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tronomie. Tantôt astronome, et tantôt antiquaire, il observait ou les cieux ou d'anciens monumens avec des yeux éclairés de la lumière propre à chaque objet, ou plutôt il savait prendre des yeux différens selon ses différens objets. Nous ne donnerons pour exemple de cette remarque alternative, que ses deux derniers ouvrages imprimés à une année l'un de l'autre. Le premier en 1727, Camera ed Inscrizioni Sepolcrali de Liberti, Servi, ed Ufficiali della Casa di Augusto, etc. Le second en 1728, Hesperi et Phosphori nova phænomena, sive observationes circa planetam Veneris.

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On découvrit en 1726, hors de Rome, sur la voie Appienne un bâtiment souterrain consistant en trois grandes salles, dont les murs étaient percés dans toute leur étendue de niches pareilles à celles que l'on fait dans les colombiers, afin que les pigeons s'y logent. Elles étaient remplies le plus souvent de quatre urnes cinéraires, et accompagnées d'inscriptions, qui marquaient le nom et la condition des personnes dont on voyait les cendres tous étaient ou esclaves ou affranchis de la maison d'Auguste, et principalement de celle de Livie. L'édifice était magnifique, tout de marbre, avec des ornemens de mosaïque d'un bon goût. Bianchini ne manqua pas de sentir toute la joie d'un antiquaire, et de se livrer avec transport à sa curiosité. pensa lui en coûter la vie : il allait tomber de quarante pieds de haut dans ces ruines, et il fit, pour se retenir, un effort violent dont il fut long-temps fort incominodé; ce qui interrompit les observations qu'il faisait en même temps sur Vénus. Il s'enfermait donc le jour dans le colombier sépulcral et souterrain, et la nuit il montait dans son observatoire. Il a donné une description exacte de ce colombier, et toutes les recherches savantes qu'on peut faire à l'occasion des inscriptions, surtout l'explication d'un grand nombre de noms d'offices, qui sont sans doute d'une excellente latinité, vu le siècle, mais d'une latinité presque perdue aujourd'hui. En joignant le nombre des morts de ce grand tombeau à ceux d'un autre tout pareil découvert précédemment, et qui n'était non plus que pour la maison d'Auguste, Bianchini en trouve 6000, sans tous ceux qui devaient être dispersés en une infinité d'autres lieux plus éloignés de Rome. Ce grand nombre n'étonne plus, dès que l'on voit, par plusieurs charges rapportées dans les inscriptions, combien le service était divisé en petites parties. Telle esclave n'était employée qu'à peser la laine que filait l'impératrice, une autre à garder ses boucles d'oreilles, une autre son petit

chien.

Les observations de Bianchini sur Vénus nous intéressent da

vantage. Vénus est très-difficile à observer autant et de la manière qu'il le faudrait pour en apprendre tout ce que la curiosité astronomique demanderait. Comme le cercle de sa révolution autour du soleil est enfermé dans celui de la terre, on ne la voit ni quand elle est entre le soleil et nous, parce qu'alors son hémisphère obscur est tourné vers nous; ni quand le soleil est entre nous et elle, parce qu'alors il la cache ou l'efface. Il ne reste que le temps où elle n'est ni dans l'une ni dans l'autre de ces deux parties opposées de son cours, et où même elle en est à un certain éloignement. Ces temps, qui précèdent le lever du soleil ou suivent son coucher, sont courts, parce que Vénus ne s'écarte pas beaucoup du soleil ; encore en faut-il nécessairement perdre une bonne demi-heure pour attendre que Vénus soit assez dégagée des rayons de cet astre. Mercure, qui étant plus proche du soleil est encore plus dans le cas de ces difficultés, échappe presque entièrement aux astronomes.

Cassini étant encore en Italie s'était appliqué en 1666 et 1667 à découvrir les taches de Vénus, pour déterminer par leur moyen son mouvement diurne ou de rotation, si elle en avait un. Il vit des taches à la vérité, et même une partie plus luisante, qui fait le même effet par rapport au mouvement de rotation; il crut que ce mouvement pouvait être de vingt-trois heures, si cependant ce n'en était pas un de libration, tel que celui qu'on attribue à la lune, car les plus grands hommes sont les moins hardis à affirmer. Le peu de durée que pouvait avoir chacune de ses observations, lui rendait le tout assez incertain, et depuis ce temps-là il paraît avoir abandonné cette planète. Ensuite Huyghens, qui avait découvert l'anneau de Saturne et un de ses satellites, chercha inutilement des taches dans Vénus; il n'y vit qu'une lumière parfaitement égale. Nous avons dit en 1700 (1), que de la Hire y avait vu de grandes inégalités en saillie, qui pouvaient être des montagnes ; ce qui ne s'accorde ni avec Cassini, ni avec Huyghens, et ne prouve que la difficulté du sujet. En dernier lieu, le P. Briga, jésuite, professeur en mathématique au collège de Florence, qui travaillait à un grand ouvrage sur Vénus, avait invité tous les observateurs de sa connaissance et en Europe et à la Chine, à chercher les taches de cette planète avec leurs meilleurs télescopes; et tous lui avaient répondu qu'ils y avaient perdu leurs peines.

