Page images
PDF
EPUB

pétuelle ou de la mort, amenant par troupeaux les sorcières au bûcher. Il semblait qu'un nuage noir se fût appesanti sur la vie humaine, noyant toute lumière, effaçant toute beauté, éteignant toute joie, traversé çà et là par des éclairs d'épée et par des lueurs de torches, sous lesquels on voyait vaciller des figures de despotes moroses, de sectaires malades, d'opprimés silencieux.

1. 1648, trente en un jour. Un d'elles avoua qu'elle avait été à une assemblée où étaient cinq cents sorcières.-Pictorial history, t. III. p. 489.

2. In 1652 the kirk-session of Glasgow « brot boyes and servants before them, for breaking the Sabbath and other faults. They had clandestine censors, and gave money to some for this end.» (Buckle, History of Civilisation, I, 346.)

Even yearly in the 18th century the « most popular divines >> in Scotland affirmed that Satan « frequently appears clothed in a corporeal substance. » (Ibid., 367.).

No husband shall kiss his wife, and no mother shall kiss her child on the Sabbath-day. » (Ibid., 385.)

The quhilk day the Sessioune caused mak this act, that ther sould be no pypers at brydels, etc. (Ibid., 389.)

1719. The presbytery of Edinburgh indignantly declares : «Y,ea some have arrived at that height of impiety as not to be ashamed of washing in water and swimming in rivers upon the holy Sabbath. » (Ibid.)

« I think David had never so sweet a time as then, when he was pursued as a partridge by his son Absalom. »

(Gray's Great and Precious Promises.) Voir tout le chapitre où Buckle a décrit, d'après les textes, l'état de l'Ecosse au dix-septième siècle.

II

Le roi rétabli, ce fut une délivrance. Comme un fleuve barré et engorgé, l'esprit public se précipita de tout son poids naturel et de toute sa masse acquise dans le lit qu'on lui avait fermé. L'élan emporta les digues. Le violent retour aux sens noya la morale. La vertu parut puritaine. Le devoir et le fanatisme furent confondus dans un discrédit commun. Dans ce grand reflux, la dévotion, balayée avec l'honnêteté, laissa l'homme dévasté et fangeux. Les parties supérieures de sa nature disparurent; il n'en resta que l'animal sans frein ni guide, lancé par ses convoitises à travers la justice et la pudeur.

Quand on regarde ces mœurs à travers Hamilton et Saint-Évremond, on les tolère. C'est que leurs façons françaises font illusion. La débauche du Français n'est qu'à demi choquante; si l'animal en lui se déchaîne, c'est sans trop d'excès. Son fonds n'est pas, comme chez l'autre, rude et puissant. Vous pouvez casser la glace brillante qui le recouvre, sans rencontrer le torrent gonflé et bourbeux qui gronde sous son voisin '; le ruisseau qui en sortira n'aura que de petites échappées, rentrera de lui

1. Voyez dans Richardson, Swift et Fielding, mais surtout dans Hogarth, la peinture de cette débauche brutale. Encore récemment dans un finish à Londres, les gentlemen s'amusaient à soûler de belles filles parées en robe de bal; puis quand elles tombaient

même et vite dans son lit accoutumé. Le Français est doux, naturellement civilisé, peu enclin à la sensualité grande ou grossière, amateur de conversation sobre, aisément prémuni contre les mœurs crapuleuses par sa finesse et son bon goût. Le chevalier de Grammont a trop d'esprit pour aimer l'orgie. C'est qu'en somme l'orgie n'est pas agréable: casser des verres, brailler, dire des ordures, s'emplir jusqu'à la nausée, il n'y a là rien de bien tentant pour des sens un peu délicats; il est né épicurien, et non glouton ou ivrogne. Ce qu'il cherche, c'est l'amusement, non la joie déboutonnée ou le plaisir bestial. Je sais bien qu'il n'est pas sans reproche. Je ne lui confierais pas ma bourse, il oublie trop aisément la distinction du tien et du mien; surtout je ne lui confierais pas ma femme : il n'est pas net du côté de la délicatesse; ses escapades au jeu et auprès des dames sentent d'un peu bien près l'aigrefin et le suborneur. Mais j'ai tort d'employer ces grands mots à son endroit; ils sont trop pesants, ils écrasent une aussi fine et aussi jolie créature. Ces lourds habits d'honneur ou de honte ne peuvent être portés que par des gens sérieux, et Grammont ne prend rien au sérieux, ni les autres, ni lui-même, ni le vice ni la vertu. Passer le temps agréablement, voilà toute son affaire. << On ne s'ennuya plus dans l'armée, dit Hamilton, dès qu'il y fut. » C'est là sa gloire et

