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sanias nous apprend, liv. I, chap. 11, que dans le temple se réduire à un ton de voix modéré; ne se pas de Cérès à Athènes il y avoit une statue de Bacchus por-her à leurs amis sur les moindres affaires, pentant une torche; et l'on voit souvent des torches représentées dans les bas-reliefs ou autres monuments anciens qui retracent des cérémonies religieuses. (Voyez le Musée du Capitole, tome IV, planc. 57, et le Musée Pio Clem., tome V, planche 80.) Dans les grandes Dionysiaques d'Athènes, on en plaçoit sur les toits; et, dans les Saturnales de Rome, on en érigeoit devant les maisons: il en étoit peut-être de même dans les mystères de Cérès; car les mots devant l'autel ne sont point dans le texte.

(5) L'Odéon. Il avoit été bâti par Périclès, sur le modèle de la tente de Xerxès: son comble, terminé en pointe, étoit fait des antennes et des mâts enlevés aux vaisseaux des Perses: il fut brûlé au siége d'Athènes par Sylla.

(6) Fête de Cérès. Voyez ci-dessus. ( La Bruyère. )

(7) En françois, la fête des Tromperies: son origine ne fait rien aux mœurs de ce chapitre. (La Bruyere.) Elle fut instituée et prit le nom que La Bruyère vient d'expliquer, parceque, dans le combat singulier que Mélanthus livra, au nom des Athéniens, à Xanthus, chef des Béotiens, Bacchus vint au secours du premier en trompant Xanthus. On trouvera quelques détails sur les usages de cette fète dans le chap. xxvi d'Anacharsis.

(8) Il auroit mieux valu traduire, « Et les Bacchanales « de la campagne dans le mois de décembre. » (Voyez

ci-dessus, note 3.) Elles se célébroient près d'un temple

appelé Lenæum, ou le temple du pressoir.

On peut consulter, sur les fêtes d'Athènes en général, et sur les mois dans lesquels elles étoient célébrées, la deuxième table ajoutée à l'ouvrage de l'abbé Barthélemy

par son savant et modeste ami M. de Sainte-Croix, qui a éclairci l'histoire et les usages de la Grèce par tant de recherches profondes et utiles.

(9) Littéralement : « Il faut se débarrasser de telles gens,

<et les fuir à toutes jambes. » Aristote dit un jour à un tel causeur : « Ce qui m'étonne, c'est qu'on ait des oreilles « pour t'entendre, quand on a des jambes pour t'é«chapper. »

CHAPITRE IV.

De la rusticité.

Il semble que la rusticité n'est autre chose qu'une ignorance grossière des bienséances. L'on voit en effet des gens rustiques et sans réflexion sortir un jour de médecine (1), et se trouver en cet état dans un lieu public parmi le monde; ne pas faire la différence de l'odeur forte du thym ou de la marjolaine d'avec les parfums les plus délicieux ; être chaussés large et grossièrement; parler haut, et ne pouvoir

dant qu'ils s'en entretiennent avec leurs domestiques, jusqu'à rendre compte à leurs moindres valets (2) de ce qui aura été dit dans une assemblée publique. On les voit assis, leur robe relevée jusqu'aux genoux et d'une manière indécente. Il ne leur arrive pas en toute leur vie de rien admirer, ni de paroître surpris des choses les plus extraordinaires que l'on rencontre sur les chemins (5); mais si c'est un boeuf,. un âne ou un vieux bouc, alors ils s'arrêtent et ne se lassent point de les contempler. Si quelquefois ils entrent dans leur cuisine, ils mangent avidement tout ce qu'ils y trouvent, boivent tout d'une haleine une grande tasse de vin pur; ils se cachent pour cela de leurs servantes, avec qui d'ailleurs ils vont au moulin, et entrent dans les plus petits détails du domestique (4). Ils interrompent leur souper, et se lèvent pour donner une poignée d'herbes aux bêtes de charrue (5) qu'ils ont dans leurs étables. Heurtet-on à leur porte pendant qu'ils dinent, ils sont attentifs et curieux. Vous remarquez toujours proche de leur table un gros chien de cour qu'ils appellent à eux, qu'ils empoignent par la gueule, en disant (6) : Voilà celui qui garde la place, qui prend soin de la maison et de ceux qui sont dedans. Ces gens, épineux dans les paiements qu'on leur fait, rebutent un grand nombre de pièces qu'ils croient légères, ou qui ne brillent pas assez à leurs yeux, et qu'on est obligé de leur changer. Ils sont occupés pendant la nuit d'une charrue, d'un sac, d'une faux, d'une corbeille, et ils rêvent à qui ils ont prêté ees ustensiles. Et lorsqu'ils marchent par la ville: Combien vaut, demandent-ils aux premiers qu'ils rencontrent, le poisson salé? Les fourrures se vendent-elles bien (7)? N'est-ce pas aujourd'hui que les jeux nous ramènent une nouvelle lune (8)? D'autres fois, ne sachant que dire, ils vous apprennent qu'ils vont se faire raser, et qu'ils ne sortent que pour cela (9). Ce sont ces mêmes personnes que l'on entend chanter dans le bain, qui mettent des clous à leurs souliers, et qui, se trouvant tout portés devant la boutique d'Archias (10), achètent eux-mêmes des viandes salées et les rapportent à la main en pleine rue.