De plus, il manquait à la théorie de Vénus que sa parallaxe fût connue par observation immédiate; elle n'était que tirée par des conséquences ou des circuits, toujours moins sûrs que l'observation. On sait que la parallaxe d'une planète est la diffé(1) Page 121, seconde édition.

rence entre les deux lieux du ciel où on la rapporte vue du centre de la terre, ou vue d'un point de la surface; ce qui donne la grandeur dont le demi-diamètre de la terre serait vu de cette planète, et la distance de la planète à la terre.

Ce fut par la recherche de la parallaxe de Vénus que Bianchini commença. Il voulut tenter d'y appliquer l'ingénieuse méthode trouvée par feu Cassini pour la parallaxe de Mars, et expliquée en 1706 (1). Elle consiste à comparer à une étoile fixe extrêmement proche de la planète dont on cherche la parallaxe, le mouvement de cette planète, et cela pendant un temps assez long. On n'aurait pas vu assez long-temps Vénus prise le matin ou le soir; mais avec des lunettes on la peut voir en plein jour et dans le méridien, quelquefois même à l'œil nu, et alors on avait le temps nécessaire. Mais on ne voit pas ainsi les fixes, moins cependant qu'elles ne soient de la première grandeur, et c'était un pur bonheur d'en trouver quelqu'une extrêmement proche de Vénus vue en plein jour et au méridien. Bianchini espéra, sur la foi des tables du mouvement de Vénus, que le 3 juillet 1716 elle se trouverait dans le méridien à peu près avec Régulus, ou le cœur du Lion; et en effet, il vit ces deux astres dans la même ouverture de sa lunette. Il répéta l'observation les trois jours suivans; et après s'en être bien assuré, il trouva par la méthode de Cassini, et vérifia encore par une autre voie, que la parallaxe de Vénus était de vingt-quatre secondes. Nous supprimons toutes les attentions fines et délicates qu'il apporta; le mérite n'en serait senti que par les astronomes, et les astronomes supposeront aisément qu'il ne les oublia pas dans une recherche si nouvelle et si importante.

Il ne faut pourtant pas compter pour absolument sûres les vingt-quatre secondes de la parallaxe de Vénus; elles en donneraient quatorze pour celle du soleil, qui, selon Cassini, n'est que de dix, et, selon de la Hire, de six, et ces deux noms sont d'un grand poids. C'est plutôt la manière de trouver la parallaxe de Vénus, qui est enfin trouvée par Bianchini, que ce n'est cette parallaxe même. Il voulait recommencer ses observations en 1724, où Vénus se devait retrouver en passant par le méridien dans la même position à peu près à l'égard de Régulus, position unique et précieuse. Mais il n'eut plus alors le même lieu pour observer, et il n'en put avoir d'autre qui y fût propre. Eh! quel déplaisir de dépendre tant d'un certain concours de circonstances étrangères ! Comme Vénus ne revenait avec Régulus qu'au bout de huit ans, il se flatta de reprendre son travail en 1732; mais sa vie ne s'est pas étendue jusques-là.

(1) Page 97 et suiv.

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Il fut plus heureux dans l'observation encore plus importante des taches de Vénus, qu'il fit en 1726. Ce n'était pas la faute de ceux qui ne les avaient point vues, ou les avaient mal vues : ils ne se servaient que de verres de cinquante ou soixante pieds de foyer, qui n'étaient pas suffisans. Campani et Divini, les plus excellens ouvriers en ce genre, en avaient fait de cent et de cent vingt pieds; mais la difficulté était de manier des tuyaux de cette énorme longueur, qui se courbaient toujours très-sensiblement vers le milieu. Huyghens avait ingénieusement imaginé le moyen de se passer de tuyau; mais il restait encore tant d'em'barras et d'incommodités qu'on aurait apparemment abandonné l'invention, si Bianchini n'eût trouvé le secret de remédier à tout. Il vint à Paris en 1712, et fit voir à l'académie sa machine, qui parut simple, portative, maniable, et expéditive au-delà de tout ce qu'on eût osé espérer. L'académie a cru qu'elle en devait la description au public, et elle l'a donnée dans ses mémoires de 1713 (1). 'Il était dans l'ordre que l'auteur en recueillît le fruit. Il vit très-sûrement les taches de Vénus prise dans toutes les situations où elle le peut être et dans toute la variété, quoiqu'asseż bornée de ces situations. Ces taches, vues par les grands verres qu'il employait, ne sont que comme les taches de la lune vues à l'œil nu; et si celles-ci sont des mers, les autres en seront aussi. Il conseille à ceux qui voudront bien voir les taches de Vénus, de s'accoutumer auparavant à regarder avec attention celles de la lune, à bien suivre leurs contours, et à les distinguer les unes des autres. L'œil préparé par cet apprentissage en sera plus habile et plus savant, quand il se transportera sur Vénus.

