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supplicié. Tout Paris courut en foule les voir sortir de prison, et battit des mains en versant des larmes1. La famille entière a toujours été depuis ce temps attachée tendrement à M. de Voltaire, qui s'est fait un grand honneur de demeurer leur ami.

On remarqua en ce temps qu'il n'y eut dans toute la France que le nommé Fréron, auteur de je ne sais quelle brochure périodique, intitulée Lettres à la Comtesse, et ensuite, Année littéraire, qui osa jeter des doutes, dans ses ridicules feuilles, sur l'innocence de ceux que le roi, tout son conseil, et tout le public, avaient justifiés si pleinement.

Plusieurs gens de bien engagèrent alors M. de Voltaire à écrire son Traité de la Tolérance, qui fut regardé comme un de ses meilleurs ouvrages en prose, et qui est devenu le catéchisme de quiconque a du bon sens et de l'équité.

Dans ce temps-là même l'impératrice Catherine II, dont le nom sera immortel, donnait des lois à son empire, qui contient la cinquième partie du globe: et la première de ses lois est l'établissement d'une tolérance universelle.

C'était la destinée de notre solitaire des frontières helvétiques de venger l'innocence accusée et condamnée en France. La position de sa retraite entre la France, la Suisse, Genève, et la Savoie, lui attirait

On sait que M. de Voltaire, treize ans après, revint à Pans Lorsqu'il sortait à pied, il était toujours entouré par une foule d'hommes de tout état et de tout âge. On demandait un jour à une femine du peuple, quel était cet homme que l'on suivait avec tant d'empressement. C'est le sauveur des Calas, répondit-elle.

plus d'un infortuné. Toute la famille Sirven, condamnée à la mort dans un bourg auprès de Castres, par les juges les plus ignorants et les plus cruels, se réfugia auprès de ses terres. Il fut occupé huit années entières à leur faire rendre justice, et ne se rebuta jamais. Il en vint enfin à bout.

Nous croyons très utile de remarquer ici qu'un magistrat de village nommé Trinquet, procureur du roi dans la juridiction qui condamna la famille Sirven à la mort, donna ainsi ses conclusions : « Je requiers, < pour le roi, que N. Sirven et N. sa femme, dûment << atteints et convaincus d'avoir étranglé et noyé leur « fille, soient bannis de la paroisse.»

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Rien ne fait mieux voir l'effet que peut avoir dans un royaume la vénalité des charges de judicature.

Son bonheur, qui voulait, à ce qu'il dit, qu'il fût l'avocat des causes perdues, voulut encore qu'il arrachât des flammes une citoyenne de Saint-Omer, nommée Montbailli, condamnée à être brûlée vive par le tribunal d'Arras. On n'attendait que l'accouchement de cette femme pour la transporter au lieu de son supplice. Son mari avait déjà expiré sur la roue. Qui étaient ces deux victimes? deux exemples de l'amour conjugal et de l'amour maternel, deux ames les plus vertueuses dans la pauvreté. Ces innocentes et respectables créatures avaient été accusées de parricide, et jugées sur des allégations qui auraient paru ridicules aux condamnateurs mêmes des Calas. M. de Voltaire fut assez heureux pour obtenir de M. le chancelier de Maupeou, qu'il fit revoir le procès. La dame Montbailli fut déclarée innocente; la mémoire de son mari

réhabilitée; misérable réhabilitation sans vengeance et sans dédommagement! Quelle a donc été la jurisprudence criminelle parmi nous? quelle suite infernale d'horribles assassinats, depuis la boucherie des templiers jusqu'à la mort du chevalier de La Barre! On croit lire l'histoire des sauvages; on frémit un moment, et on va à l'opéra,

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La ville de Genève était plongée alors dans des troubles qui augmentèrent toujours depuis 1763. Cette importunité détermina M. de Voltaire à laisser à M. Tronchin sa maison des Délices, et à ne plus quitter le château de Ferney, qu'il avait fait bâtir de fond en comble, et orné de jardins d'une agréable simplicité.

