Le plus sage s'endort sur la foi des zéphyrs. Jamais un favori ne borne sa carrière; Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière ;
Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit Ne le sauroit quitter qu'après l'avoir détruit. Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte Ne suffisoient-ils pas, sans la d'Oronte ? perte Ah! si ce faux éclat n'eût pas fait ses plaisirs, Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs, Qu'il pouvoit doucement laisser couler son âge ! Vous n'avez pas chez vous ce brillant équipage, Cette foule de gens qui s'en vout chaque jour Saluer à longs flots le soleil de la Cour : Mais la faveur du ciel vous donne en récompense Du repos, du loisir, de l'ombre et du silence, Un tranquille sommeil, d'innocents entretiens; Et jamais à la Cour on ne trouve ces biens. Mais quittons ces pensers: Oronte nous appelle. Vous, dont il a rendu la demeure si belle, Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appas, Si le long de vos bords Louis porte ses pas, Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage: Il aime ses sujets, il est juste, il est sage; Du titre de clément rendez-le ambitieux ; C'est par là que les rois sont semblables aux dieux Du magnanime Henri qu'il contemple la vie : Dès qu'il put se venger il en perdit l'envie. Inspirez à Louis cette même douceur:
La plus belle victoire est de vaincre son cœur. Oronte est à présent un objet de clémence. S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance, Il est assez puni par son sort rigoureux; Et c'est être innocent que d'être malheureux.
PRINCE qui fais nos destinées, Digne monarque des François, Qui du Rhin jusqu'aux Pyrénées Portes la crainte de tes lois, Si le repentir de l'offense Sert aux coupables de défense Près d'un courage généreux, Permets qu'Apollon t'importune, Non pour les biens de la fortune, Mais pour les jours d'un malheureux.
Ce triste objet de ta colère N'a-t-il point encore effacé Ce qui jadis t'a pu déplaire Aux emplois où tu l'as placé? Depuis le moment qu'il soupire, Deux fois l'hiver en ton empire
A ramené les aquilons;
Et nos climats ont vu l'année Deux fois de pampre couronnée Enrichir coteaux et vallons.
Oronte seul, ta créature, Languit dans un profond ennui : Et les bienfaits de la nature Ne se répandent plus pour lui. Tu peux d'un éclat de ta foudre Achever de le mettre en poudre: Mais si les dieux à ton pouvoir Aucunes bornes n'ont prescrites, Moins ta grandeur a de limites, Plus ton courroux en doit avoir.
Réserve-le pour des rebelles : Ou, si ton peuple t'est soumis, Fais-en voler les étincelles Chez tes superbes ennemis. Déjà Vienne est irritée
De ta gloire aux astres montée; Ses monarques en sont jaloux : Et Rome t'ouvre une carrière Où ton cœur trouvera matière D'exercer ce noble courroux.
Va-t-en punir l'orgueil du Tibre; Qu'il te souvienne que ses lois N'ont jadis rien laissé de libre Que le courage des Gaulois;
Mais parmi nous sois débonnaire : A cet empire si sévère
Tu ne te peux accoutumer, Et ce seroit trop te contraindre. Les étrangers te doivent craindre; Tes sujets te veulent aimer.
L'amour est fils de la clémence ; La clémence est fille des dieux : Sans elle toute leur puissance Ne seroit qu'un titre odieux. Parmi les fruits de la victoire, César, environné de gloire,
N'en trouva point dont la douceur
A celui-ci pût être égale ;
Non pas même aux champs où Pharsale L'honora du nom de vainqueur.
Je ne veux pas te mettre en compte
Le zèle ardent ni les travaux
En quoi tu te souviens qu'Oronte
Ne cédoit point à ses rivaux.
Sa passion pour ta personne, Pour ta grandeur, pour ta couronne, Quand le besoin s'est vu pressant, A toujours été remarquable: Mais, si tu crois qu'il est coupable, Il ne veut pas être innocent.
Laisse-lui donc pour toute grâce
SUR UN MOT DE SCARRON, QUI ÉTOIT PRÈS DE MOURIR. 1660.
SCARRON, sentant approcher son trépas, Dit à la Parque Attendez; je n'ai pas Encore fait de tout point ma satire. Ab dit Cloton, vous la ferez là-bas : Marchons, marchons; il n'est pas temps de rire.
CONTRE LE MARIAGE. TIRÉE D'ATHÉNÉE. 1660.
HOMME qui femme prend se met en un état Que de tous à bon droit on peut nommer le pire. Fol étoit le second qui fit un tel contrat : A l'égard du premier, je n'ai rien à lui dire.
TIRÉE D'ATHÉNÉE.
Ubi lavantur qui hic lavantur?
NE cherchons point en ce bain nos amours; Nous y voyons fréquenter tous les jours De gens crasseux une malpropre bande. Sire baigneur, ôtez-moi de souci;
Je voudrois bien vous faire une demande :
Où lave-t-on ceux que l'on lave ici ?
