Page images
PDF
EPUB

peuple, toutes ces précautions ne servaient de rien. On était enfermé comme suspect, puis jugé comme conspi

rateur.

XXX

SUITE DE LA TERREUR.

CHUTE DES CORDELIERS.

Au milieu de toutes ces horreurs, les hommes qui avaient alors le pouvoir en main et que l'on confondait sous le nom général de Terroristes, Montagnards, Jacobins, Cordeliers, membres de la Commune de Paris, vivaient dans des transes continuelles, se défiant les uns des autres, toujours prêts à se dénoncer et à s'exterminer mutuellement.

Depuis la chute de la Gironde, deux partis faisaient obstacle à Robespierre, qui, secondé de Saint-Just et de Couthon, voulait être maître absolu; celui de Danton et celui d'Hébert.

Il craignait Danton; quant à Hébert, il le méprisait profondément et il ne pouvait lui pardonner, non plus qu'à Chaumette, d'avoir impatronisé officiellement l'athéisme en France.

Aussi ce fut pour lui un grand sujet de joie que de voir le parti de Danton et celui d'Hébert se déclarer la guerre, et l'on assure qu'il fomenta entre eux cette discorde, dont il espérait profiter pour les perdre les uns par les autres. La guerre entre les Dantonistes et les Hébertistes eut lieu d'abord dans les journaux et dans les clubs.

Hébert et ses amis trouvaient qu'on n'allait point assez vite; ils eussent voulu des massacres en masse.

Danton et surtout son ami Desmoulins commençaient au contraire à s'alarmer de ces proscriptions, qui avaient été tout à fait de leur goût tant qu'on n'avait versé que le sang des royalistes, des constitutionnels et des amis de la

Gironde, mais qui paraissaient vouloir s'étendre beaucoup plus loin. Ce n'est point qu'ils supposassent possible qu'on les attaquât eux-mêmes; mais ils auraient voulu que tout ce qui était Cordelier et Jacobin fût épargné.

La discussion entre les deux partis commença dès l'automne de 1793; elle parut s'apaiser, puis se ralluma avec une nouvelle fureur dans les mois de février et de mars suivants.

Robespierre surveillait tout, et quand il crut avoir trouvé le moment favorable, il porta inopinément aux Hébertistes un coup terrible.

A son instigation, Saint-Just les dénonça à la Convention au nom du Comité de salut public.

Or, une dénonciation faite par le Comité de salut public, à cette époque, c'était l'annonce certaine d'une mise en accusation suivie presque immédiatement du supplice.

Il va sans dire qu'Hébert, Chaumette, Anacharsis Clootz, Momoro et leurs amis furent accusés (les Girondins avaient introduit cet usage) d'être des conspirateurs royalistes soudoyés par Pitt et par Cobourg, et travaillant à la restauration de la monarchie.

En même temps quelques Conventionnels, Fabre-d'Églantine, poëte comique, auteur du Philinte de Molière, l'ex-capucin Chabot et d'autres étaient prévenus de concussion et de fraudes, qui les avaient illégalement enrichis; mais tous ces hommes excitent si peu d'intérêt que l'histoire s'est à peine occupée de relater les griefs allégués contre eux.

Leur plus grand crime, à ce que disait Robespierre, c'était de chercher à déconsidérer la République par leurs vices; il voyait là de leur part une conspiration, et, en sa qualité d'homme éminemment vertueux, il se montra implacable envers d'anciens amis qui lui avaient rendu plus d'un service.

Dans son rapport Saint-Just parla longuement de trames

[ocr errors]

ourdies par Pitt, Cobourg et les puissances étrangères, pour détruire le gouvernement républicain par la corruption, et désigna suffisamment, sans le nommer, le rédacteur du Père Duchêne. « Quoi! » s'écria-t-il, « notre gouvernement serait humilié au point d'être la proie d'un scélérat, qui a fait marchandise de sa plume et de sa conscience, et qui varie, selon l'esprit et le danger, ses couleurs, comme un reptile qui rampe au soleil!... Fripons, mauvais citoyens, allez aux ateliers, allez sur les navires, allez labourer la terre! allez dans les combats!... Mais non, vous n'irez point; l'échafaud vous attend! »

Prophétie promptement vérifiée. Dans la nuit suivante, le Comité de salut public fit enlever Hébert, Chaumette, Clootz et plusieurs autres.

Le 22 mars, la France apprit leur prétendue conjuration, et en même temps leur supplice, par une proclamation que Barrère avait rédigée, et dans laquelle la Convention, pour rassurer les citoyens que les doctrines anarchiques d'Hébert avaient alarmés ou pour effrayer ceux qui seraient tentés de l'imiter, déclarait que la justice et la probité étaient l'âme de la République française. « Nous ne cesserons de vous répéter cette vérité : le gouvernement d'un peuple libre n'a d'autre garantie que la justice et la vertu du peuple. Ceux qui cherchent à altérer sa justice et à corrompre sa vertu, ôtent au gouvernement sa garantie et au peuple son gouvernement; ils doivent donc périr plutôt que la République. »

Hébert était aussi lâche que barbare; quand il arriva près de l'échafaud, il perdit trois fois connaissance. Chaumette, l'évêque Gobel et plusieurs autres furent condamnés comme ses complices.

