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Le président lui ayant demandé son nom, elle répondit: Élisabeth de France. Ces trois dernières syllabes importunèrent le président, qui voulut en vain les lui faire retrancher.

Après l'avoir interrogée sur les divers crimes qui lui étaient imputés, il lui demande d'abord où elle était au mois de juin 1789.

« J'étais dans le sein de ma famille.

- N'avez-vous point accompagné le tyran, votre frère, dans sa fuite de Varennes ?

-Je me suis fait un devoir de ne jamais quitter mon frère. Si mon frère eût été un tyran, comme vous le dites, ni vous ni moi ne serions ici.

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N'avez-vous pas figuré dans l'orgie infâme et scandaleuse des gardes du corps?

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J'ignore si une orgie a eu lieu.

Vous ne dites pas la vérité; vous avez dû nécessairement partager toutes les machinations de Marie-Antoinette. Le 10 août, n'avez-vous pas fourni aux assassins des patriotes des balles que vous preniez vous-même la peine de mâcher?... N'avez-vous point entretenu des correspondances avec vos deux frères ?..... N'avez-vous point bercé votre neveu de l'espoir qu'il succéderait à son père?... »

A cette dernière question, la princesse répondit :

« Je donnais à cet enfant les consolations qui me paraissaient capables de le dédommager de la perte de ceux qui lui avaient donné le jour.

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C'est convenir que vous vous flattiez de relever le trône, en l'inondant du sang des patriotes.... N'avez-vous pas donné des soins aux ennemis de la nation, en pansant vous-même les blessures des assassins envoyés par votre frère aux Champs-Élysées contre les braves Marseillais ?

Je n'ai jamais su que mon frère ait envoyé des as

sassins contre qui que ce soit. S'il m'est arrivé de donner des secours à quelques blessés, l'humanité seule a pu me conduire dans le pansement de leurs blessures; je n'ai point eu besoin de m'informer de la cause de leurs maux; je ne m'en fais point un mérite, et je n'imagine pas que l'on puisse m'en faire un crime.

- Il est difficile d'accorder ces sentiments d'humanité dont vous vous parez, avec cette joie cruelle que vous avez montrée en voyant couler des flots de sang dans la journée du 10 août. Tout nous autorise à croire que vous n'êtes humaine que pour les assassins du peuple, et que vous avez toute la férocité des animaux les plus sanguinaires pour les défenseurs de la liberté. »

Ce fut là tout le procès.

Afin d'aller plus vite, on n'avait appelé ni témoins ni défenseurs. Le jury déclara que la princesse était coupable de conspiration. Fouquier-Tinville réclama la peine de mort; le tribunal la prononça.

En même temps que Madame Élisabeth, vingt-quatre personnes avaient été amenées devant le tribunal, comme ayant aussi conspiré. Pour celles-là, on ne se donna pas la peine de les interroger, et elles furent condamnées à mort en bloc. Dans le nombre étaient plusieurs dames, dont une âgée de soixante-seize ans. Ces victimes furent conduites à l'échafaud avec la princesse, sur des charrettes. Là, aussi grande, aussi bonne, aussi honorée que jadis à la cour de son frère, elle ne cessa, pendant tout le trajet, de les encourager et de les consoler. L'appui d'un prêtre, même assermenté, leur avait été refusé. Pendant le trajet, le fichu de la princesse tomba; comme ses mains étaient liées : « Au nom de la pudeur, dit-elle à un des satellites, « couvrez-moi le sein. » Par un raffinement de barbarie, on voulut qu'elle fût témoin des vingt-quatre autres supplices, et que le sien fût le dernier. Sa constance n'en fut pas ébranlée, et quelques

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dames l'ayant priée de leur faire l'honneur de les embrasser, elle déposa un baiser sur leurs fronts avec une sérénité ineffable.

Les restes mortels de Madame Élisabeth furent confondus, dans le cimetière de Monceaux, avec ceux des innombrables victimes de cette époque..

Il ne restait plus dans la tour du Temple que les deux enfants. Ni la Convention et ses comités, ni la commune de Paris n'avaient sur eux aucun droit; et cependant, au mépris de toutes les lois divines et humaines, la Convention et la Commune les retenaient en prison: Madame Royale fut traitée sans inhumanité, et on laissa sa gouvernante auprès d'elle; mais tel ne fut pas le sort de Louis-Charles, à qui l'émigration et l'Europe avaient donné le nom de Louis XVII; et par sa conduite envers cet enfant la démagogie, souveraine depuis le 10 août, se montra plus barbare qu'au 2 septembre, plus parricide qu'au 21 janvier.