Bianchini en distingua assez nettement les taches pour y établir vers le milieu du disque sept mers, qui se communiquent par quatre détroits, et vers les extrémités deux autres mers sans communication avec les premières. Des parties qui semblaient se détacher du contour de ces mers, il les appela promontoires, et en compta huit. Comme il avait un droit de propriété sur ce grand globe presque tout nouveau, et dû à ses veilles, il imposa des noms à ces mers, à ces détroits, à ces promontoires; et à l'exemple tant des anciens Grecs qui ont mis dans le ciel leurs héros, que des astronomes modernes qui ont rempli la lune de philosophes et de savans, il favorisa qui il voulut de ces espèces d'apothéoses, toujours cependant avec un choix judicieux. II avait reçu des grâces du roi de Portugal, et il donna son nom à la première mer. Pour ces autres grands pays dont il disposait, il les partagea entre les généraux Portugais les plus illustres par (1) Page 299 et suiv.

leurs conquêtes dans les deux Indes, et entre les plus célèbres navigateurs qui ont ouvert le chemin à ces conquêtes. Galilée et Cassini se trouvent là, non pas tant par l'amour de Bianchini pour sa patrie, que parce que ces deux grands hommes, qui n'ont jamais navigué, ont été aussi utiles à la navigation et à la connaissance du globe terrestre que Colomb, Vespuce et Magellan. L'académie des sciences et le nouvel institut de Bologne ont aussi leur place dans Vénus. Les principaux domaines des savans ne sont point exposés à la jalousie des autres hommes.

Nous avons dit en plusieurs endroits de nos histoires, et principalement en 1701 (1), quelle est la méthode dont on se sert pour découvrir par les taches d'une planète, et par les circonstances de leur mouvement, l'axe de la rotation, et sa position sur le plan de l'orbite que la planète décrit. Parce que Vénus est une planète inférieure, on ne saurait voir son disque entièrement éclairé du soleil : il y a toujours sur ce disque une ligne qui sépare la partie obscure d'avec l'éclairée, et est une portion d'un cercle qui, vu du soleil, séparait les deux hémisphères, l'un éclairé, l'autre obscur. Le plan de ce cercle est toujours perpendiculaire à une ligne tirée du centre du soleil à celui de Vénus, et cette ligne est nécessairement dans le plan de l'orbite de Vénus ou de son écliptique particulière. C'est par rapport à la ligne de la dernière illumination sur le disque de la planète, que Bianchini observait le mouvement des taches et l'inclination de la ligne de ce mouvement: par là il parvint à déterminer que l'axe de la rotation de Vénus était incliné de quinze degrés à son orbite ou écliptique.

Lorsque l'axe de rotation d'une planète est perpendiculaire à son orbite, comme l'est presque celui de Jupiter, cette planète a toujours le soleil dans son équateur, et ses deux pôles éclairés en même temps; elle jouit d'un équinoxe perpétuel, et chacune de ses parties n'a jamais que la même saison. Si au contraire l'axe de rotation est infiniment incliné sur l'orbite, c'està-dire couché dans son plan, la planète n'a un équinoxe que deux fois dans son année; ses deux pôles ont alternativement le soleil vertical, et chacune de ses parties a la plus grande inégalité de saisons qu'il soit possible. L'axe de Vénus est si incliné sur son orbite, qu'il s'en faut peu qu'elle ne soit dans ce dernier cas; et l'on ne connaît point de planète qui à cet égard differe tant de Jupiter.

Cassini avait cru, ou plutôt soupçonné que la rotation de Véuns était de vingt-trois heures. Il voyait d'un jour à l'autre une certaine partie du disque avancée d'une certaine quantité, et il (1) Page 101 et suiv., seconde édition.

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