inertes, à leur faire avaler du poivre, de la moutarde et du vinaigre. (Flora Tristan, 1840, Promenades dans Londres, chap. VIII. — Témoin oculaire.)

LITT. ANGL.

II- 29

son objet; il ne se pique ni ne se soucie d'autre chose. Son valet le vole: un autre eût fait pendre le coquin mais le vol était joli, il garde son drôle. Il partait oubliant d'épouser sa fiancée, on le rattrape à Douvres ; il revient, épouse; l'histoire était plaisante il ne demande rien de mieux. Un jour, étant sans le sou, il détrousse au jeu le comte de Caméran. « Est-ce qu'après la figure qu'il a faite Grammont peut plier bagage comme un croquant? Non pas, il a des sentiments, il soutiendra l'honneur de la France. » Le badinage couvre ici la tricherie; au fond, il n'a pas d'idées bien claires sur la propriété. Il régale Caméran avec l'argent de Caméran; Caméran eût-il mieux fait, ou autrement? Peu importe que son argent soit dans la poche de Grammont ou dans la sienne le point important est gagné, puisqu'on s'est amusé à le prendre et qu'on s'amuse à le dépenser. L'odieux et l'ignoble disparaissent de la vie ainsi entendue. S'il fait sa cour aux princes, soyez sûr que ce n'est point à genoux : une âme si vive ne s'affaisse point sous le respect; l'esprit le met de niveau avec les plus grands; sous prétexte d'amuser le roi, il lui dit des vérités vraies'. S'il tombe à Londres au milieu des scandales, il n'y enfonce point; il y glisse sur la pointe du pied, si lestement

:

1. Le roi jouait au trictrac: arrive un coup douteux : « Ah! voici Grammont qui nous jugera; Grammont, venez nous juger. Sire, vous avez perdu. Comment! vous ne savez pas en- Eh! ne voyez-vous pas, sire, que si le coup eût été seulement douteux, ces messieurs n'auraient pas manqué de vous donner gain de cause? »

core....

qu'il ne garde pas de boue. On n'aperçoit plus sous ses récits les angoisses et les brutalités que les événements recèlent; le conte file prestement, éveillant un sourire, puis un autre, puis encore un autre, si bien que l'esprit tout entier est emmené, d'un mouvement agile et facile, du côté de la belle humeur. A table, Grammont ne s'empiffrera pas; au jeu, il ne deviendra pas furieux; devant sa maîtresse, il ne lâchera pas de gros mots; dans les duels, il ne haïra pas son adversaire. L'esprit français est comme le vin français

il ne rend les gens ni brutaux, ni méchants, ni tristes. Telle est la source de cet agrément les soupers ne détruisent ici ni la fines se, ni la bonté, ni le plaisir. Le libertin reste sociable, poli et prévenant; sa gaieté n'est complète que par la gaieté des autres 1; il s'occupe d'eux aussi naturellement que de lui-même, et, par surcroît, il reste alerte et dispos d'intelligence; les saillies, les traits brillants, les mots heureux petillent sur ses lèvres : il pense à table et en compagnie quelquefois mieux que seul ou à jeun. Vous voyez bien qu'ici le débauché n'opprime pas l'homme; Grammont dirait qu'il l'achève, et que l'esprit, le cœur, les sens, ne trouvent leur perfection et leur joie que dans l'élégance et l'entrain d'un souper choisi.

1. « Il déterrait les malheureux pour les secourir.»>

« PreviousContinue »