Belle Bouche disoit : je m'en rapporte aux cœurs,
Et leur demande s'ils font compte
De Beaux-Yeux ainsi que de moi.
Qu'on examine notre emploi,
Nos trais, nos beautés et nos charmes.
Que dis-je ? notre emploi ! J'ai bien plus d'un métier; Mais j'ignore celui de répandre des larmes ;
De bon cœur je le laisse à Beaux-Yeux tout entier. Je satisfais trois sens; eux, seulement la vue.
Ma gloire est bien d'autre étendue;
L'ouïe et l'odorat ont part à mes plaisirs.
Outre qu'aux doux propos je joins les chansonnettes, Belle-Bouche fait des soupirs
Tels à peu près que les zéphyrs
En la saison des violettes.
Je sais par cent moyens rendre heureux un amant,
Vous me dispenserez de vous dire comment.
S'il s'agit entre nous d'une conquête à faire, On voit Beaux-Yeux se tourmenter: Belle-Bouche n'a qu'à parler;
Sans artifice elle sait plaire.
Quand Beaux-Yeux sont fermés, ce n'est pas grande af
Belle-Bouche à toute heure étale des trésors:
La nacre est en dedans, le corail en dehors. Quand je daigne m'ouvrir, il n'est richesse égale. Les présents que nous fait la rive orientale N'approchent pas des dons que je prétends avoir. Trente-deux perles se font voir,
Dont la moins belle et la moins claire Passe celles que l'Inde a dans ses régions :
Pour plus de trente-deux millions Je ne m'en voudrois pas défaire. Belle-Bouche ainsi harangua.
Un amant pour Beaux-Yeux parla,
Et, comme on peut penser ne manqua pas de dire
Que c'est par eux qu'Amour s'introduit dans les cours. Pourquoi leur reprocher les pleurs? Il ne faut donc pas qu'on soupire?
Mais tous les deux sont bons; Belle-Bouche a grand tort: Il est des larmes de transport; Il est des soupirs, au contraire, Qui fort souvent ne disent rien. Belle-Bouche n'entend pas bien Pour cette fois-là son affaire.
Qu'elle se taise, au nom des dieux, Des appas qui lui sont départis par les cieux. Qu'a-t-elle sur ce point qui nous soit comparable ? Nous savons plaire en cent façons;
Par l'éclat, la douceur, et cet art admirable De tendre aux cœurs des hameçons. Belle-Bouche le blâme, et nous en faisons gloire. Si l'on tient d'elle une victoire,
On en tient cent de nous ; et pour une chanson Où Belle-Bouche est en renom, Beaux-Yeux le sont en plus de mille. La cour, le Parnasse et la ville,
Ne retentissent tout le jour
Que du mot de Beaux-Yeux et de celui d'Amour. Dès que nous paraissons, chacun nous rend les armes. Quiconque nous appelleroit
Enchanteurs, il ne mentiroit,
Tant est prompt l'effet de nos charmes. Sous un masque trompeur leur éclat fait si bien, Que maint objet tel quel, en plus d'une rencontre, Par ce moyen passe à la montre.
On demande qui c'est, et souvent ce n'est rien: Cependant Beaux-Yeux sont la cause Qu'on prend ce rien pour quelque chose. Belle-Bouche dit, J'aime ; et le disons-nous pas ? Sans aucun bruit, notre langage, Muet qu'il est, plaît davantage
Que ces perles, ce chant et ces autres appas Avec quoi Belle-Bouche engage.
L'avocat des Beaux-Yeux fit sa péroraison Des regards d'une intervenante.
Cette belle approcha d'une façon charmante; Puis il dit en changeant de ton: J'amuse ici la cour par des discours frivoles; Ai-je besoin d'autres paroles
Que des yeux de Phylis? Juge, regardez-les, Puis prononcez votre sentence:
Nous gagnerons notre procès.
Phylis eut quelque honte, et puis sur l'assistance Répandit des regards si remplis d'éloquence,
Que les papiers tomboient des mains. Frappé de ces charmes soudains, L'auditoire inclinoit pour Beaux-Yeux dans son ame. Belle-Bouche, en faveur des regards de la dame, Voyant que les esprits s'alloient préoccupant, Prit la parole, et dit: A cene rhétorique
Dont Beaux-Yeux vont ainsi les juges corrompant, Je ne veux opposer qu'un seul mot pour réplique. La nuit mon emploi dure encor: Beaux-Yeux sont lors de peu d'usage:
SUR LE REFUS QUE FIRENT LES AUGUS- TINS DE PRÊTER LEUR INTERROGA- TOIRE DEVANT MESSIEURS, EN 1658.
Aux Augustins, sans alarmer la ville, On fut bier soir; mais le cas n'alla bien. L'huissier, voyant de cailloux une pile, Crut qu'ils n'étoient mis là pour aucun bien. Très sage fut ; car avec doux maintien, Il dit: Ouvrez; faut-il tant vous requerre Qu'est-ce ceci? Sommes nous à la guerre ? Messieurs sont seuls; ouvrez, et croyez-moi. Messieurs, dit l'autre, en ce lieu n'ont que querre ; Les Augustins sont serviteurs du Roi.
