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de beaucoup plus grandes calamités, meurtres et discordes, que votre tyrannie n'en a fait naître dans ce royaume; et sachez que vos Rois perdront le leur avec la vie pour avoir voulu usurper celui d'autrui. C'est le Dieu des armées, protecteur des innocens et sévère vengeur des outrages, qui vous l'annonce par ma bouche. LE MEME. Histoire de France.

M. de Matignon au Connétable de Bourbon pour le détourner de négocier avec les ennemis de la France.

Si la fidélité, que je vous ai toujours témoignée par mes services, et qu'il vous a plu honorer de tant de récompenses, mérite d'être écoutée en vos propres intérêts, je ne puis plus vous celer, Monseigneur, qu'il est étrange que ceux qui projettent de certains traités secrets, sous couleur de fidélité et d'affection, hasardent ainsi votre honneur et votre personne, pour se rendre considérables au désavantage de leur maître. Je sais bien qu'il n'importe guère à des gens, qui n'ont plus ni conscience ni foi, de ruiner leur patrie, et de bouleverser un royaume où ils ne sont point considérés ; mais quelqu'un de vos bons serviteurs peut-il souffrir que leurs intrigues s'ourdissent sous votre nom, et qu'ils engagent un Connétable et un Prince du sang dans leurs attentats? Voyez, s'il vous plaît, Monseigneur, de quelle affection ils sont portés à votre service, qu'ils veulent que l'appréhension de perdre une partie de vos biens vous les fasse tous perdre; que vous quittiez la France pour vous venger d'une injure que vous n'avez point encore reçue, et que vous preniez la fuite devant une femme, de peur de lui céder. Certes, ils vous offensent bien plus que ne font vos ennemis mêmes; le procès (1)

(1) La Régente lui avait intenté un procès pour la succession de la Maison de Bourbon.

intenté contre vous ne saurait vous ôter que des terres; mais ces gens voudraient vous ôter l'honneur, que les âmes nobles estiment plus que tous les sceptres du monde ; la gloire, que vos ancêtres vous ont laissée, et que vous avez portée vous-même au plus haut point, en chassant deux grands Empereurs, l'un d'Italie (1), et l'autre des frontières de France (2); votre charge avec laquelle vous commandez aux armées victorieuses des Français; enfin les espérances de parvenir à la couronne, dont vous n'êtes éloigné que de trois degrés; et, pour vous dédommager de toutes ces pertes irréparables, ils vous proposent, sous la foi espagnole, sur la parole d'un Prince qui désavouera ses agens quand il lui plaira, un mariage peu assuré (3), dont la dot est une injuste guerre contre votre patrie, et les avances un honteux bannissement. Il est vrai que la Régente a fort mal traité Votre Altesse, et qu'elle lui fait souffrir d'énormes injustices; mais quel déplaisir vous a fait la France, elle qui vous a si chèrement nourris, vous et vos ancêtres; elle qui vous a élevés dans un si haut éclat, et qui a rendu votre grandeur si puissante qu'elle peut aujourd'hui lui être funeste? Oui, Monseigneur, votre puissance est seule capable de la détruire; mais votre vertu est trop grande pour se rendre complice d'un si étrange dessein. Vous n'exposerez pas ce royaume, proie à ceux mêmes contre lesquels vous l'avez vigoureusement défendu; vous n'entreprendrez pas de ruiner un héritage qui peut quelque jour vous appartenir, pour le partager avec des étrangers; vous ne deviendrez pas le gendre des ennemis de votre Roi, dont vous êtes déjà le cousin, et dont vous pouvez être le beau-frère. Au reste, comme Sa Majesté est généreuse et magnanime, et que

(1) Maximilien.

(2) Charles-Quint.

en

(3) Charles-Quint lui promettait sa sœur Eléonore, veuve du Roi de Portugal.

les offenses que vous avez souffertes ne sont pas venues de son propre mouvement, il ne faut pas douter qu'elle les réparera, avec d'autant plus de générosité que vous lui aurez témoigné de patience. Enfin, la force du sang et la raison seront plus puissantes sur son esprit que les mauvais conseils; un peu de constance vous fera triompher de tous vos envieux; et la justice de votre cause, jointe à la gloire de vos belles actions, l'obligera, malgré l'envie, à vous donner la jouissance de tous vos souhaits. Mais, quand le Roi ne se porterait pas de lui-même à vous accorder ce que votre rang, votre souveraine vertu et vos services lui demandent, assurez-vous que la nécessité pressante de ses affaires l'y forcera. Car, si ses ennemis n'espèrent point le surmonter sans votre moyen, aussi ne leur saurait-il faire tête sans votre invincible valeur.

LE MÊME. Règne de François Ier.

Renault aux principaux Conjurés.

