Mon cher philofophe, je vous remercie tendrement de votre souvenir et de la fidélité 1740. avec laquelle vous avez foutenu la bonne caufe dans l'affaire de Prault. Il y a long-temps que je connais, que je défie et que je méprise les calomniateurs. Les efprits malins et légers, quicommencent parofer condamnerun homme dont ils n'imiteraient pas les procédés, n'ont garde de s'informer de quelle manière j'en ai ufé. Ils le pourraient favoir de Prault luimême ; mais il eft plus aifé de débiter un menfonge au coin du feu, que d'aller chez les parties intéreffées s'informer de la vérité. Il y a peu d'ames comme la vôtre, qui aiment à rendre juftice. Les vérités morales vous font 1740. auffi chères que les vérités géométriques. Je vous prie de voir M. Arouet, et de demander l'état où il eft: dites-lui que j'y fuis auffi fenfible que je dois l'être, et que je prendrais la poste pour le venir voir, fi je croyais lui faire plaifir. Je vous demande en grâce de m'écrire des nouvelles de la difpofition de fon corps et de fon ame. Adieu; mille amitiés à madame Pitot, fans cérémonie. LETTRE II. A M. LE MARQUIS D'ARGENSON. A Bruxelles, ce 8 janvier. Vous m'allez croire un paresseux, Monfieur, et qui pis eft un ingrat; mais je ne fuis ni l'un ni l'autre. J'ai travaillé à vous amufer depuis que je fuis à Bruxelles, et ce n'eft pas une petite peine que celle de donner du plaisir. Je n'ai jamais tant travaillé de ma vie, c'est que je n'ai jamais eu tant d'envie de vous plaire. Vous favez, Monfieur, que je vous avais promis de vous faire passer une heure ou deux affez doucement: je devais avoir l'honneur de vous préfenter ce petit recueil qu'imprimait Prault. Toutes ces pièces fugitives que 1740. vous avez de moi fort informes et fort incorrectes, m'avaient fait naître l'envie de vous les donner un peu plus dignes de vous. Prault les avait auffi manufcrites. Je me donnai la peine d'en faire un choix, et de corriger avec un très-grand foin tout ce qui devait paraître. J'avais mis mes complaifances dans ce petit livre. Je ne croyais pas qu'on dût traiter des chofes auffi innocentes plus févèrement qu'on n'a traité les Chapelle, les Chaulieu, les la Fontaine, les Rabelais, et même les épigrammes de Rousseau. Il s'en faut beaucoup que le recueil de Prault approchât de la liberté du moins hardi de tous les auteurs que je cite. Le principal objet même de ce recueil était le commencement du Siècle de Louis XIV, ouvrage d'un bon citoyen et d'un homme très-modéré. J'ofe dire que dans tout autre temps une pareille entreprise ferait encouragée par le gouvernement. Louis XIV donnait fix mille livres de penfion aux Valincourt, aux Péliffon, aux Racine et aux Defpréaux, pour faire fon hiftoire qu'ils ne firent point; et moi je fuis perfécuté pour avoir fait ce qu'ils devaient faire. J'élevais un monument à la gloire de mon pays, et je fuis écrasé fous les premières pierres que j'ai pofées. Je fuis en tout un exemple que 1740. les belles - Lettres n'attirent guère que des malheurs. Si vous étiez à leur tête, je me flatte que les chofes iraient un peu autrement; et plût à Dieu que vous fuffiez dans les places que vous méritez! Ce n'eft pas pour moi, c'est pour le bonheur de l'Etat que je le défire. Vous favez comment Govers a gagné ici fon procès tout d'une voix, comment tout le monde l'a félicité, et avec quelle vivacité les grands et les petits l'ont prié de ne point retourner en France. Je compte, pour moi, refter très-long-temps dans ce pays-ci ; j'aime les Français, mais je hais la perfécution. Je fuis indigné d'être traité comme je le fuis, et d'ailleurs j'ai de bonnes raifons pour refter ici. J'y fuis entre l'étude et l'amitié, je n'y défire rien, je n'y regrette rien que de ne vous point voir. Peut-être viendra-t-il des temps plus favorables pour moi où je pourrai joindre aux douceurs de la vie que je mène, celle de profiter de votre commerce charmant, de m'inftruire avec vous et de jouir de vos bontés. Je ne défefpère de rien. J'ai vu ici M. d'Argens ; je fuis infiniment content de fes procédés avec moi. Je vois bien que vous m'aviez un peu recommandé à |