NOTES.

(1) Le texte grec nomme une certaine drogue qui rendoit l'haleine fort mauvaise le jour qu'on l'avoit prise. (La Bruyère.) La traduction est plus juste que la note. (Voyez la note de M. Coray sur ce passage.)

chose dont il doit être sûr avant de se mettre en route, et sur-tout dans ce qui suit.

(9) Au lieu de, « D'autres fois, etc.,» le texte porte, « Et il dit sur-le-champ qu'il va en ville pour se faire ra<< ser. » Il ne fait donc cette toilette que le premier jour de chaque mois, en se rendant au marché. Il y a un trait

(2) Le grec dit : « Aux journaliers qui travaillent dans semblable dans les Acharnéens d'Aristophane, v. 998; et << leur champ. »

(3) Il paroît qu'il y a ici une transposition dans le grec, et qu'il faut traduire : « Ni de paroître surpris des choses << les plus extraordinaires ; mais s'ils rencontrent dans leur << chemin un bœuf, etc. »

(4) Le grec dit seulement : « A laquelle ils aident à « moudre les provisions pour leurs gens et pour eux-mê«mes. » L'expression de La Bruyère, « Ils vont au mou« lin, » est un anachronisme. Du temps de Théophraste, on n'avoit pas encore des moulins communs; mais on faisoit broyer ou moudre le blé que l'on consommoit dans chaque maison, par un esclave, au moyen d'un pilon ou d'une espèce de moulin à bras. (Voyez Pollux, livre I, segm. 78, et liv. VII, segm. 180.) Les moulins à eau n'ont été inventés que du temps d'Auguste, et l'usage du pilon étoit encore assez général du temps de Pline.

(5) Des bœufs. (La Bruyère.) Le grec dit en général, des bêtes de trait.

(6) Au lieu de, « Heurte-t-on, etc.,» le grec dit simplement : « Si quelqu'un frappe à sa porte, il répond lui« même, appelle son chien, et lui prend la gueule, en « disant : Voilà, etc. »

(7) Le grec porte : « Lorsqu'il se rend en ville, il de« mande au premier qu'il rencontre : Combien vaut le

<<< poisson sale? et quel est le prix des habits de peaux ? »

Ces habits étoient le vetement ordinaire des pâtres, et peut-être des pauvres et des campagnards en général.

Suidas le cite et l'explique en parlant de la néoménie. Du temps de Théophraste, les Athéniens élégants paroissent avoir porté les cheveux et la barbe d'une longueur moyenne, qui devoit être toujours la même, et on les faisoit par conséquent couper très souvent. (Voyez chap. xxvi, note 6; et le chap. v, ci-après.) C'étoit donc une rusticité de laisser croître les cheveux et la barbe pendant un mois : et cette malpropreté suppose de plus le ridicule, reproché dans le chap. x à l'avare, de se faire raser ensuite jusqu'à la peau, afin que les cheveux ne dépassent pas de sitôt la juste

mesure.

(10) Fameux marchand de chairs salées, nourriture ordinaire du peuple. (La Bruyère.) Il falloit dire, de poisson salé.

CHAPITRE V.

Du complaisant, ou de l'envie de plaire.

