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quelquefois tout couvert de lèpre, avec des ongles longs et malpropres, ne pas laisser de se mêler parmi le monde, et croire en être quitte pour dire que c'est une maladie de famille, et que son père et son aïeul y étoient sujets (1). Il a aux jambes des ulcères. On lui voit aux mains des poireaux et d'autres saletés qu'il néglige de faire guérir; ou, s'il pense à y remédier, c'est lorsque le mal, aigri par le temps, est devenu incurable. Il est hérissé de poil sous les aisselles et par tout le corps, comme une bête fauve : il a les dents noires, rongées, et telles que son abord ne se peut souffrir. Ce n'est pas tout (2): il crache ou il se mouche en mangeant, il parle la bouche pleine (3), fait en buvant des choses contre la bienséance (4), ne se sert jamais au bain que d'une huile qui sent mauvais (5), et ne paroît guère dans une assemblée publique qu'avec une vieille robe (6) et toute tachée. S'il est obligé d'accompagner sa mère chez les devins, il n'ouvre la bouche que pour dire des choses de mauvais augure (7). Une autre fois, dans le temple et en faisant des libations (8), il lui échappera des mains une coupe ou quelque autre vase; et il rira ensuite de cette aventure, comme s'il avoit fait quelque chose de merveilleux. Un homme si extraordinaire ne sait point écouter un concert ou d'excellents joueurs de flûte; il bat des mains avec violence comme pour leur applaudir, ou bien il suit d'une voix désagréable le même air qu'ils jouent il s'ennuie de la symphonie, et demande si elle ne doit pas bientôt finir. Enfin si, étant assis à table, il veut cracher, c'est justement sur celui qui est derrière lui pour lui donner à boire (9).

NOTES.

(1) Le manuscrit du Vatican ajoute : « Et qu'elle pré

<< serve sa race d'un mélange étranger. »

(2) Le grec porte ici la formule dont j'ai parlé au cha

pitre xi, note 9, et au chapitre xvi, note 1.

(3) Le grec ajoute: « Et laisse tomber ce qu'il mange.» (4) Le manuscrit du Vatican ajoute : « Il est couché à <«< table sous la même couverture que sa femme, et prend

<< avec elle des libertés déplacées. >>

(5) Le manuscrit du Vatican fait ici un léger change

ment, et ajoute un mot qui, tel qu'il est, ne présente aucun sens convenable; M. Visconti propose de le corriger

en iyɛox, dans le sens de se serrer dans ses habits signification que l'on peut donner à ce verbe avec d'autant tif qui en dérive par tunique. Cet homme malpropre n'atplus de vraisemblance, qu'Hésychius explique le substantend pas seulement que sa mauvaise huile soit sèche, mais s'enveloppe sur-le-champ dans ses habits. L'usage ordinaire exigeoit de laisser sécher l'huile au soleil : ce que les Ro:nains appeloient insolatio.

(6) Le manuscrit du Vatican dit, « tout usée, » et parle aussi d'une tunique grossière.

(7) Les anciens avoient un grand égard pour les paroles noient consulter les devins et les augures, prier ou sacriqui étoient proférées, même par hasard, par ceux qui vefier dans les temples. ( La Bruyère. )

(8) Cérémonies où l'on répandoit du vin ou du lait dans les sacrifices. (La Bruyère.)

(9) Le grec dit : «Il crache par-dessus la table sur celui « qui lui donne à boire. » Les anciens n'occupoient qu'un côté de la table, ou des tables, qu'on plaçoit devant eux, et les esclaves qui les servoient se tenoient de l'autre côté. partiennent peut-être au chapitre suivant. La transposiAu reste, les quatre derniers traits de ce caractère aption manifeste de plusieurs traits du caractère xxx au caractère x1 doit inspirer naturellement l'idée d'attribuer à une cause semblable toutes les incohérences de cet ouvrage, plutôt que de les mettre sur le compte de l'auteur. CHAPITRE XX.

D'un homme incommode.