La discorde fut enfin si vive à Genève, qu'un des partis fit feu sur l'autre, le 15 février 1770. Il y eut du monde tué: plusieurs familles d'artistes cherchè rent un asile chez lui, et le trouvèrent. Il en logea quelques unes dans son château; et en peu d'années il fit bâtir cinquante maisons de pierre de taille pour les autres. De sorte que le village de Ferney, qui n'était, lorsqu'il acquit cette terre, qu'un misérable hameau où croupissaient quarante-neuf malheureux paysans, dévorés par la pauvreté, par les écrouelles, et par les commis des fermes, devint bientôt un lieu de plaisance, peuplé de douze cents personnes, toutes à leur aise, et travaillant avec succès pour elles et pour l'état. M. le duc de Choiseul protégea de tout son pouvoir cette colonie naissante, qui établit un très grand commerce.

Une chose qui mérite, je crois, de l'attention, c'est

que cette colonie se trouvant composée de catholiques et de protestants, il aurait été impossible de deviner qu'il y eût dans Ferney deux religions différentes. J'ai vu les femmes des colons genevois et suisses préparer de leurs mains trois reposoirs pour la procession de la Fête du Saint-Sacrement. Elles assistèrent à cette procession avec un profond respect; et M. Hugonet, nouveau curé de Ferney, homme aussi tolérant que généreux, les en remercia publiquement dans son prône. Quand une catholique était malade, les protestantes allaient la garder, et en recevaient à leur tour la même assistance.

C'était le fruit des principes d'humanité que M. de Voltaire a répandus dans tous ses ouvrages, et surtout dans le livre de la Tolérance dont nous avons parlé. Il avait toujours dit que les hommes sont frères, et il le prouva par les faits. Les Guyon, les Nonotte, les Patouillet, les Paulian, et autres zélés, le lui ont bien reproché ; c'est qu'ils n'étaient pas ses frères.

Voyez-vous, disait-il aux voyageurs qui venaient le voir, cette inscription au-dessus de l'église que j'ai fait bâtir? Deo erexit Voltaire. C'est au Dieu père commun de tous les hommes. En effet c'était peut-être parmi nous la seule église dédiée à Dieu seul.

Parmi ces étrangers qui vinrent en foule à Ferney, on compta plus d'un prince souverain. Il fut honoré d'une correspondance très suivie avec plusieurs d'entre eux, dont les lettres sont entre mes mains. La moins interrompue fut celle de sa majesté le roi de Prusse et de madame Wilhelmine, margrave de Bareith, sa

sœur.

Le temps qui s'écoula entre la bataille de Kollin, le 18 juin 1757, que le roi de Prusse perdit, et la journée de Rosbach, du 5 novembre, où il fut vainqueur, est le temps le plus intéressant de cette correspondance rare entre une maison royale de héros et un simple homme de lettres. En voici une grande preuve dans cette lettre mémorable :"

Lettre de son altesse royale madame la princesse

de Bareith.

Du 12 septembre 1757.

«

་་

« Votre lettre m'a sensiblement touchée; celle que vous m'avez adressée pour le roi a fait le même effet << sur lui. J'espère que vous serez satisfait de sa ré-1 «ponse pour ce qui vous concerne. Mais vous le serez << aussi peu que moi de ses résolutions. Je m'étais flat«tée que vos réflexions feraient quelque impression « sur son esprit. Vous verrez le contraire dans le billet ci-joint. Il ne me reste qu'à suivre sa destinée si elle << est malheureuse. Je ne me suis jamais piquée d'être philosophe, j'ai fait mes efforts pour le devenir. Le « peu de progrès que j'ai fait m'a appris à mépriser les grandeurs et les richesses; mais je n'ai rien trouvé « dans la philosophie qui puisse guérir les plaies du le moyen de s'affranchir de ses maux en «< cessant de vivre. L'état où je suis est pire que la << mort. Je vois le plus grand homme du siècle, mon « frère, mon ami, réduit à la plus affreuse extrémité. Je vois ma famille entière exposée aux dangers et << aux périls; ma patrie déchirée par des impitoyables

"

« cœur que

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