Dea (répond l'un de Messieurs fort habile, Conseiller clerc, et surtout bon chrétien), Vous êtes troupe en ce monde inutile; Le tronc vous perd depuis ne sais combien ; Vous vous battez, faisant un bruit de chien. D'où vient cela? Parlez; qu'on ne vous serre: Car, , que soyez de Paris ou d'Auxerre, Il faut subir cette commune loi; Et, n'en déplaise aux suppôts de saint Pierre, Les Augustins sont serviteurs du Roi.
Lors un d'entre eux (que ce soit Pierre ou Gille Il ne m'en chaut, car le nom n'y fait rien), Vraiment, dit-il, voilà bel évangile; C'est bien à vous de régler notre bien. Que le tronc serve à l'autel de soutien, On qu'on le vide afin d'emplir le verre, Le parlement n'a droit de s'en enquerre; Et je maintiens, comme article de foi, Qu'en débridant matines à grand' erre Les Augustins sont serviteurs du Roi.
Sage héros, ainsi dit frère Pierre,
La cour lui taille un beau pourpoint de pierre ; Et dedans peu me semble que je voi Que, sur la mer ainsi que sur la terre, Les Augustins sont serviteurs du Roi.
Les gens tenant le parlement d'Amours
Informoient, pendant les grands jours, D'aucuns abus commis en l'ile de Cythère. Par-devant eux se plaint un amant maltraité, Disant que de long-temps il s'efforce de plaire A certaine ingrate beauté:
Qu'il a donné des sérénades, Des concerts et des promenades; Item, mainte collation,
Maint bal et mainte comédie;
A consacré le plus beau de sa vie
A l'objet de sa passion;
S'est tourmenté le corps et l'ame, Sans pouvoir obliger la dame
A payer seulement d'un souris son amour. Partant, conclut que cette belle Soit condamnée à l'aimer à son tour. Fut allégué d'autre part à la cour
Que plus la dame étoit cruelle,
Plus elle avoit d'embonpoint et d'attraits; Que, perdant ses appas, Amour perdoit ses traits, Qu'il avoit intérêt au repos de son ame;
Que quand on a le cœur en flamme Le teint n'en est jamais si frais;` Qu'il étoit à propos pour la grandeur du prince Qu'elle traitât ainsi toute cette province, Fit mille soupirants sans faire un bienheureux, Dormît à son plaisir, conservât tous ses charmes, Augmentât les tributs de l'empire amoureux, Qui sont les soupirs et les larmes; Que souffrir tel procés étoit un grand abus; Et que le cas méritoit une amende :
Concluant, pour le surplus, Au renvoi de la demande.
ODE ANACREONTIQUE.
A MADAME LA SURINTENDANTE, sur ce qu'elle EST ACCOUCHÉE, AVANT TERME, DANS LE CARROSSE, EN REVENANT DE TOULOUSE. PUIS-JE ramentevoir l'accident, plein d'ennui, Dont le bruit en nos cœurs mit tant d'inquiétudes? Aurai-je bonne grâce à blâmer aujourd'hui Carrosses en relais, chirurgiens un peu rudes? Falloit-il que votre œuvre imparfait fût laissé ? Ne le deviez-vous pas rapporter de Toulouse ? A quoi songeoit l'amour qui l'avoit commencé, Et sont-ce là des traits de véritable épouse?
Ne quittant qu'avec peine un mari, par trop cher, Et le voyant partir pour un si long voyage, Vous le voulûtes suivre, il ne put l'empêcher; De vos chastes amours vous lui dûtes ce gage. Dites-nous s'il devoit être fille ou garçon, Et si c'est d'un Amour, ou si c'est d'une Grâce Que vous avez perdu l'étoffe et la façon, A quelque autre poupon laissant libre la place? Pour tous les fruits d'hymen qui sont sur le métier, Carrosses en relais sont méchante voiture. Votre poupon, au moins, devoit avoir quartier: Il étoit digne, hélas ! de plus douce aventure. Vous l'auriez achevé sans qu'il'y manquât rien, De Grâces et d'Amours étant bonne ouvrière. Dieu ne l'a pas voulu peut-être pour un bien; Aux dépens de nos cœurs il eût vu la lumière. Olympe, assurément vous auriez mis au jour Quelque sujet charmant et peut-être insensible. Votre sexe où le nôtre en seroit mort d'amour: Mais nous ne gagnons rien ; c'est un sort infaillible. Ce miracle ébauché laisse ici frère et sœurs. Chez vous mâle et femelle il en est une bande: Un seul étant perdu ne nous rend point nos cœurs; De ceux qui sont restés la part sera plus grande.
Je vous l'avoue, et c'est la vérité, Que monseigneur n'a que trop mérité
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