Ce qu'on appelle un fâcheux est celui qui, sans faire à quelqu'un un fort grand tort, ne laisse pas de l'embarrasser beaucoup (1); qui, entrant dans la chambre de son ami qui commence à s'endormir, le réveille pour l'entretenir de vains discours (2); qui, se trouvant sur le bord de la mer, sur le point qu'un homme est près de partir et de monter dans son vaisseau, l'arrête sans nul besoin et l'engage insensiblement à se promener avec lui sur le rivage (3); qui, arrachant un petit enfant du sein de sa nourrice pendant qu'il tette, lui fait avaler quelvant lui, que chose qu'il a mâché (4), bat des mains dele caresse, et lui parle d'une voix contrefaite; qui choisit le temps du repas, et que le potage est sur la table, pour dire qu'ayant pris médecine depuis deux jours, il est allé par étoit mêlée dans ses déjections (5); qui, devant haut et par bas, et qu'une bile noire et recuite toute une assemblée, s'avise de demander à sa

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(5) Théophraste lui fait dire « que la bile qu'il a rendue

«< étoit plus noire que la sauce qui est sur la table. >> Ce trait et le suivant me paroissent appartenir au caractère précédent, à la place de ceux que je crois avoir été distraits de celui-ci. (Voyez la note 9 du chapitre précédent.) (6) Le manuscrit du Vatican ajoute ici une phrase très obscure, et vraisemblablement altérée par les copistes. I me paroit que Théophraste fait dire à ce mauvais plaisant, au sujet des douleurs de sa mère : « Un moment bien doux « a dû précéder celui-là; et sans ces deux choses il est

« impossible de produire un homme. »

(7) Cette transition est de La Bruyère : les traits qui suivent me paroissent appartenir au caractère suivant ou au chap. xxIII. D'après les additions du manuscrit du Vatican, il faut les traduire : « Il se vante d'avoir chez lui « d'excellente eau de citerne, et de posséder un jardin qui lui

« donne les légumes les plus tendres en grande abondance. « Il dit aussi qu'il a un cuisinier d'un rare talent, et que sa « maison est comme une hôtellerie, parcequ'elle est tou« jours pleine d'étrangers, et que ses amis ressemblent au

« tonneau percé de la fable, puisqu'il ne peut les satisfaire « en les comblant de bienfaits.» Les traits suivants sont encore d'un genre différent, et conviendroient mieux au

chapitre XIII ou au chapitre x1 : « Quand il donne un re

<< pas, il fait connoître son parasite à ses convives; et, les << provoquant à boire, il dit que celle qui doit amuser la << compagnie est toute prête, et que, dès qu'on voudra, << il la fera chercher chez l'entrepreneur, pour faire de la << musique et pour égayer tout le monde. » (Voyez chap. ix, note 4, et chap. xi, note 5.) Ces nombreuses transposide Théophraste, d'où ces caractères sont extraits, avoit tions favorisent l'opinion de ceux qui croient que l'ouvrage une forme toute différente de celle de ces fragments.

(8) Mot grec qui signifie celui qui ne mange que chez autrui. (La Bruyère. )

CHAPITRE XXI.

De la sotte vanité (1).

La sotte vanité semble être une passion inquiète de se faire valoir par les plus petites choses, ou de chercher dans les sujets les plus frivoles du nom et de la distinction. Ainsi un homme vain, s'il se trouve à un repas, affecte toujours de s'asseoir proche de celui qui l'a convié ; il consacre à Apollon la chevelure d'un fils qui lui vient de naître ; et, dès qu'il est parvenu à l'âge de puberté, il le conduit lui-même à Delphes, lui coupe les cheveux, et les dépose dans le temple comme un monument d'un vou solennel qu'il a accompli (2). Il aime à se faire suivre par un More (5). S'il fait un paiement, il affecte que ce soit dans une monnoie toute neuve, et qui ne vienne que d'être frappée (4). Après qu'il a immolé un bœuf devant quelque autel, il se fait réserver la peau du front de cet animal, il l'orne de rubans et de fleurs, et l'attache à l'endroit de sa maison le plus exposé à la vue de ceux qui passent (5), afin que personne du peuple n'ignore qu'il a sacrifié un boeuf. Une autre fois, au retour d'une cavalcade (6) qu'il aura faite avec d'autres citoyens, il renvoie chez soi par un valet tout son équipage, et ne garde qu'une riche robe dont il est habillé, et qu'il traîne le reste du jour dans la place publique. S'il lui meurt un petit chien, il l'enterre, lui dresse une épitaphe avec ces mots : Il étoit de race de Malte (7). Il consacre un anneau à Esculape, qu'il use à force d'y pendre des couronnes de fleurs. Il se parfume tous les jours (8). Il remplit avec un grand faste tout le temps de sa magistrature (9); et, sortant de charge, il rend compte au peuple avec ostenta