A la place d'Hébert et de Chaumette, on mit à la tête de la Commune des Jacobins plus complétement dévoués à Robespierre, Fleuriot-Lescot, Payan, Cofinhal.

C'est la première fois que la hache tombait sur la tête

d'hommes qui avaient pris part à tous les excès commis jusqu'alors. Danton et Desmoulins applaudirent à leur chute, se croyant eux-mêmes inviolables, et ne pensant point que, s'ils avaient quelques démêlés avec le Comité de salut public, ils pussent jamais courir d'autre péril que de subir les froids et cruels sarcasmes de Robespierre. Desmoulins, qui avait tant plaisanté sur les victimes que la fureur populaire avait massacrées, plaisantait alors sur Saint-Just et sur sa mine altière. « Il porte, » disait-il, « sa tête comme un saint-sacrement. » On rapporta le mot à Saint-Just. « Et moi, » dit-il, « je lui ferai porter la sienne comme saint Denis. » Il n'est pas indigne de l'histoire de relater de tels mots; ils peignent ces hommes.

Robespierre avait vu que, loin de soutenir Hébert, Chaumette et leurs amis, la population de Paris avait applaudi à leur supplice; il sentit alors toute sa force, et il frappa un coup inouï.

Huit jours après le supplice d'Hébert, le Comité de salut public, au milieu de la nuit, fit saisir Danton avec Desmoulins et Hérault de Séchelles, ses principaux adhérents et plusieurs autres, et les fit jeter en prison. Danton ne pouvait pas croire qu'on eût osé porter la main sur lui, et quand il arriva dans la prison du Luxembourg, sa présence produisit une émotion extraordinaire. On les transporta ensuite à la Conciergerie, dans le cachot qu'avaient .occupé les Girondins.

Dès le lendemain matin, le Comité vint, par l'organe de Saint-Just, exposer à la Convention les motifs de l'arrestation, et demanda la tête des accusés. Alors la Montagne fut glacée de terreur; chacun craignait d'être frappé à son tour, et Legendre hasarda quelques mots en faveur des accusés. Robespierre lui dit froidement : « Poursuis, il est bon que nous conaissions tous leurs complices. » Legendre se tut, et personne après lui n'osa élever la voix. C'est, comme je l'ai dit, Saint-Just qui s'était chargé du rapport

et qui, au nom du Comité de salut public, était monté à la tribune. Tant que les terroristes avaient frappé en dehors des leurs, ils avaient montré une sorte de logique; mais alors ils dépassèrent toutes les limites de l'absurde. Ils désignaient Danton et Desmoulins par le nom de faction des indulgents; ils les accusaient d'être modérés; à en croire Saint-Just, dans son rapport, Danton avait conspiré successivement avec les Feuillants et avec les Girondins, et tout récemment avec Hébert et Chaumette, pour seconder Pitt et Cobourg et placer Louis XVII sur le trône.

Les membres du tribunal révolutionnaire, Fouquier surtout, ne virent pas sans effroi comparaître les accusés en leur présence. Quand on demanda à Danton son nom et sa demeure, il répondit : « Mon nom est inscrit au Panthéon de l'histoire, ma demeure sera bientôt dans le néant. » Desmoulins dit : « J'ai l'âge du sans-culotte Jésus-Christ, trentetrois ans, âge fatal aux révolutionnaires. » En entendant la lecture de l'acte d'accusation, Danton était hors de lui. « Je sens, » disait-il, « tout mon être frémir d'horreur. Où sont mes accusateurs? Je veux les voir paraître; je veux leur répondre. » Et il réclamait à grands cris la présence de Saint-Just et de Robespierre. Plusieurs autres accusés le secondaient de leurs clameurs. Tous ces cris, les murmures du public, la voix de Danton, la sonnette du président, formaient un tumulte horrible. Les juges paraissaient intimidés. Danton leur lançait des regards affreux, Desmoulins, dit-on, leur jetait des boulettes de pain au visage. Fouquier, éperdu, lève la séance, écrit au Comité de salut public que les accusés sont en pleine révolte. Le Comité fait rendre sur-le-champ par la Convention un décret qui autorise le tribunal à mettre les accusés hors des débats, et à terminer leur affaire sans les entendre. En conséquence, le lendemain les accusés, ayant voulu ouvrir la bouche, furent sur-le-champ renvoyés en pri

« PreviousContinue »