Pour faire une définition un peu exacte de cette affectation que quelques uns ont de plaire à tout le monde, il faut dire que c'est une manière de vivre où l'on cherche beaucoup moins ce qui est vertueux et honnête, que ce qui est agréable (1). Celui qui a cette passion, d'aussi loin qu'il aperçoit un homme dans la place, le salue, en s'écriant: Voilà ce qu'on appelle un homme de bien; l'aborde, l'admire sur les moindres choses, le retient avec ses deux mains, de peur qu'il ne lui échappe; et après avoir fait quelques pas avec lui, il lui demande avec empressement quel jour on pourra le voir, et enfin ne s'en sépare qu'en lui donnant mille éloges. Si quelqu'un le choisit pour arbitre dans un procès, il ne doit pas attendre de lui qu'il lui soit plus favorable qu'à son adversaire (2): comme il veut plaire à tous deux, il les ménagera également. C'est dans cette vue que, pour se concilier tous les étrangers qui sont dans la les premiers du mois. Selon plusieurs gloses anciennes rapportées par Henri Estienne, le même mot a aussi toutes ville, il leur dit quelquefois qu'il leur trouve les significations du mot latin forum. Cette phrase peut plus de raison et d'équité que dans ses concidonc être traduite ainsi : « Le forum célèbre-t-il aujour-toyens. S'il est prié d'un repas, il demande en «d'hui la néoménie? » c'est-à-dire : « Est-ce aujourd'hui

(8) Cela est dit rustiquement; un autre diroit que la nouvelle lune ramène les jeux ; et d'ailleurs c'est comme si, le jour de Pâques, quelqu'un disoit : N'est-ce pas aujourd'hui Pâques? (La Bruyère.) Quoique la version adoptée par La Bruyère soit celle de Casaubon, j'observerai que le

mot la néoménie, que ce savant critique traduit par la nouvelle lune, n'est que le simple nom du premier jour du mois, où il y avoit un grand marché à Athènes, et où l'on payoit les intérêts de l'argent. (Voyez Aristoph.,

Vesp.. 171, et Schol. et Nub., acte IV, scène ш.) Il ne

s'agit pas non plus de jeux, puisqu'il n'y en avoit pas tous

« le premier du mois et le jour du marché? » Le ridicule

n'est pas dans l'expression, mais en partie dans ce que le campagnard demande à un homme qu'il rencontre une

entrant à celui qui l'a convié où sont ses enfants; et, dès qu'ils paroissent, il se récrie sur la ressemblance qu'ils ont avec leur père, et que

ble à ceux avec lesquels il vit. Caractère auquel on ne peut faire d'autre reproche que ce que Théophraste a dit quelque part des honneurs et des places, qu'il ne faut point les briguer par un commerce agréable, mais par une conduite vertueuse. Il en est de même de la véritable

deux figues ne se ressemblent pas mieux : ille simple plaisir de louer, et ne demande que d'être agréales fait approcher de lui, il les baise; et les ayant fait asseoir à ses deux côtés, il badine avec eux: A qui est, dit-il, la petite bouteille? à qui est la jolie cognée (3)? Illes prend ensuite sur lui et les laisse dormir sur son estomac,

amitié.

chapitre appartenoit à un autre caractère; mais il ne s'y trouve aucun trait qui ne convienne parfaitement à un homme qui veut plaire à tout le monde, en tout et partout autre définition de l'envie de plaire, selon Aristote.

Quelques critiques ont cru que la seconde moitié de ce

(2) Chaque partie étoit représentée ou assistée par un arbitre : ceux-ci s'adjoignoient un arbitre commun : le complaisant, étant au nombre des premiers, se conduit comme s'il étoit l'arbitre commun. (Voyez Dém. c. Neær., édit. R., tom. II, pag. 1560, et Anach., chap. xvI.)

(3) Petits jouets que les Grecs pendoient au cou de leurs enfants. (La Bruyère.) M. Visconti a expliqué, dans le volume III de son Museo Pio Clementino, planche 22, une statue antique d'un petit enfant qui porte une écharpe toute composée de jouets de ce genre, qui paroissent être en partie symboliques. La hache s'y trouve très distinctement, et l'éditeur croit qu'elle est relative au culte des Cabires. Le même savant pense que l'outre dont il est question ici peut être un symbole bachique. Cependant, comme le grec dit seulement, il joue avec eux, en disant outre, hache, il est possible aussi que ce fussent des mots usités dans quelque jeu, dont cependant je ne trouve aucune trace dans les savants traités sur cette matière ras