faire voir à tout le monde qu'il sert dans cette élite, que

tion des sacrifices qu'il a faits, comme du nom- | des citoyens les plus riches et les plus puissants. C'est pour bre et de la qualité des victimes qu'il a immolées. Alors, revêtu d'une robe blanche et couronné de fleurs, il paroît dans l'assemblée du peuple : « Nous pouvons, dit-il, vous assurer, ‹ ô Athéniens! que pendant le temps de notre ⚫ gouvernement nous avons sacrifié à Cybèle, <et que nous lui avons rendu des honneurs ⚫tels que les mérite de nous la mère des dieux:

• espérez donc toutes choses heureuses de cette

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ce vaniteux se promène dans la place publique en gardant son habit de cérémonie, que, selon le véritable sens du texte, il retrousse élégamment. Le manuscrit du Vatican ajoute, « Et ses éperons. » On voit encore aujourd'hui une pompe ou procession de ce genre, sculptée par Phidias, ou sur ses dessins, dans la grande frise du temple de Minerve à Athènes : elle est représentée dans Stuart, au commencement du volume II.

(7) Cette île portoit de petits chiens fort estimés. (La

<< cippe sur lequel il fait graver, etc. »

‹ déesse. Après avoir parlé ainsi, il se retire Bruyère.) Le grec dit : « Il lui dresse un monument et un dans sa maison, où il fait un long récit à sa femme de la manière dont tout lui a réussi audelà même de ses souhaits.

NOTES.

(8) La Bruyère et tous ceux qui ont séparé ce trait du précédent n'ont pas fait attention que le grec ne parle pas de parfums extraordinaires, et que se frotter d'huile tous les jours n'étoit pas un effet de la vanité à Athènes, mais un usage ordinaire. (Voyez chap. v, note 4.) Par cette rai

(1) Le mot employé par Théophraste signifie littérale- son, et d'après le manuscrit du Vatican, il faut traduire : ment l'ambition des petites choses.

<< Il suspend un anneau dans le temple d'Esculape, et l'use « à force d'y suspendre des fleurs et d'y verser de l'huile.»>

la classe de ceux auxquels on attribuoit des vertus médicales, et c'est par reconnoissance de quelque guérison que le vaniteux le suspend. Les couronnes de fleurs renouvelées souvent rappellent ce vers de Virgile, Æneid., I, 416:

Thure calent aræ, sertisque recentibus halant.

(2) Le peuple d'Athènes, ou les personnes plus modes- | D'après M. Schneider, cet anneau étoit apparemment de tes, se contentoient d'assembler leurs parents, de couper en leur présence les cheveux de leur fils parvenu à l'âge de puberté, et de les consacrer ensuite à Hercule, ou à quelque autre divinité qui avoit un temple dans la ville. (La Bruyère.) Le grec dit seulement : « Il conduit son fils à « Delphes pour lui faire couper les cheveux. » C'étoit, selon Plutarque dans la Vie de Thésée, l'antique usage d'Athènes lorsqu'un enfant étoit parvenu à l'âge de puberté. Il me paroît que cette coupe de cheveux étoit différente de celle qui avoit lieu lors de l'inscription dans la curie, et dont il a été parlé au chapitre x, note 4. On peut consulter, sur les différentes formalités par lesquelles les enfants passoient successivement pour arriver enfin au rang de citoyen, le Voyage du jeune Anacharsis, chapitre xxvi.