IL commença par une narration simple et étendue de l'état présent des affaires, des forces de la république et des leurs, de la disposition de la ville et de la flotte, des préparatifs de don Pèdre et du Duc d'Ossone, des armes et des provisions de guerre qui étaient chez l'ambassadeur d'Espagne, des intelligences qu'il avait dans le Sénat et parmi les nobles, enfin, de la connaissance exacte qu'on avait prise de tout ce qu'il pouvait être nécessaire de savoir. Après s'être attiré l'approbation de ses auditeurs, par le récit de ces choses dont ils savaient la vérité comme lui, et qui étaient presque toutes les effets de leurs soins aussi bien que des siens :

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Voilà, mes compagnons, continua-t-il, quels sont les moyens destinés pour vous conduire à la gloire que vous cherchez. Chacun de vous peut juger s'ils sont suf

fisans et assurés. Nous avons des voies infaillibles pour introduire dix mille hommes de guerre dans une ville qui n'en a pas deux cents à nous opposer, dont le pillage joindra avec nous tous les étrangers que la curiosité ou le commerce y a attirés, et dont le peuple même nous aidera à dépouiller les grands, qui l'ont dépouillé tant de fois, aussitôt qu'il verra sûreté à le faire. Les meilleurs vaisseaux de la flotte sont à nous, et les autres portent dès à présent avec eux ce qui doit les réduire en cendres. L'Arsenal, la merveille de l'Europe et la terreur de l'Asie, est presque déjà en notre pouvoir. Les neuf vaillans hommes qui sont ici présens, qui sont en état de s'en emparer depuis près de six mois, ont si bien pris leurs mesures pendant ce retardement, qu'ils ne croient rien hasarder en répondant sur leur tête de s'en rendre maîtres. Quand nous n'aurions ni les troupes du Lazaret, ni celles de Terre-Ferme, ni la petite flotte de Haillot pour nous soutenir, ni les cinq cents hommes de don Pèdre, ni les vingt vaisseaux vénitiens de notre camarade, ni les grands navires du Duc d'Ossone, ni l'armée espagnole de Lombardie, nous serions assez forts avec les intelligences et les mille soldats que nous avons. Néanmoins, tous ces différens secours que je viens de nommer sont disposés de telle sorte, que chacun d'eux pourrait manquer sans porter le moindre préjudice aux autres: ils peuvent bien s'entr'aider, mais ils ne sauraient s'entre-nuire il est presque impossible qu'ils ne réussissent pas tous, et un seul nous suffit.

:

Que si, après avoir pris toutes les précautions que la prudence humaine peut suggérer, on peut juger du succès que la fortune nous destine, quelle marque peuton avoir de sa faveur qui ne soit au-dessous de celles que nous avons? Oui, mes amis, elles tiennent manifestement du prodige. Il est inouï, dans toutes les histoires, qu'une entreprise de cette nature ait été découverte en partie, sans être entièrement ruinée; et la nôtre a essuyé

cinq accidens dont le moindre, selon toutes les apparences humaines, devait la renverser. Qui n'eût cru que la perte de Spinosa, qui tramait la même chose que nous, serait l'occasion de la nôtre? que le licenciement des troupes de Liévestein, qui nous étaient toutes dévouées, divulguerait ce que nous tenions caché? que la dispersion de la petite flotte romprait toutes nos mesures, et serait une source féconde de nouveaux inconvéniens? que la découverte de Crême, que celle de Maran attireraient nécessairement après elles la découverte de tout le parti ?

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Cependant toutes ces choses n'ont point eu de suite; on n'en a point suivi la trace, qui aurait mené jusqu'à nous: on n'a point profité des lumières qu'elles donnaient, Jamais repos si profond ne précéda un trouble si grand. Le Sénat, nous en sommes fidèlement instruits, le Sénat est dans une sécurité parfaite. Notre bonne destinée a aveuglé les plus clairvoyans de tous les hommes, rassuré les plus timides, endormi les plus soupçonneux, confondu les plus subtils. Nous vivons encore, mes chers amis; nous sommes plus puissans que nous n'étions avant tous ces désastres; ils n'ont servi qu'à éprouver notre constance. Nous vivons, et notre vie sera bientôt mortelle aux tyrans de ces lieux. Un bonheur si extraordinaire, si obstiné, peut-il être naturel ? Et n'avonsnous pas sujet de présumer qu'il est l'ouvrage de quelque puissance au-dessus des choses humaines?

« Et en vérité, mes compagnons, qu'est-ce qu'il y a sur la terre qui soit digne de la protection du Ciel, si ce que nous faisons ne l'est pas ? Nous détruisons le plus horrible de tous les gouvernemens; nous rendons le bien à tous les pauvres sujets de cet Etat, à qui l'avarice des nobles le ravirait éternellement sans nous; nous sauvons l'honneur de toutes les femmes qui naîtraient quelque jour sous leur domination avec assez d'agrément pour leur plaire; nous rappelons à la vie un nombre

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