilateur nommé Chaufepié, qui croyait avoir continué le dictionnaire de Bayle.

Les dictionnaires font faits pour être les dépôts des fciences, & non les greffes d'une chambre criminelle Cependant, ce fcandale imprimé fefait quelque effet dans les efprits faibles & avides de la honte d'autrui.

J'avais paffé trois années de ma jeunesse avec M. Jofeph Saurin, dans l'étude de la géométrie & de la métaphysique; & ne l'ayant pu connaître dans le temps de fes malheurs & des faibleffes qu'on lui objectait, (faibleffe dont je le crus très-incapable) je fus intimement lié avec lui dans le temps de fa vie heureuse, c'eft-à-dire, ignorée, retirée, occupée, frugale, auftère. Je le vis mourir avec une réfignation courageuse, adorant DIEU en fage, fe repentant de ses fautes, pardonnant celles des autres, méprisant tant de faux fyftèmes que des hommes vains ont ajoutés à la parole de DIEU, & pénétré d'une religion pure, dont tout bon efprit fent la force & chérit les confolations.

C'est de quoi je rendis compte dans la lifte des écrivains du fiècle de Louis XIV. Je n'ai cherché dans l'histoire de ce beau fiècle, le modèle du fiècle présent. qu'à rendre justice à tous les génies, à tous les favans, à tous les artistes qui le décorèrent. J'ai voulu, en louant les morts, exciter les vivans à leur reffembler. J'ai célébré les travaux des Fénelons, des Boffuets, des Pafcals, des Bourdaloues, des Maffillons, avec la même candeur

que j'ai peint Louis XIV uniffant les deux mers, fondant la marine & le commerce, établiffant la difcipline militaire & la police, prévenant par fes bienfaits les hommes de génie & les favans dans toute l'Europe; méritant enfin, malgré fes défauts & fes fautes, le titre d'homme prodigieux, que lui donne l'homme d'Etat dom Uftaris, dans fon excellent livre de l'adminiftration du royaume d'Espagne.

Les honnêtes gens de toutes les nations ont foufcrit à ces vérités, excepté, peut-être, quelques ennemis invétérés, qui dans le fond de leur cœur admirent ce qu'ils haïffent. Il en a été de même de tous les grands-hommes du fiècle de Louis XIV; l'équité du public leur a rendu juftice, & l'efprit de parti a murmuré.

C'est ce qui arrive à l'occafion de Jofeph Saurin, l'un des plus beaux génies du fiècle des grandes choses. De très-favans hommes éclairèrent alors le monde, & aujourd'hui on s'occupe à difféquer leurs cadavres.

Sice philofophe était tombé dans des fautes graves, il faudrait les couvrir du manteau de la charité; c'eft l'intérêt de la fociété, c'eft celui de la religion. Que peut gagner un homme revêtu d'un ministère qu'il dit faint, quand il s'acharne à prouver que fon confrère a mérité d'être repris de juftice?

Il parle de prudence; y a-t-il de la prudence à déshonorer fon état? Il parle de religion; y a-t-il de la religion à fouiller la cendre d'un homme enfeveli depuis plus de trente années, & à vouloir prouver qu'il a fini fes jours en criminel? quelle religion de s'acharner contre les vivans & contre les morts! quel fruit en reviendra-t-il à la fociété, à la morale, à

l'édification publique, quand on aura triftement

combattu des témoignages respectables rendus en faveur d'une famille vertueuse?

Touché de l'affliction que l'impofture préparait à cette famille, & preffé par les devoirs de l'humanité, je vais trouver un gentilhomme, un ancien officier feigneur de la terre dans laquelle Jofeph Saurin avait été ce qu'on appelle miniftre ou pasteur. Avez-vous jamais vu, lui dis-je, une lettre dans laquelle Saurin eft fuppofé s'accuser lui-même des fautes dont on le charge, & qu'on a fait imprimer depuis peu ? Non, répond cet officier plein de franchise & de bonté, je ne l'ai jamais vue; & je ne puis approuver l'ufage qu'on en fait. Toute fa famille répond la même chofe. Trois pasteurs refpectables, animés des mêmes principes d'honneur, fignent la même déclaration; & voilà qu'un homme qui n'ofe pas figner fon nom s'élève contre tous ces témoignages. (1) Je ne veux pas, dit-il, que vous rendiez la paix à des cœurs affligés; en vain tous vos témoignages font authentiques; je veux, par un libelle fans nom, déchirer pieusement ceux que vous avez généreufement confolés.

N'eft-on pas en droit de dire à ce fanatique menteur: Par quelle cruauté inouïe venez-vous fans miffion, fans titre, fans raifon, perfécuter la mémoire d'un fage que vous n'avez point connu, & du fond de votre petit pays encore barbare, poursuivre ses enfans que vous ne connaissez pas? montrez des preuves, ou faites amende honorable. Un accufateur doit avoir

(1) Ces pafteurs fe font attiré une affaire très-grave pour avoir figné suivant leur confcience; tant le célébre anatomifte Haller avait mis l'intolerance à la mode dans le canton de Berne,

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