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(9) La Bruyère a beaucoup altéré ce trait. Le-grec porte: << Il intrigue auprès des prytanes pour que ce soit lui que << l'on charge d'annoncer au peuple le résultat des sacri<<fices; alors, revêtu d'un habit magnifique, et portant << une couronne sur la tête, il dit avec emphase: O ci<< toyens d'Athènes! nous, les prytanes, avons sacrifié à la « mère des dieux; le sacrifice a été bien reçu, et il est d'un << heureux présage; recevez-en les fruits, etc. » (Voyez sur les prytanes la table 1, ajoutée au Voyage d'Anacharsis, et le chap. xiv du corps de l'ouvrage.) Les sacrifices que les présidents des prytanes faisoient trois ou quatre fois par mois s'adressoient à différentes divinités ; il se peut que l'abréviateur ou les copistes aient omis quelques noms; peut-être aussi s'agit-il d'un sacrifice à Vesta, dont le culte étoit confié particulièrement à ces magistrats, et qui a été confondue plusieurs fois par les anciens avec Cybèle. Voyez la Dissertation de Spanheim dans le cinquième volume du Trésor de Grævius.

CHAPITRE XXII.

De l'avarice.

Ce vice est dans l'homme un oubli de l'honneur et de la gloire, quand il s'agit d'éviter la moindre dépense (1). Si un tel homme a remporté le prix de la tragédie (2), il consacre à

Bacchus des guirlandes ou des bandelettes fai- | à la place où on la trouve à présent dans les manuscrits, et où elle ne forme qu'un barbarisme.

pitre.

(3) Le texte dit simplement : « Il consacre à Bacchus « une couronne de bois, sur laquelle il fait graver son

<< nom. >>

(4) Ceux qui vouloient donner se levoient et offroient une somme ceux qui ne vouloient rien donner se levoient

et se taisoient. ( La Bruyère. ) Voyez le chap. LVI du jeune

Anacharsis.

(5) C'étoient les cuisses et les intestins. (La Bruyère.) On partageoit la victime entre les dieux, les prêtres et ceux qui l'avoient présentée. La portion des dieux étoit brûlée, celle des prêtres faisoit partie de leur revenu, et la troisième servoit à un festin ou à des présents donnés par celui qui avoit sacrifié. (Voyage du jeune Anacharsis, chap. xxI.)`

tes d'écorce de bois (5), et il fait graver son nom sur un présent si magnifique. Quelquefois, dans (2) Qu'il a faite ou récitée. (La Bruyère.) Ou plutôt les temps difficiles, le peuple est obligé de s'as- qu'il a fait jouer par des comédiens nourris et instruits à sembler pour régler une contribution capable ses frais. Voyez le caractère de la Magnificence, selon de subvenir aux besoins de la république; alors Aristote, que j'ai placé à la suite des Caractères de Théoil se lève et garde le silence (4), ou le plus sou-phraste, et qu'il sera intéressant de comparer avec ce chavent il fend la presse et se retire. Lorsqu'il marie sa fille, et qu'il sacrifie, selon la coutume, il n'abandonne de la victime que les parties seules qui doivent être brûlées sur l'autel (5); il réserve les autres pour les vendre ; et comme il manque de domestiques pour servir à table et être chargé du soin des noces (6), il loue des gens pour tout le temps de la fête, qui se nourrissent à leurs dépens, et à qui il donne une certaine somme. S'il est capitaine de galère, voulant ménager son lit, il se contente de coucher indifféremment avec les autres sur de la natte qu'il emprunte de son pilote (7). Vous verrez une autre fois cet homme sordide acheter en plein marché des viandes cuites, toutes sortes d'herbes, et les porter hardiment dans son sein et sous sa robe: s'il l'a un jour envoyée chez le teinturier pour la détacher, comme il n'en a pas une seconde pour sortir, il est obligé de garder la chambre. Il sait éviter dans la place la rencontre d'un ami pauvre qui pourroit lui demander, comme aux autres, quelque secours (8); il se détourne de lui, et reprend le chemin de sa maison. Il ne donne point de servantes à sa femme (9), content de lui en louer quelques unes pour l'accompagner à la ville toutes les fois qu'elle sort. Enfin ne pensez pas que ce soit un autre que lui qui balaie le matin sa chambre, qui fasse son lit et le nettoie. Il faut ajouter qu'il porte un manteau usé, sale et tout couvert de taches; qu'en ayant honte lui-même, il le retourne quand il est obligé d'aller tenir sa place dans quelque assemblée (10).

