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justice. Voilà la véritable vertu! voilà la véritable probité! L'homme qui est à la tribune» (car Robespierre était toujours à la tribune, attendant la parole) « est un nouveau Catilina; ceux dont il s'était entouré étaient de nouveaux Verrès. Robespierre voulait tour à tour nous attaquer, nous isoler, et enfin il serait resté un jour seul avec les hommes crapuleux et perdus de débauche qui le servent! Je demande que nous décrétions la permanence de nos séances jusqu'au moment où le glaive de la loi aura assuré la révolution, et que nous ordonnions l'arrestation de ses créatures. »

La majorité était immense en faveur de Tallien; la Montagne insurgée contre Robespierre avait toute la Convention pour elle. Les propositions de Tallien sont adoptées au milieu des applaudissements et des cris de: Vive la République !

Billaud demande aussi et obtient l'arrestation de trois chefs des Jacobins, y compris celui qui présidait le tribunal révolutionnaire, lors de la condamnation de la reine et de celle des Girondins.

Aussi étonné qu'irrité de l'audace de ceux qui la veille encore tremblaient devant lui, Robespierre était toujours à la tribune, et ne cessait de réclamer la parole. Barrère, au nom du Comité de salut public, entre dans la salle. Il avait préparé deux discours, l'un en faveur de Robespierre, l'autre contre. Voyant que la cause de Robespierre est perdue dans l'Assemblée, il se déclare contre lui et propose, entre autres mesures, de mander à la barre le maire de Paris pour qu'il ait à répondre de la tranquillité publique Quand les propositions de Barrère ont été adoptées, Robespierre croit pouvoir enfin parler; mais ses ennemis étaient bien décidés à étouffer sa voix.

Vadier vient lui reprocher d'être le seul auteur de la loi du 22 prairial, et revient longuement sur l'affaire de la mère de Dieu.

Tallien interrompt Vadier et demande à ramener la discussion à son véritable point. « Je saurai bien l'y ramener, » s'écrie Robespierre, et il se dispose à parler; les clameurs l'en empêchent.

Tallien continuant : « Citoyens, ce n'est pas, en ce moment, sur des faits particuliers que doit se porter l'attention de l'Assemblée : c'est sur le discours prononcé hier à la Convention, répété aux Jacobins, que j'appelle toute votre attention; c'est là que je rencontre le tyran! c'est là que je trouve toute la conspiration! c'est dans ce discours que je veux trouver des armes pour le terrasser, cet homme dont la vertu et le patriotisme étaient tant vantés, mais qu'on avait vu, à l'époque mémorable du 10 août, ne paraître que trois jours après la révolution ! cet homme qui devant être, dans le Comité de salut public, le défenseur des opprimés, et rester à son poste, l'a abandonné depuis quatre décades! Il l'a abandonné pour venir calomnier les comités, et les comités ont sauvé la patrie. Certes, si je voulais retracer les actes d'oppression particuliers qui ont lieu, je remarquerais que c'est pendant le temps que Robespierre a été chargé de la police générale, qu'ils ont été commis. »

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Robespierre s'écrie (et il avait raison): « C'est faux! je.... D'affreux murmures l'interrompent. Robespierre, qui ne peut croire à une coalition de toute la Montagne contre lui, arrête un moment les yeux sur les plus ardents Montagnards, pour chercher dans leurs regards l'expression de la sympathie; quelques-uns détournent la tête, d'autres restent immobiles et baissent les yeux; la plupart le repoussent par des gestes de haine. Alors se tournant vers le côté droit et vers la plaine : « C'est à vous, hommes purs, que je m'adresse, et non pas aux brigands.... » Une violente interruption éclate; et Robespierre s'écrie: « Pour la dernière fois, président d'assassins, je te demande la parole. » Le président répond : « Tu ne l'auras qu'à ton

tour. -Non! non!» reprend-on de tous côtés.... Le bruit continue; Robespierre s'épuise en efforts; sa voix s'éteint.

A ce moment le Montagnard Louchet demande formellement un décret d'arrestation contre lui. Les applaudissements, d'abord isolés, deviennent bientôt unanimes. La motion est appuyée; on met aux voix l'arrestation.

Alors Robespierre jeune : « Je suis aussi coupable que mon frère je partage ses vertus; je dois partager son sort. Je demande aussi le décret d'arrestation contre moi. »

L'Assemblée paraît disposée à y consentir. Robespierre veut réclamer en faveur de son frère; il lui est impossible de se faire entendre; il apostrophe alors l'Assemblée avec une grande véhémence, et ses paroles se perdent dans le bruit.

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« Président, dit un membre, « est-ce qu'un homme sera maître de la Convention? - Il l'a été trop longtemps! » dit un autre.

On met aux voix l'arrestation des deux frères. Elle est décrétée à l'unanimité. Tous les députés sont debout, et font retentir la salle des cris de: Vive la Liberté! vive la République!

