Une humeur franche et libre, et le don d'être amie Malgré Jupiter même et les temps orageux, Tout cela méritait un éloge pompeux:
Il en eût été moins selon votre génie; La pompe vous déplaît, l'éloge vous ennuie. J'ai donc fait celui-ci court et simple. Je veux Y coudre encore un mot ou deux
En faveur de votre patrie:
Vous l'aimez. Les Anglais pensent profondément; Leur esprit, en cela, suit leur tempérament ; Creusant dans les sujets, et forts d'expériences, Ils étendent partout l'empire des sciences. Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour: Vos gens, à pénétrer (1), l'emportent sur les autres; Même les chiens de leur séjour
Ont meilleur nez que n'ont les nôtres.
Vos renards sont plus fins; je m'en vais le prouver Par un d'eux, qui, pour se sauver,
Mit en usage un stratagème
Non encor pratiqué, des mieux imaginés.
Le scélérat, reduit en un péril extrême,
Et presque mis à bout par ces chiens au bon nez, Passa près d'un patibulaire (2).
Là, des animaux ravissants,
Blaireaux, renards, hiboux, race encline àmal faire, Pour l'exemple pendus, instruisaient les passants. Leur confrère, aux abois, entre ces morts s'arrange. Je crois voir Annibal, qui, pressé des Romains, Met leur chef en défaut, ou leur donne le change, Et sait, en vieux renard, s'échapper de leurs mains. Les clefs de meute (3) parvenues
(1) C'est-à-dire en pénétration.
(3) Près d'une potence.
(3) Les chiens qui guident les autres et les remettent sur la piste quand ils l'ont perdue.
A l'endroit où pour mort le traître se pendit, Remplirent l'air de cris: leur maître les rompit, Bien que de leurs abois ils perçassent les nues. Il ne put soupçonner ce tour assez plaisant. Quelque terrier, dit-il, a sauvé mon galant; Mes chiens n'appellent point au delà des colonnes (1) Où sont tant d'honnêtes personnes.
Il y viendra, le drôle ! Il y vint, à son dam (2). Voilà maint basset clabaudant;
Voilà notre renard au charnier se guindant. Maître pendu croyait qu'il en irait de même Que le jour qu'il tendit de semblables panneaux; Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux (3) : Tant il est vrai qu'il faut changer de stratagème ! Le chasseur, pour trouver sa propre sûreté, N'aurait pas cependant un tel tour inventé; Non point par peu d'esprit: est-il quelqu'un qui mie Que tout Anglais n'en ait bonne provision?
Mais le peu d'amour pour la vie
Leur nuit en mainte occasion.
Je reviens à vous, non pour dire D'autres traitssur votre sujet; Tout long éloge est un projet Peu favorable pour ma lyre (*)-
Peu de nos chants, peu de nos vers,
(1) C'est-à-dire des potences où les animaux étaient pendus. La Fontaine dit colonnes, parce que les fourches patibulaires étaient souvent placées au sommet de piliers en maçonnerie.
(2) Ad damnum, pour sa perte.
(3) Ses chaussures, c'est-à-dire qu'il y mourut. On dit aujourd'hui: Ily laissa sa peau.
(4) VAR. Dans l'édition des fables de 1694, on lit:
Je reviens à vous, non pour dire
D'autres traits sur votre sujet Trop abondant pour ma lyre. Peu de nos chants, etc.
De cette manière il y a un vers sans rime.
Par un encens flatteur amusent l'univers, Et se font écouter des nations étranges. Votre prince (1) vous dit un jour Qu'il aimait mieux un trait d'amour Que quatre pages de louanges. Agréez seulement le don que je vous fais Des derniers efforts de ma muse. C'est peu de chose; elle est confuse De ces ouvrages imparfaits. Cependant ne pourriez-vous faire Que le même hommage pût plaire A celle qui remplit vos climats d'habitants Tirés de l'île de Cythère?
Vous voyez par là que j'entends Mazarin (2), des Amours déesse tutélaire.
(2) Hortense Mancini, duchesse de Mazarin, née à Rome en 1646, el morte à Chelsey, près de Londres, le 2 juillet 1699, nièce du cardinal de Mazarin.
XXIV. - Le Soleil et les Grenouilles (').
Les filles du limon tiraient du roi des astres
Assistance et protection:
Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres, Ne pouvaient approcher de cette nation; Elle faisait valoir en cent lieux son empire. Les reines des étangs, grenouilles veux-je dire, (Car que coûte-t-il d'appeler
Les choses par noms honorables?) Contre leur bienfaiteur osèrent cabaler,
Et devinrent insupportables.
(1) Le P. Commire, t. I, p. 248, et t. II, p. 133, Sol et Ranæ. Voyez encore ei-dessus la fable x11 du livre VI.
L'imprudence, l'orgueil, et l'oubli des bienfaits, Enfants de la bonne fortune,
Firent bientôt crier cette troupe importune:
On ne pouvait dormir en paix. Si l'on eût cru leur murmure, Elles auraient, par leurs cris, Soulevé grands et petits
Contre l'œil de la nature.
Le soleil, à leur dire, allait tout consumer; Il fallait promptement s'armer, Et lever des troupes puissantes. Aussitôt qu'il faisait un pas, Ambassades coassantes Allaient dans tous les États: A les ouïr, tout le monde, Toute la machine ronde Roulait sur les intérêts
De quatie méchants marets (1). Cette plainte téméraire
Dure toujours; et pourtant Grenouilles doivent se taire, Et ne murmurer pas tant: Car si le soleil se pique, Il le leur fera sentir: La république aquatique
Pourrait bien s'en repentir (2).
(1) Au lieu de marais, pour la rime; c'est là d'ailleurs l'orthographe an
(2) On a dit que cette fable était une allusion aux différends des Hollandais vec Louis XIV. Sans donner aux Hollandais, représentés par les grenouilles, les torts que leur attribue La Fontaine, nous pensons que cette allusion pou vait être dans la pensée du poëte. Le soleil est en effet l'emblème de Louis XIV, et la république aquatique s'applique très-bien à la Hollande.
Une souris craignait un chat
Qui dès longtemps la guettait au passage. Que faire en cet état? Elle, prudente et sage, Consulte son voisin : c'était un maître rat, Dont la rateuse seigneurie
S'était logée en bonne hôtellerie, Et qui cent fois s'était vanté, dit-on, De ne craindre ni chat, ni chatte, Ni coup de dent, ni coup de patte. Dame souris, lui dit ce fanfaron,
Ma foi! quoi que je fasse,
Seul, je ne puis chasser le chat qui vous menace: Mais assemblons tous les rats d'alentour, Je lui pourrai jouer d'un mauvais tour. La souris fait une humble révérence; Et le rat court en diligence
A l'office, qu'on nomme autrement la dépense, Où maints rats assemblés
Faisaient, aux frais de l'hôte, une entière bombance. Il arrive, les sens troublés,
Et tous les poumons essoufflés.
Qu'avez-vous donc ? lui dit un de ces rats; parlez. En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage, C'est qu'il faut promptement secourir la souris; Car Raminagrobis
Fait en tous lieux un étrange carnage.
Ce chat, le plus diable des chats,
S'il manque de souris, voudra manger des rats. Chacun dit: il est vrai. Sus! sus! courons aux armes ! Quelques rates, dit-on, répandirent des larmes.
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