quoiqu'il en soit incommodé. Celui enfin qui veut plaire se fait raser souvent, a un fort grand soin de ses dents, change tous les jours d'habits et les quitte presque tout neufs : il ne sort point en public qu'il ne soit parfumé (4). On ne le voit guère dans les salles publiques qu'auprès des comptoirs des banquiers (5); et, dans les écoles, qu'aux endroits seulement où s'exercent les jeunes gens (6); ainsi qu'au théâtre, les jours de spectacle, que dans les meilleures places et tout proche des préteurs (7). Ces gens encore n'achètent jamais rien pour eux; mais ils envoient à Byzance toute sorte de bijoux précieux, des chiens de Sparte à Cyzique (8), et à Rhodes l'excellent miel du mont Hymette; et ils prennent soin que toute la ville soit informée qu'ils font ces emplettes. Leur maison est toujours remplie de mille choses curieuses qui font plaisir à voir, ou que l'on peut donner, comme des singes et des satyres (9) qu'ils savent nourrir, des pigeons de Sicile, des dés qu'ils font semblés dans le septième volume du Trésor de Gronovius. faire d'os de chèvre (10), des fioles pour des parfums (11), des cannes torses que l'on fait à Sparte, et des tapis de Perse à personnages. Ils ont chez eux jusqu'à un jeu de paume et une arène propre à s'exercer à la lutte (12); et s'ils se promènent par la ville, et qu'ils rencontrent en leur chemin des philosophes, des sophis-servoit, selon l'expression du scoliaste d'Aristophane, ad tes (13), des escrimeurs ou des musiciens, ils leur offrent leur maison (14) pour s'y exercer chacun dans son art indifféremment : ils se trou(5) C'étoit l'endroit où s'assembloient les plus honnêtes vent présents à ces exercices; et se mêlant avec gens de la ville. (La Bruyère.) Le grec porte : « Dans la ceux qui viennent là pour regarder: A qui croyez<< place publique, etc. » Les Athéniens faisoient faire presvous qu'appartiennent une si belle maison et que toutes leurs affaires par leurs banquiers. (Voyez Saucette arène si commode? Vous voyez, ajoutent-maise, de Usuris, et Boettiger, dans le Mercure allemand ils en leur montrant quelque homme puissant du mois de janvier 1802.) de la ville, celui qui en est le maître, et qui en peut disposer (15).

NOTES.

(4) Le grec porte : « Il s'oint avec des parfums pré<< cieux. » Il paroit qu'on ne se servoit ordinairement que

d'huile pure, ou plus légèrement parfumée que l'espèce

dont il est question ici. Cette opération avoit lieu sur-tout au sortir du bain, dont les anciens faisoient, comme on sait, un usage extrêmement fréquent; elle consistoit à se faire frotter tout le corps avec ces matières grasses, et

Plut., 616, à fermer à l'entrée de l'air les pores ouverts

par la chaleur.

(6) Pour être connu d'eux et en être regardé, ainsi que de tous ceux qui s'y trouvoient. (La Bruyère.) Théophraste parle des gymnases, qui étoient de vastes édifices entourés de jardins et de bois sacrés, et dont la première cour étoit entourée de portiques et de salles garnies de siéges où les

(1) D'après Aristote, le complaisant se distingue du flat-philosophes, les rhéteurs et les sophistes rassembloient teur en ce que le premier a un but intéressé, tandis que le second vit entièrement pour les autres, loue tout pour

leurs disciples. Il paroît que tous les gens bien élevés ne cessoient de fréquenter ces établissements, dont les plus

importants étoient l'Académie, le Lycée et le Cynosarge. (Voyez chap. vi du Voyage du jeune Anacharsis. )

(7) Le texte grec dit : « Des stratéges, » ou généraux. C'étoient dix magistrats, dont l'un devoit commander les armées en temps de guerre; mais il paroît que déja, du temps de Démosthène, ils n'avoient presque plus d'autres fonctions que de représenter dans les cérémonies publiques. (Voyez l'ouvrage que je viens de citer, chap. x.)

(8) D'après Aristote, cette race des meilleurs chiens de chasse de la Grèce provenoit de l'accouplement de cet animal et du renard. Byzance, devenue depuis Constantinople, étoit déja une ville importante du temps de Théophraste. Cyzique étoit un port de la Mysie, sur la Pro

pontide.