NOTES.

(1) La définition de cette nouvelle nuance d'avarice est certainement altérée dans le grec; je crois qu'il faut corriger ȧrovsix p. d. ¿youons: le sens alors est celui que La Bruyère a exprimé, et nul autre ne peut convenir à ce caractère. La préposition ¿ò peut avoir été exprimée par une ligature qu'un copiste a prise pour : un correcteur a mis la véritable à la marge; et on l'a insérée par erreur

(6) Cette raison est ajoutée par le traducteur. Le grec dit seulement : « Il oblige les gens qu'il loue, pour servir << pendant les noces, à se nourrir chez eux. » Les noces des Athéniens étoient des fêtes très magnifiques; et on ne

pouvoit pas reprocher à un homme de n'avoir pas assez de domestiques pour servir dans cette occasion; mais c'étoit une lésinerie que de ne pas nourrir ceux qu'on louoit.

(7) Le grec dit : « S'il commande une galère qu'il a << fournie à l'état, il fait étendre les couvertures du pilote « sous le pont, et met les siennes en réserve. » Les ci

toyens d'Athènes étoient obligés d'équiper un nombre de galères proportionné à l'état de leur fortune. (Voyez le Voyage du jeune Anacharsis, chap. LVI.) Les trierarques avoient un cabinet particulier nommé la tente; mais cet

avare aime mieux coucher avec l'équipage, sous ce morceau de tillac qui se trouvoit entre les deux tours. V. Pollux, 1, 90. Dans les galères modernes, les chevaliers de Malte avoient, comme les triérarques d'Athènes, un tendelet ; et le capitaine couchoit, comme ici le pilote, sous un bout de pont ou de tillac qui s'appeloit la teuque.

Le manuscrit du Vatican ajoute : « Il est capable de ne << pas envoyer ses enfants à l'école vers le temps où il est << d'usage de faire des présents au maitre; mais de dire << qu'ils sont malades, afin de s'épargner cette dépense. »

(8) Par forme de contribution. (Voyez les chapitres de la Dissimulation et de l'Esprit chagrin. La Bruyère. ) (Voyez chap. 1, note 5, et chap. xvII, note 6.) Le manuscrit du Vatican ajoute au commencement de cette phrase: << S'il est prévenu que cet ami fait une collecte; » et à la fin, « Et rentre chez lui par un grand détour. »

(9) Le manuscrit du Vatican ajoute : « Qui lui a porté

<< une dot considérable; » et continue: « Mais il loue une << jeune fille pour la suivre dans ses sorties; » car je crois que c'est ainsi qu'il faut corriger et entendre ce texte. Le

passage de Pollux, que j'ai cité au chap. 11, note 6, s'oppose à la manière dont M. Schneider a voulu y suppléer: il est bien plus simple de lire, ex tv yuxxei dio, et c'est un trait d'avarice de plus de ne louer qu'une femme. Cette conjecture ingénieuse est de M. Visconti. Le manuscrit du Vatican ajoute encore : « Il porte des souliers rac

« commodés et à double semelle, et s'en vante en disant << qu'ils sont aussi durs que de la corne. » (Voyez chap. iv, note 2.)

(10) Ce dernier trait est tout-à-fait altéré par cette traduction, et il me semble qu'aucun éditeur n'en a encore saisi le véritable sens. Le grec dit : « Pour s'asseoir, il roule « le vieux manteau qu'il porte lui-même ; » c'est-à-dire, au lieu de se faire suivre par un esclave qui porte un pliant, comme c'étoit l'usage des riches (voyez Aristophane in Equit., v. 1381 et suiv., et Hésych., in Oklad. ), il épargne cette dépense en s'asseyant sur son vieux manteau.

CHAPITRE XXIII.

De l'ostentation.

Je n'estime pas que l'on puisse donner une idée plus juste de l'ostentation, qu'en disant que c'est dans l'homme une passion de faire montre d'un bien ou des avantages qu'il n'a pas. Celui en qui elle domine s'arrête dans l'endroit du Pirée (1) où les marchands étalent, et où se trouve un plus grand nombre d'étrangers; il entre en matière avec eux, il leur dit qu'il a beaucoup d'argent sur la mer; il discourt avec eux des avantages de ce commerce, des gains immenses qu'il y a à espérer pour ceux qui y entrent, et de ceux sur-tout que lui qui leur parle y a faits (2). Il aborde dans un voyage le premier qu'il trouve sur son chemin, lui fait compagnie, et lui dit bientôt qu'il a servi sous Alexandre (3), quels beaux vases et tout enrichis de pierreries il a rapportés de l'Asie, quels excellents ouvriers s'y rencontrent, et combien ceux de l'Europe leur sont inférieurs (4). Il se vante dans une autre occasion d'une lettre qu'il a reçue d'Antipater (5), qui apprend que lui troisième est entré dans la Macédoine. Il dit une autre fois que, bien que les magistrats lui aient permis tels transports de bois (6) qu'il lui plairoit sans payer de tribut, pour éviter néanmoins l'envie du peuple, il n'a point voulu user de ce privilége. Il ajoute que, pendant une

mieux connu,

grande cherté de vivres, il a distribué aux pauvres citoyens d'Athènes jusqu'à la somme de cinq talents (7); et, s'il parle à des gens qu'il ne connoît point, et dont il n'est pas il leur fait prendre des jetons, compter le nombre de ceux à qui il a fait ces largesses; et, quoiqu'il monte à plus de six cents personnes, il leur donne à tous des noms convenables; et, après avoir supputé les sommes particulières qu'il a données à chacun d'eux, il se trouve qu'il en résulte le double de ce qu'il pensoit, et que dix talents y sont employés, sans compter, poursuit-il, les galères que j'ai armées à mes dépens, et les charges publiques que j'ai exercées à mes frais et sans récompense (8). Cet homme fastueux va chez un fameux marchand de chevaux, fait sortir de l'écurie les plus beaux et les meilleurs, fait ses offres, comme s'il vouloit les acheter. De même il visite les foires les plus célèbres (9), entre sous les tentes des marchands, se fait déployer une riche robe, et qui vaut jusqu'à deux talents; et il sort en querellant son valet de ce qu'il ose le suivre sans porter de l'or sur lui pour les besoins où l'on se trouve (10). Enfin, s'il habite une maison dont il paie le loyer, il dit hardiment à quelqu'un qui l'ignore que c'est une maison de famille, et qu'il a héritée de son père; mais qu'il veut s'en défaire, seulement parcequ'elle est trop petite pour le grand nombre d'étrangers qu'il retire chez lui (14).

NOTES.

(1) Port à Athènes, fort célèbre. ( La Bruyère. ) Le traducteur a exprimé par cette phrase une correction de Casaubon que peut-être le texte n'exigeoit point; le mot que donnent les manuscrits signifie la langue de terre qui joint la péninsule du Pirée au continent, et qui servoit de promenade aux Athéniens.

(2) Le manuscrit du Vatican ajoute, « Et des pertes ; » et continue, « Et en se vantant ainsi, il envoie son esclave << à un comptoir où il n'a qu'une drachme à toucher. »

(3) Tous les manuscrits portent Évandre, nom que l'on ne trouve point dans l'histoire de ce temps. Le manuscrit

du Vatican ajoute, « Et comment il étoit avec lui. »

(4) C'étoit contre l'opinion commune de toute la Grèce. (La Bruyère.) Cependant on faisoit venir de l'Asie plusieurs articles de manufactures (voyez le Voyage du jeune Anacharsis, chap. xx et Lv); et ce n'est que dans les

beaux-arts que les Grecs paroissent avoir eu une supériorité exclusive.

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