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que les noms propres n'entrent pas dans les langues des sciences, on voit que, traiter des idées générales, expliquer leur formation, montrer leur indispensable nécessité, et faire sentir en même temps combien elles nuisent quand elles sont mal faites, c'est traiter en effet de l'influence des langues sur la marche directe ou rétrograde, ou sur l'immobilité de l'esprit humain mais ces importantes considérations appartiennent à la logique plutôt qu'à la métaphysique.

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C'est à la logique à nous dire pourquoi, avant l'invention de ses signes, la science des nombres méritait à peine le nom de science; pourquoi la littérature française n'exista que du moment où la langue eut dépouillé sa barbarie; pourquoi les Chinois, tant qu'ils conserveront leur langue, resteront en arrière des lumières des Européens, etc.

C'est à la logique à décider si les idées générales sont des principes ou des conséquences. Pour résoudre cette question, elle distinguera les connaissances acquises par la simple observation, des connaissances acquises par le raisonnement. Les unes et les autres supposent sans doute quelques idées individuelles ; mais d'un côté, l'esprit se porte à l'instant aux idées

TOME II.

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par

les plus générales, pour revenir aux individus des idées toujours moins générales ; tandis que de l'autre, avançant par un mouvement progressif, il voit ses idées s'étendre à mesure qu'il s'élève.

Les idées générales sont le principe ou le commencement des sciences d'observation; elles sont le dernier résultat des sciences de raisonnement; mais ces choses demandent quelques modifications que je ne puis vous faire connaître aujourd'hui. N'allons pas plus loin, et sachons nous arrêter pour prévenir le moment de la fatigue.

N'oubliez pas, messieurs, tout le mal qu'on't fait et que font encore tous les jours les idées générales; mais n'oubliez pas le bien qu'elles font, et le plus grand bien qu'elles pourraient nous faire.

N'oubliez pas surtout que l'intelligence suprême, embrassant tout, et tout à la fois, n'a besoin ni de nos idées générales, ni de notre raisonnement; et que toutes les sciences dont s'énorgueillit le génie de l'homme, ne sont qu'un magnifique témoignage de son impuis

sance.

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DOUZIÈME LEÇON.

Réflexions sur ce qui précède. Indication de ce qui reste à faire pour compléter un traité de métaphysique. Résumé.

CELUI qui s'est engagé dans l'étude d'une science, éprouve, à mesure qu'il se porte en avant, le besoin de comparer l'espace parcouru à l'espace qui lui reste à parcourir. Une telle comparaison le rend plus modeste, ou lui donne des espérances. Heureux, si toujours elle produisait ces deux sentimens à la fois!

Après nous être assurés des facultés élémentaires qui constituent l'entendement, nous avons essayé d'éclairer de quelque lumière les ténèbres qui obscurcissaient la question des idées. Nous savons en quoi consiste leur nature; nous avons reconnu toutes leurs sources; assigné toutes leurs causes; noté leurs principales espèces.

Sommes-nous au terme de nos recherches? Non, messieurs; à peine les avons-nous commencées. Cette réponse ne vous découragera

pas; car vous avez senti la nécessité d'un premier travail, pour vous préparer à ces recherches, pour les rendre plus faciles, plus sûres.

Nous avons, j'ose le croire, tout disposé pour bien commencer. Nous avons demandé aux philosophes un compte rigoureux de leurs opinions. Nous avons passé en revue tout ce qu'ils ont pensé ou imaginé, pour découvrir les principes de l'intelligence. Rien de ce qui les a satisfaits, n'a pu nous satisfaire. Les uns ont mal vu, les autres mal raisonné. Souvent tout a été fautif, les expériences et les théories. Il a donc fallu ne plus suivre des guides qui nous auraient égarés. Nous nous sommes frayé une route aussi éloignée de celle qui était indiquée par les sensations, que de celle qui était indiquée par des idées gravées dans l'âme antéricurement aux sensations, que de toutes celles qui avaient été tentées jusqu'à ce jour.

Nous avons dit: Toutes les idées ont leur origine dans le sentiment; et nous nous sommes séparés de Platon, de Descartes, de Mallebranche.

Nous avons dit: Toutes les idées n'ont pas leur origine dans la sensation; et nous avons abandonné Aristote, Locke, Condillac.

Nous avons dit encore: Toutes les idées ont leur cause dans l'action des facultés de l'entendement; et nous nous sommes trouvés hors des voies de tous les philosophes.

Si, en effet, tout ce qu'il a été donné à l'homme d'avoir de connaissances, a son origine nécessaire dans quelque sentiment, et sa cause nécessaire dans quelque acte de l'esprit, nous avons dû ne reconnaître aucune école car ces choses n'ont été professées par aucune école.

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Mais suffit-il d'avoir appris à distinguer ce que nous faisons nous-mêmes en nous-mêmes, de ce qui se fait en nous sans notre coopération; d'avoir observé toutes nos manières d'agir et toutes nos manières de sentir? suffit-il de nous être démontré, qu'à la différence du sentiment qui nous vient de la nature, l'idée est un effet de l'action de l'esprit; que notre intelligence enfin est notre ouvrage?

Qu'avons-nous fait pour cette intelligence? Nous avons étudié la manière dont se forment les idées : avons-nous procédé à la formation d'une seule idée (1) ? Nous avons prouvé

(1) Sont exceptées, sans qu'on le dise, les idées dont nous avons eu besoin pour établir notre doctrine.

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