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nomique. Plus loin enfin, sous ce titre : Les Départements et la province, se développe un plan très-curieux, quoique bien utopique, de réformation administrative: l'auteur propose de reconstituer des provinces en laissant subsister comme subdivision les départements; de mettre à la tête de chaque province une assemblée provinciale et un gouverneur, etc.

La Critique française n'a pas toutes les franchises que possèdent les brochures ou les livres, et elle ne peut qu'indiquer les principes qui ont inspiré les auteurs de Varia. Ils envoient à Paris du fond de la province des idées neuves, un germe du feu sacré. Il faut leur en savoir gré. On s'habitue trop vite à une sorte de fétichisme qui consiste à encenser perpétuellement les souvenirs de 1789 et les principes de la Révolution, sans vouloir chercher l'application réelle, pratique, détaillée de ces principes. Toute foi doit être raisonnée. Un heureux hasard nous permet de signaler aujourd'hui un livre qui décrit le point de départ, un autre qui fait entrevoir le but. C'est une chance rare pour un critique. Nous aimons les livres qui font travailler l'esprit : trop de gens fatigués ou à l'esprit lent lisent M. Thiers ou M. Louis Blanc comme on lit un roman sérieux. Les chiffres, les détails pleins d'attrait réunis par M. Boiteau les frapperont plus qu'un récit; Varia les soutiendra dans leurs convictions mieux qu'un livre de philosophie. Et s'ils ont besoin de sentir les bienfaits de 89, le livre de M. Desloges les leur démontrera par l'impuissance de ses négations. ANDRÉ VINCENT.

Singularités historiques et littéraires, par B. HAURÉAU (1). M. Hauréau est un de ces rares savants dont les moindres productions ont un cachet d'originalité et de consciencieuse érudition. Les miettes de sa table sont plus substantielles que l'ordinaire le plus compacte de beaucoup d'écrivains prétentieux. Au milieu des solides travaux qui l'appellent à l'Institut, il rencontre une foule de richesses, qui, sans entrer dans le cadre de ses œuvres monumentales, méritent d'être mises au jour, quand même ce ne serait que pour démontrer que notre époque est loin d'être veuve de fortes études et de robustes investigateurs.

Autrefois, la mission des savantes recherches appartenait aux moines, dégagés des soucis matériels et voués exclusivement à la vie contemplative. Nous sommes loin de contester l'utilité de leurs œuvres et l'étendue de leurs services; mais nous devons constater tout d'abord une supériorité de mérite chez celui qui produit autant et aussi bien, sans avoir ni les mêmes facilités de travail, ni les mêmes sécurités d'existence.

(1) Paris, Michel Lévy frères, éditeurs, 2 bis, rue Vivienne.

Autrefois aussi, alors que l'Église était intelligente, elle appelait dans son sein les hommes d'élite, et leur faisait la vie facile pour en obtenir un travail fécond. Aujourd'hui, il ne reste plus que la modeste ressource de l'Institut, et là, il faut le dire, souvent les petites passions l'emportent sur le devoir. Le public s'est étonné, à bon droit, de voir l'Académie des inscriptions et belles-lettres fuir les occasions de se fortifier par l'adjonction d'un homme qu'elle a plusieurs fois couronné. Les Académies se trompent si elles se croient omnipotentes dans leur choix. Les suffrages du public doivent aussi compter pour quelque chose. Car, à défaut de votes, le public a ses vœux et ses justes blâmes.

Qu'on nous pardonne cette digression inspirée par le sujet. Chaque fois que M. Hauréau produit quelque chose, et il produit souvent, nous nous étonnons d'une part de cette persévérance d'activité individuelle, d'autre part de cette persévérance d'inertie académique.

Dans sa préface, M. Hauréau nous explique le vrai sens du titre de son livre. En 1734, un religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, dom Jean Liron, a publié, sous le titre de Singularités historiques et littéraires, un recueil semblable à celui qui est offert aujourd'hui au public. Ces Singularités sont tout simplement des monographics, ou, en d'autres termes, des notices sur des hommes célèbres en leur temps et aujourd'hui mal connus.