CHAPITRE VI.

De l'image d'un coquin (1).

Un coquin est celui à qui les choses les plus honteuses ne coûtent rien à dire ou à faire, qui jure volontiers et fait des serments en justice autant qu'on lui en demande : qui est perdu de réputation; que l'on outrage impunément, qui est un chicaneur (2) de profession, un effronté, et quí se mêle de toutes sortes d'affaires. Un homme de ce caractère entre sans masque dans une danse comique (3), et même sans être ivre; mais de sang-froid il se distingue dans la danse

(9) Une espèce de singes. (La Bruyère.) Des singes à la plus obscène (4) par les postures les plus incourte queue, disent les scoliastes de ce passage.

(10) Vraisemblablement d'os de gazelles de Libye, comme ceux dont parle Lucien. (In amorib., lib. I.) Des dés d'os de chèvre ne vaudroient pas la peine d'être cités.

(11) Littéralement : « Des flacons bombés de Thurium,» ou d'après une autre leçon, « de Tyr, » ou plutôt « de << sable tyrien, » c'est-à-dire de verre, pour la fabrication duquel on se servoit alors de ce sable exclusivement, ce qui donnoit une très grande valeur à cette matière. On ne connoît aucune fabrique célèbre de vases dans les différentes villes qui portèrent le nom de Thurium. Ce ne fut que du temps des Romains que les ustensiles de verre cessèrent d'être chers, et qu'on put les avoir à un prix très bas. (Voyez Strab., liv. XVI, suivant la correction certaine de Casaubon. Cette note m'a été communiquée par M. Visconti.)

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décentes: c'est lui qui, dans ces lieux où l'on voit des prestiges (5), s'ingère de recueillir l'argent de chacun des spectateurs, et qui fait querelle à ceux qui, étant entrés par billets, croient ne devoir rien payer (6). Il est d'ailleurs de tous métiers; tantôt il tient une taverne, tantôt il est suppôt de quelque lieu infame, une autre fois partisan (7): il n'y a point de si sale commerce où il ne soit capable d'entrer. Vous le verrez aujourd'hui crieur public, demain cuisinier ou brelandier (8): tout lui est propre. S'il a une mère, il la laisse mourir de faim (9) : il est sujet au larcin, et à se voir traîner par la ville dans une prison, sa demeure ordinaire, et où il passe une partie de sa vie. Ce sont ces sortes de gens que l'on voit se faire entourer du peuple, appeler ceux qui passent, et se plaindre à eux avec une voix forte et enrouée, insulter ceux qui les contredisent. Les uns fendent la presse pour les voir, pendant que les autres, contents de les avoir vus, se dégagent et poursuivent leur chemin sans vouloir les écouter; mais ces effrontés continuent de parler : ils disent à celuici le commencement d'un fait, quelque mot à cet autre ; à peine peut-on tirer d'eux la moindre partie de ce dont il s'agit (10); et vous remarquerez qu'ils choisissent pour cela des jours d'assemblée publique, où il y a un grand concours de monde, qui se trouve le témoin de leur insolence. Toujours accablés de procès que l'on intente contre eux, ou qu'ils ont intentés à d'autres, de ceux dont ils se délivrent par faux serments, comme de ceux qui les obligent de comparoître, ils n'oublient jamais de porter

de

leur boîte (11) dans leur sein, et une liasse de papiers entre leurs mains; vous les voyez dominer parmi les vils praticiens (12), à qui ils prêtent à usure, retirant chaque jour une obole et demie de chaque drachme (13); ensuite fréquenter les tavernes, parcourir les lieux où l'on débite le poisson frais ou salé, et consumer ainsi en bonne chère tout le profit qu'ils tirent de cette espèce de trafic. En un mot, ils sont querelleurs et difficiles, ont sans cesse la bouche ouverte à la calomnie, ont une voix étourdissante, et qu'ils font retentir dans les marchés et dans les boutiques.

(1) De l'Effronterie.

NOTES.

(2) Le mot grec employé ici, et qui se retrouve encore à la fin du chapitre, signifie un homme qui se tient toujours sur le marché, et qui cherche à gagner de l'argent, soit par des dénonciations ou de faux témoignages dans des tribunaux, soit en achetant des denrées pour les revendre; métier odieux chez les anciens. (Voyez les notes de Duport sur ce passage.)

(3) Sur le théâtre avec des farceurs. (La Bruyère.)

(4) Cette danse, la plus déréglée de toutes, s'appeloit en grec cordax, parceque l'on s'y servoit d'une corde pour faire des postures. (La Bruyère.) Cette étymologie est inadmissible, car le terme grec d'où nous vient le mot de corde commence par une autre lettre que le mot cordax, et ne s'emploie que pour des cordes de boyau, telles que celles de la lyre et de l'arc. Casaubon n'a cru que le cordax se dansoit avec une corde, que parceque Aristophane dit quelque part cordacem trahere, et peut-être parcequ'il se rappeloit que, dans les Adelphes de Térence, acte IV, scène VII, Demea demande : Tu inter eas restim ductans saltabis? Mais, quoique dans cette phrase la corde soit expressément nommée, Donatus pense qu'il n'y est question que de se donner la main; et c'est aussi tout ce qu'on peut conclure de l'expression d'Aristophane au sujet du cordax. M. Visconti, auquel je dois cette observation, s'en sert dans un Mémoire inédit sur le bas-relief des danseuses de la villa Borghèse pour éclaircir le passage célèbre de Tite-Live, liv. XVII, chap. xxxvII, où, en parlant d'une danse sacrée, cet auteur se sert de l'expression restim dare.

(5) Choses fort extraordinaires, telles qu'on en voit dans nos foires. (La Bruyère.)

(6) Le savant Coray a observé avec raison qu'il faut ajouter une négation à cette phrase. Je traduis : « A ceux « qui n'ont point de billet, et veulent jouir du spectacle « gratis. » Il est question ici de farces jouées en pleine rue,

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et dont, par conséquent, sans la précaution de distribuer des billets à ceux qui ont payé, et d'employer quelqu'un à quereller ceux qui n'en ont pas, tout le monde peut jouir. Cette observation, qui n'avoit pas encore été faite, contredit l'induction que le savant auteur du Voyage du jeune Anacharsis a tirée de ce passage dans le chapitre LXX de cet ouvrage.

(7) La Bruyère désigne ordinairement par ce mot les riches financiers; ici il n'est question que d'un simple commis au port, ou de quelque autre employé subalterne de la ferme d'Athènes.

(8) Joueur de dés. Aristote donne une raison assez délicate du mal qu'il trouve dans un jeu intéressé : « On y << gagne, dit-il, l'argent de ses amis, envers lesquels on << doit au contraire se conduire avec générosité.

(9) La loi de Solon, qui n'étoit en cela que la sanction de la loi de la nature et du serment, ordonnoit de nourrir ses parents, sous peine d'infamie.

(10) Cette circonstance est ajoutée par La Bruyère; Théophraste ne parle que de l'impudence qu'il y a á continuer une harangue dans les rues, quoique personne n'y fasse attention, et que chaque phrase s'adresse à un public différent.

(11) Une petite boîte de cuivre fort légère, où les plaideurs mettoient leurs titres et les pièces de leurs procès. (La Bruyère.) C'étoit au contraire un grand vase de cuivre ou de terre cuite, placé sur la table des juges pour y déposer les pièces qu'on leur soumettoit; et Théophraste ne se sert ici de ce terme que pour plaisanter sur l'énorme quantité de papiers dont se chargent ces chicaneurs. (Voyez le scol. d'Aristophane, Vesp., 1427, et la scolie sur ce passage de Théophraste donnée par Fischer.)

(12) Ici le mot grec dont j'ai parlé dans la note 2 ne peut avoir d'autre signification que celle des petits marchands de comestibles auxquels l'effronté prête de l'argent, et chez lesquels il va ensuite en retirer les intérêts, en mettant cet argent dans la bouche, comme c'étoit l'usage parmi le bas peuple d'Athènes. Casaubon avoit fait sur ce dernier point une note aussi juste qu'érudite, et La Bruyère n'auroit pas dû s'écarter de l'explication de ce savant.

(13) Une obole étoit la sixième partie d'une drachme. (La Bruyère.) L'effronté prend donc un quart du capital par jour. (Voyez sur l'usure d'Athènes le Voyage du jeune Anacharsis, chap. LV.)

CHAPITRE VII.

Du grand parleur (1).

Ce que quelques uns appellent babil est proprement une intempérance de langue qui ne

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