« La République ! » s'écrie Robespierre, due; les brigands triomphent.

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« elle est per

Louchet dit : « Nous avons entendu voter pour l'arrestation des deux Robespierre, de Saint-Just et de Couthon. »

Lebas, un des plus fameux terroristes : « Je ne veux pas partager l'opprobre de ce décret! je demande aussi à être arrêté. »

L'arrestation de Lebas est décrétée, aussi bien que celle de Couthon et de Saint-Just.

Barrère rédige immédiatement le décret qui met en arrestation les cinq représentants, et qui ordonne celle de Henriot, de tous les chefs de la garde nationale de Paris et de quelques chefs des Jacobins. Les vainqueurs, que

leur prompte victoire ne laissait pas exempts d'alarmes, se hâtaient. On arrête les cinq représentants immédiatement dans la salle même, et on les confie provisoirement à la garde du Comité de sûreté générale, dans le pavillon Marsan. Il était cinq heures, la séance est suspendue jusqu'à sept. Pendant que ces événements se passaient aux Tuileries, Fleuriot-Lescot, Coffinhal, Payan et les membres du conseil de la Commune, réunis, à l'hôtel de ville, délibéraient et attendaient. Vers cinq heures, ils ignoraient encore l'arrestation des cinq députés; Henriot, qui, suivi de quelques officiers à cheval, courait les rues de Paris pour s'assurer de l'état des esprits et pour les disposer à l'insurrection, ` est arrêté près des Tuileries par les gendarmes de la Convention; on le garrotte; on le mène dans la salle du comité de sûreté générale, où étaient déjà les cinq députés.

Immédiatement, cette nouvelle est apportée à la Commune; les tribunes de la salle où elle délibérait étaient remplies, et une foule nombreuse, pleine d'anxiété, couvrait la place de Grève. Coffinhal s'écrie : « Allons délivrer les captifs! Qui me suit? » Trois cents hommes environ partent sous sa conduite. En même temps la Commune envoie aux concierges de toutes les prisons l'ordre de refuser tous les prisonniers qui leur seraient présentés. Elle ordonne de sonner le tocsin, se déclare en insurrection et appelle les sections aux armes. Mais l'immense majorité des citoyens abhorrait le système de la Terreur, qui leur paraissait se personnifier dans Robespierre, et applaudissait avec transport à sa chute.

Il était cinq heures: déjà Maximilien Robespierre avait été conduit au Luxembourg; son frère, à Saint-Lazare; Couthon, à Port-Royal; Saint-Just, aux Écossais; Lebas, à la Conciergerie. Partout les concierges, d'après l'ordre de la Commune, avaient refusé de recevoir les députés mis en arrestation; les administrateurs de police, qui, au nom de la Commune, avaient porté cet ordre et qui

étaient en force, s'étaient emparés de ces députés et les avaient fait monter auprès d'eux dans des voitures. Ainsi délivrés ils furent rapidement conduits à l'hôtel de ville. Là, Robespierre est accueilli avec enthousiasme, on l'embrasse, on jure de mourir pour le défendre.

De son côté, Coffinhal était entré le sabre à la main dans le pavillon du Comité de sûreté générale, avait dispersé les membres, et avait délivré Henriot. Henriot se rend sur la place du Carrousel, et là, s'adressant aux canonniers que la Convention avait appelés pour la défendre, il les excite à tourner leurs canons contre elle. Mais ses exhortations n'étaient accueillies qu'avec défiance. Quant à Coffinhal, il retourne à la Commune, fier de son succès et plein d'espoir.

A sept heures la Convention rentre en séance. La nouvelle de ce qui venait de se passer la frappe d'épouvante. Le président, Collot-d'Herbois, se couvre en signe de détresse et dit : « La chose publique est perdue; il ne nous reste plus qu'à mourir courageusement. » Tallien, Legendre, Barras et quelques autres raniment le courage de leurs collègues, et comme un membre racontait que Henriot allait faire tourner les canons contre l'Asssemblée, une voix s'écrie : « Hors la loi, le brigand! » Ce cri fut le salut de la Convention. Sur-le-champ la mise hors la loi est décrétée. Des représentants, revêtus de leurs insignes, accourent dans le Carrousel vers les canonniers : << Gardez-vous d'écouter ce scélérat; il va vous perdre; la Convention vient de le mettre hors la loi. » Ce mot produit un effet magique. Les canonniers repoussent Henriot; il s'enfuit à toute bride vers l'hôtel de ville.

Ce premier succès ranime l'espoir de la Convention. Enflammée du courage désespéré que lui donne son épouvante, elle prend les mesures les plus hardies;

Elle met hors la loi les cinq représentants rebelles, la municipalité de Paris, le conseil général de la Commune;

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