A la lecture de ces notices, on est effrayé du nombre de recherches qu'il a fallu accumuler pour jeter la lumière sur des faits et des noms concentrés en quelques pages. Si, par exemple, nous voulons savoir où et quand vivait Anselme le péripatéticien, M. Hauréau nous le montre confondu avec une foule d'autres Anselme qui n'ont avec lui rien de commun: Anselme de Laon, Anselme de Baddagi, Anselme de Rho, Anselme de Mondello, etc., etc. C'est un labyrinthe inextricable, où M. Hauréau seul trouve le fil. Ajoutons que les savants qui ont précédé notre moderne investigateur se trompaient même sur la nationalité d'Anselme le péripatéticien. M. Hauréau nous prouve qu'il est de Bésate, à cinq licues sud-ouest de Milan, sur la rive gauche du Tessin, place fortifiée dès le x siècle, et qui fut au xe le théâtre de sanglantes rencontres entre les gens de Milan et ceux de Savoie. Notez que les preuves de M. Hauréau sont appuyées de citations, de notes, de textes, et vous aurez la mesure de ce qu'il faut de patience et de conscience dans de telles études, sans tenir compte de l'intelligente perspicacité nécessaire pour dégager la vérité de toutes les contradictions qui se heurtent et se combattent.

Nous devons en dire autant des notices sur Roscelin de Compiègne,

le maître d'Abailard, Guillaume de Conches, Théodulfe d'Orléans, Smaragde, Odon de Cluny, etc. Il reste encore, Dieu merci, en France, assez d'érudits pour offrir à M. Hauréau un bon nombre de lecteurs qui consulteront avec fruit ses laborieuses recherches, et récompenseront par leurs suffrages ses efforts méritants.

Outre les monographies, nous devons recommander deux petits traités qui méritent de fixer l'attention des penseurs.

L'un est un essai historique sur les écoles d'Irlande du via au xo siècle. L'autre est un essai philosophique sur les idées-images.

Il y a beaucoup à apprendre dans ces traités si modestement introduits dans les Singularités. Nous les recommandons aux méditations de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. E. R.

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Souvenirs d'un amiral, par M. JURIEN DE LA GRAVIÈRE (1). Guerres maritimes de la France, par V. BRUN (de Toulon, commissaire général de la marine) (2). — Le contre-amiral Jurien de la Gravière vient de publier deux volumes qui, sous ce titre: Souvenirs d'un amiral, et malgré quelques changements de noms plus propres à piquer la curiosité qu'à la dérouter, ne sont en définitive rien moins que les mémoires de son père, un des derniers représentants de notre ancienne marine. Le viceamiral Jurien de la Gravière fut aspirant volontaire sous Louis XVI; en 1791 il s'embarqua dans l'expédition destinée à faire le tour du monde et à rechercher les traces de Lapérouse, et ce ne fut qu'après cinq années remplies d'aventures de tous genres qu'il revint en France. Il prit part à l'expédition de Saint-Domingue; on le retrouve en 1809, capitaine de vaisseau et chef d'une division, combattant aux Sables-d'Olonne et sous la Restauration allant en qualité de contre-amiral intimider les régences barbaresques, visiter le Brésil, le Pérou et les Antilles.

Cet ouvrage montre ce qu'était la flotte avant la Révolution et comment peu à peu, plutôt par d'incroyables négligences que par l'effet de nos revers, la France était arrivée à perdre son rang de grande puissance navale. On voit à l'œuvre tous les ministres, tous les systèmes qui se sont succédé dans la direction de nos arsenaux ou de nos escadres depuis près de quatre-vingts ans, et l'amiral Jurien, en suivant la chaîne non interrompue de ses souvenirs, donne des conseils, trace des plans, indique des réformes essentiellement pratiques et raconte toute une partie de notre histoire contemporaine avec une modestie, une simplicité, un style clair et paisible, où l'on sent tout le charme d'une vieillesse heureuse et la trace d'une expérience honorablement acquise. Un reproche cepen(1) 2 vol. Hachette. (2) 2 vol. H. Plon.

dant pourquoi nommer si rarement les hommes avec lesquels l'auteur s'est trouvé en rapport? Pourquoi cet esprit d'incognito qui fait débaptiser la Franchise pour l'appeler la Mignonne, la Calypso pour la désigner sous le nom de la Concorde? Cet ouvrage a déjà assez d'attrait par les mille péripéties que présentent toujours les hasards de la mer, sans avoir besoin de se donner l'air d'un roman quand il raconte l'histoire.