La Commune chargea de son éducation, aussitôt après la mort du roi, un cordonnier jacobin, athée et stupide, nommé Simon, dans l'espoir que cet homme tuerait lentement en lui la moralité et la vie.

Ainsi le jeune roi, depuis la mort de Madame Elisabeth, n'entendit plus parler ni de Dieu ni de religion; aucun mot de douceur ni de consolation ne lui fut adressé, et le nom de son père et de sa mère ne fut prononcé devant lui qu'au milieu des exécrations. On dit que l'homme auquel il avait été livré employa la violence et les coups pour le forcer à maudire la mémoire de son père et de sa mère. On dit qu'il le réveillait exprès souvent en sursaut au milieu de la nuit. On dit qu'il buvait sans cesse en sa présence du vin et de l'eau-de-vie, et l'encourageait à en boire. On dit qu'il lui avait enlevé tous les livres. On dit qu'il l'empêchait de cultiver les fleurs, son seul plaisir. On dit que l'enfant s'étant plaint de n'avoir point de jouets, il lui apporta une petite guillotine, et que l'enfant

ayant repoussé cet objet avec horreur, il s'élança sur lui un chenet à la main; heureusement une personne qui se trouvait là l'arrêta.

Et cependant cet homme finit par comprendre qu'on lui faisait jouer le rôle d'assassin : il y renonça et s'en alla, et le jeune roi resta seul; et comme on trouva qu'il ne périssait pas assez vite, on le condamna à ce supplice réservé pour les grands coupables, qu'on appelle le secret ou l'isolement, et dont le résultat à cet âge devait être infaillible.

Il fut renfermé dans une chambre étroite, dont la fenêtre était garnie en dehors de barreaux de fer et en dedans d'un treillis d'osier; personne ne venait le servir, le voir, lui parler; il était abandonné à lui-même pour tous les soins si nécessaires à cet âge. Deux gardes veillaient dans la chambre voisine, ne lui parlant presque pas, ou ne lui parlant que pour l'épouvanter. On lui passait à travers un guichet une cruche d'eau, trop lourde pour ses faibles mains, et les aliments qui lui étaient mesurés avec parcimonie. On comprend quels effets un pareil traitement dut produire; je n'ai ni la force ni la volonté de les retracer. Peu à peu tout sentiment parut s'éteindre en lui, excepté celui de la reconnaissance pour ceux de ses gardiens qui s'informaient de ses souffrances et montraient quelque intérêt à son sort.

La Convention, qui a cherché à expliquer un grand nombre de ses actes, en disant qu'elle votait sous les poignards, qu'elle avait peur, n'avait plus peur cependant quand elle consomma sur cet enfant cet abominable homicide; car c'est neuf mois après les événements de thermidor que Louis-Charles rendit le dernier soupir, au moment où il entrait dans sa onzième année. Immédiatement son oncle, Louis-Stanislas, qui était alors à Vérone, prit le nom de Louis XVIII. L'enfant fut inhumé dans le cimetière attenant à l'église Sainte-Marguerite, faubourg Saint

Antoine. Quelques personnes n'ont pas voulu croire à sa mort. Des bruits romanesques ont circulé à ce sujet; mais croire qu'une victime a pu échapper à la Convention et à la Commune, c'est les connaître bien peu.

Restait Madame Royale. L'empereur d'Allemagne, son cousin germain, la réclamait avec instance, et la Convention finit par décréter en principe qu'elle lui serait rendue en échange des conventionnels et du ministre de la guerre livrés aux Autrichiens par Dumouriez. Les négociations n'aboutirent que sous le Directoire. Alors le ministre de l'intérieur, Benezech, alla chercher la princesse au Temple et la remit entre les mains des commissaires autrichiens. Elle arriva à Vienne, où l'empereur fit de vains efforts pour la décider à épouser son frère l'archiduc Charles. Elle avait promis à sa mère d'épouser le fils aîné du comte d'Artois; elle se rendit donc auprès de son oncle Louis XVIII et épousa le duc d'Angoulême. Elle n'eut point d'enfant. Avec elle, en 1853, est descendu dans la tombe tout ce qui restait du sang de Louis XVI et de Marie-Antoinette.

Je reprends le récit des faits politiques, et je reviens à l'époque où la Montagne, aidée de la Commune, des Jacobins et des Cordeliers, venait d'inaugurer, sous le nom de gouvernement révolutionnaire, le régime de la Terreur.

XXIX

GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE; TERREUR.

Pour écraser la Vendée, le Comité de salut public résolut de tenter un suprême effort. Il réunit les trois armées qui attaquaient ce pays en une seule, dont le commandement réel, sinon nominal, fut confié à Marceau et à Kléber. