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<< un article de journal, ou une brochure tout au

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plus. Et notez ceci en passant, mal compris de «< ceux qui chez vous se mêlent d'écrire, il n'y a point de bonne pensée qu'on ne puisse expli« quer en une feuille, et développer assez; qui << s'étend davantage, souvent ne s'entend guère, <«< ou manque de loisir, comme dit l'autre, pour << méditer et faire court.

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« De la sorte, en Amérique, sans savoir ce que «< c'est qu'écrivain ni auteur, on écrit, on imprime, on lit autant ou plus que nulle part ailleurs, et des choses utiles, parce que là vrai<<< ment il y a des affaires publiques, dont le «< public s'occupe avec pleine connaissance, sur lesquelles chacun consulté opine et donne son <«< avis. La nation, comme si elle était toujours << assemblée, recueille les voix et ne cesse de dé<< libérer sur chaque point d'intérêt commun, et « forme ses résolutions de l'opinion qui prévaut << dans le peuple, dans le peuple tout entier, sans << exception aucune; c'est le bon sens de Franklin. << Aussi ne fait-elle point de bévues et se moque <<< des cabinets, des boudoirs même peut-être.

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« De semblables idées dans vos pays de bou«< doirs, ne réussiraient pas, je le crois, près des << dames. Cette forme de gouvernement s'accom<«< mode mal des pamphlets et de la vérité naïve. <<< Il ferait beau parler bon sens, alléguer l'opinion publique à mademoiselle de Pisseleu, à made

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<< moiselle Poisson, à madame du B...., à madame « du C.... Elles éclateraient de rire les aimables << personnes en possession chez vous de gouverner l'état, et puis feraient coffrer le bon sens et << Franklin et l'opinion. Français charmants! sous l'empire de la beauté, des graces, vous êtes un peuple courtisan, plus que jamais maintenant. << Par la révolution, Versailles s'est fondu dans la << nation; Paris est devenu l'OEil-de-Boeuf. Tout << le monde en France fait sa cour. C'est votre art, << l'art de plaire dont vous tenez école ; c'est le génie de votre nation. L'Anglais navigue, l'Arabe pille, le Grec se bat pour être libre, le Français fait la révérence et sert ou veut servir; il mourra << s'il ne sert. Vous êtes, non le plus esclave, mais « le plus valet de tous les peuples.

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« C'est dans cet esprit de valetaille que chez vous chacun craint d'être appelé pamphlétaire. « Les maîtres n'aiment point que l'on parle au public ni de quoi que ce soit, sottise de Rovigo qui, voulant de l'emploi, fait, au lieu d'un placet, un pamphlet, où il a beau dire, comme j'ai servi je servirai, on ne l'écoute seulement << pas, et le voilà sur le pavé. Le vicomte pamphlétaire est placé, mais comment ? Ceux qui « l'ont inis et maintiennent là n'en voudraient << pas chez eux. Il faut des gens discrets dans la << haute livrée, comme dans tout service, et n'est

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<«< s'il imprime, et des brochures encore! Quand « M. de Broë vous appela pamphlétaire, c'était <«< comme s'il vous eût dit: Malheureux, qui « n'auras jamais ni places ni gages; misérable, << tu ne seras dans aucune antichambre, de la vie « n'obtiendras une faveur, une grâce, un sourire officiel, ni un regard auguste. Voilà ce qui fit « frissonner et fut cause qu'on s'éloigna de vous quand on entendit ce mot.

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«En France vous êtes tous honnêtes gens, << trente millions d'honnêtes gens qui voulez gou« verner le peuple par la morale et la religion. << Pour le gouverner on sait bien qu'il ne faut << pas lui dire vrai. La vérité est populaire, popu<< lace même, s'il se peut dire, et sent tout-à-fait «< la canaille, étant l'antipode du bel air, diamé<< tralement opposée au ton de la bonne compagnie. Ainsi le véridique auteur d'une feuille ou « brochure un peu lue, a contre lui de nécessité « tout ce qui ne veut pas être peuple, c'est-à-dire « tout le monde chez vous. Chacun le désavoue, « le renie. S'il s'en trouve toujours néanmoins, << par une permission divine, c'est qu'il est né«< cessaire qu'il y ait du scandale. Mais malheur « à celui par qui le scandale arrive, qui sur quelque sujet important et d'un intérêt général << dit au public la vérité. En France, excommu<< nié, maudi, enfermé par faveur à Sainte-Pélagie, mieux lui vaudrait n'être pas né.

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« Mais c'est là ce qui donne créance à ses pa« roles, la persécution. Aucune vérité ne s'établit << sans martyrs, excepté celles qu'enseigne Eu«< clide. On ne persuade qu'en souffrant pour ses opinions; et saint Paul disait : Croyez-moi, car

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je suis souvent en prison. S'il eût vécu à l'aise <«<et se fût enrichi du dogme qu'il prêchait, ja<< mais il n'eût fondé la religion du Christ. Jamais « F.... ne fera de ses homélies que des emplois et un carrosse. Toi donc, vigneron, Paul-Louis, qui seul en ton pays consens à être homme du

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peuple, ose encore être pamphletaire et le dé<«< clarer hautement. Ecris, fais pamphlet sur pamphlet, tant que la matière ne te manquera. « Monte sur les toits, prêche l'évangile aux na<«<tions et tu en seras écouté, si l'on te voit per«< sécuté; car il faut cette aide et tu ne ferais rien << sans M. de Broë. C'est à toi de parler et à lui de << montrer par son réquisitoire la vérité de tes paroles. Vous entendant ainsi et secondant l'un << l'autre, comme Socrate et Anytus, vous pouvez « convertir le monde. »

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Voilà l'épître que je reçois de mon tant bon ami sir John, qui, sur les pamphlets, pense et me conseille au contraire de M. Arthus Bertrand. Celui-ci ne voit rien de si abominable, l'autre rien de si beau. Quelle différence! et remarquez ; le Français léger ne fait cas que des lourds volumes, le gros Anglais veut mettre tout en feuilles

volantes; contraste singulier, bizarrerie de nature! Si je pouvais compter que delà l'Océan les choses sont ainsi qu'il me les représente, j'irais; mais j'entends dire que là, comme en Europe, il y a des Excellences et, bien pis, des héros. Ne partons pas, mes amis, n'y allons point encore. Peut-être, Dieu aidant, peut-être, auronsnous ici autant de liberté, à tout prendre, qu'ailleurs, quoi qu'en dise sir John. Bonhomme en vérité! J'ai peur qu'il ne s'abuse, me croyant fait pour imiter Socrate jusqu'au bout. Non, détournez ce calice; la ciguë est amère, et le monde de soi se convertit assez sans que je m'en mêle, chétif. Je serais la mouche du coche, qui se passera bien de mon bourdonnement. Il va, mes chers amis, et ne cesse d'aller. Si sa marche nous paraît lente, c'est que nous vivons un instant. Mais que de chemin il a fait depuis cinq ou six siècles! A cette heure, en plaine roulant, rien ne le peut plus arrêter.

FIN DU TOME PREMIER.

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