Le livre de M. V. Brun ne pourra jamais passer pour un roman : c'est une œuvre de merveilleuse patience et le fruit de bien des années de recherches et de travail. M. Brun a dépouillé toutes les archives du port de Toulon, qu'il prend à sa fondation, en 1190, quand les Sarrasins venaient y chercher des captifs pour leurs galères, et qu'il n'abandonne qu'en 1815, quand la chute de l'Empire entraîna avec elle les derniers débris de notre marine. Qu'on ne s'y trompe pas, ces deux gros volumes remplis de documents, de chiffres, de traits de mœurs recueillis dans les dépêches du temps sont un commencement d'histoire maritime, c'està-dire le premier jalon dans une voie très-peu explorée jusqu'ici. On a fait l'histoire générale de la France, mais son histoire administrative, l'histoire de ses armées, de ses colonies, de ses flottes est encore à faire.

La marine a pris ces dernières années une remarquable extension. La puissance commerciale de l'Angleterre, la prospérité de ses colonies protégées par des flottes immenses, ont stimulé les efforts de la France, et aujourd'hui notre pavillon est répandu sur toutes les mers, auprès du pavillon britannique, faisant respecter notre influence jusque dans les mers de la Chine et ouvrant de nouveaux débouchés au commerce.

Il est intéressant d'étudier comment, avant de parvenir à cet état de grandeur incontestable, la marine française a pris naissance, par quelles vicissitudes elle a passé, oubliée longtemps par de faibles gouvernements, puis recevant un nouvel élan sous Henri IV, pour être négligée de nouveau par Louis XIII, jusqu'au moment où Richelieu la relève. Elle jette même un grand éclat au commencement du règne de Louis XIV, puis elle décline après la bataille de la Hogue et subit dans la suite des alternatives de gloire et de désastres.

Mais l'auteur des Guerres maritimes ne se borne pas à promener les escadres sur les mers, à raconter leurs expéditions, leurs combats; il veut les voir naître dans les ports, savoir comment elles ont pu être formées, connaitre les institutions maritimes et l'administration des arsenaux, toutes causes de grandeur ou de déclin pour la puissance de nos flottes. Ses études se sont plus spécialement attachées au port de Toulon, sans perdre de vue l'intérêt plus général, puisque, en décrivant

les arts maritimes dans un port, il le fait en réalité pour tous. C'est ainsi que les grands travaux, les grands préparatifs faits sur différents points, devant concourir au même ensemble, se confondent dans leur but. On peut donc dire que le livre de M. Brun est l'histoire maritime de la France vue du port de Toulon.

His

Les Contes rémois, par M. le comte LOUIS DE CHévigné (1). toire de la ville de Reims (2). - Il existe encore de joyeux conteurs et

la verve gauloise n'est point éteinte. Nous n'en voulons d'autre preuve que celle que nous fournit M. de Chevigné. Ses contes sont les petitsneveux de ceux de Boccace, mais en passant par la Fontaine, et sans être les égaux de leurs ancêtres, ils sont loin d'avoir dégénéré. Ils sentent bien aussi leur Marot et leur Rabelais, mais ce n'est point nous qui leur en ferons un crime, surtout si nous songeons que l'auteur n'a point eu le dessein d'écrire un livre d'éducation à l'usage des jeunes personnes. Si jamais le but des contes fut d'amuser, ceux-ci n'ont certes point failli à leur destinée.

Du reste, en cherchant bien, ne serait-il pas possible de trouver qu'une pensée morale est suivie dans ce petit recueil ?.... L'auteur nous dit en effet :

Veufs ou garçons, si l'hymen vous réclame,
C'est sur la dot que vous portez les yeux,
Jetant à peine un regard sur la femme
Qui doit vous rendre heureux ou malheureux.
Oh! quelle erreur de croire en mariage
Qu'argent fait tout! Aussi dans leur ménage
Combien d'époux qui se mordent les doigts.

Cette moralité n'est certes point mauvaise, et si le monde en tenait compte un peu plus, il est probable que M. de Chevigné n'eût point trouvé matière à composer son recueil. Et pourtant c'eût été fort grand dommage, car l'auteur tourne facilement le vers, il sait mettre du charme et de l'esprit dans l'expression; c'eût été grand dommage aussi, parce qu'il n'eût point fourni à Meissonnier le sujet de ses fines compositions.

Les Contes rémois nous conduisent naturellement à lire l'histoire de cette ville où naquirent Colbert, Gobelin, R. Nanteuil et plusieurs autres qui ont marqué dans les arts ou dans les sciences, de cette ville qui a joué un si grand rôle dans l'histoire de la royauté.

(1) Paris, Michel Lévy.

(2) Reims, Brissart-Binet. 1 vol. in-12. 2 fr. 50 c.

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