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de la durée, du temps, de l'identité, de la cause, de l'effet.

Voulez-vous encore un exemple, un exemple domestique? Je prends l'ontologie d'un cours de philosophie enseigné à l'université de Paris, et imprimé en 1750 : de l'être, des principes de la connaissance, des causes, de l'effet, de l'essence, de l'existence, de l'acte, de la puissance, de la nature, de l'entité, de l'individu, du principe indicatif et formel de l'individuation, de la subsistance, de la personnalité, des propriétés de l'être, de l'unité, de la bonté, des espèces de l'être, de la sub

stance.

Maintenant, comparez entre elles ces quatre tables de matières fidèlement copiées. Le choix des idées, leur nombre, leur disposition, tout ne vous semble-t-il pas comme jeté au hasard?

Et, si vous craignez la fatigue d'un trop long parallèle, arrêtez-vous aux deux titres qui se présentent les premiers.

L'un des auteurs commence par l'espace et le temps; l'autre par le principe de contradiction et le principe de la raison suffisante; le troisième, par l'être et l'essence; le quatrième, par l'être et les principes de la connais

sance.

Imaginez quatre traités d'arithmétique, dans lesquels on aurait bouleversé à plaisir la suite naturelle des règles et des théorèmes; que surtout on n'ait pas manqué de présenter d'abord les choses les plus disparates : en sorte que là, on débute par les logarithmes, ici, par les fractions; d'un autre côté, par la règle de trois; et enfin, par la recherche du plus grand commun diviseur.

Voilà l'ontologie ou les ontologistes.

Lorsque nos idées ne sont pas disposées dans l'ordre qui les fait naître les unes des autres, il n'y a ni bonnes définitions, ni bonnes explications possibles (t. 1, leç. 15). Et, parce qu'il n'est que trop ordinaire de vouloir paraître savoir quand on ne sait pas, il arrive qu'on parle sans comprendre ses propres paroles; ou, si quelque adversaire incommode oblige à les définir, on fait entrer comme on peut, dans ses définitions, ce qu'on a l'intention de prouver. On élève des systèmes, qui ne reposent pas même sur l'imagination car ils échappent à l'imagination autant qu'à la raison et au bon sens. L'oreille est frappée; l'impression s'y arrête, et rien n'arrive jusqu'à l'intelligence.

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Comment l'ontologie, à la tête de la métaphysique, ne serait-elle pas un chaos? Com

men tpourrait-elle satisfaire une raison qui veut s'éclairer? Les connaissances qu'on lui demande tiennent à un problème qui ne peut être résolu qu'autant qu'on a donné la solution d'un problème antérieur et l'on appelle l'ontologie, la science première, la philosophie première!

Mais le premier problème, celui qui a pour objet la manière dont se forme l'intelligence, étant une fois résolu, sera-t-il possible d'ordonner enfin les idées ontologiques; puisque c'est ainsi qu'on veut les appeler? Pourra-t-on en faire un tout qui ait son commencement, son milieu, sa fin?

Je n'oserais l'assurer; je n'oserais, surtout, me flatter d'y réussir, et de ramener à un système régulier tant de choses, dont plusieurs semblent n'avoir entre elles aucun rapport.

Cependant, il serait possible de remédier, jusqu'à un certain point, à l'excès du désordre. On peut se diriger vers le but, quoiqu'il soit difficile de l'atteindre. Il suffit d'une chose; mais elle est indispensable. Il faut bien se placer en commençant.

Et vous ne direz pas que c'est en cela que consiste la plus grande difficulté : elle n'est plus, cette difficulté, depuis que nous avons acquis la certitude que toutes les connaissances ont

leur origine dans le sentiment, qu'elles commencent toutes au sentiment.

:

Partez donc du sentiment; suivez-en les progrès le sentiment-sensation vous mène aux idées sensibles, et, par ces idées aux qualités des corps, et aux corps. Le sentiment des facultés de l'âme vous mène à la connaissance de ces facultés, et à l'âme elle-même.

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L'idée du corps, et celle de l'âme, vous mèneront à l'idée de substance; celle de substance, à celle d'essence; celle d'essence, celle de possibilité; la possibilité, au pouvoir; le pouvoir, à la cause. Vous pouvez encore, par une méthode plus prompte, arriver à cette dernière idée, à l'idée de cause; car l'idée de cause sort immédiatement du sentiment de la cause sentiment que nous éprouvons aussitôt que l'activité entre en exercice, ou, du moins, au premier acte de la volonté.

Remontez au sentiment, aux sentimens : vous pouvez les considérer comme successifs, ou comme simultanés. Comme successifs, ils vous donneront tous l'idée de succession, de temps, de durée; comme simultanés, pourvu que ces sentimens soient des sensations, et que, parmi ces sensations simultanées ou coexistantes, se trouvent des sensations de résis

tance, ils vous donneront les idées d'impénétrabilité,' d'extériorité, d'étendue, d'espace.

Les idées de temps et d'espace vous conduiront aux idées de l'indéfini, de l'infini même, autant qu'il nous est donné d'avoir cette dernière idée, laquelle peut nous être suggérée aussi, nous venons de le remarquer à l'occasion de l'idée de Dieu, par le sentiment de notre propre force; ou, pour dire presque la même chose, par le sentiment de notre faiblesse, etc., etc.

Je sens, messieurs, que je vous donne des aperçus bien superficiels, bien imparfaits, et de simples assertions au lieu de preuves. Aussi n'ai-je promis, et n'ai-je pu vous promettre que les plus légères indications; mais je ne dois pas manquer de dire que les mots que vous venez d'entendre reçoivent, la plupart, un grand nombre d'acceptions, et que les idées que ces mots sont destinés à réveiller, ne sont pas toujours exprimées par ces mêmes mots.

Ainsi, vous trouverez que les qualités et les propriétés, soit des corps, soit de l'àme, prennent les noms de modes, de modifications, d'attributs, d'attributs essentiels, d'attributs accidentels, de qualités premières, de qualités secon

daires.

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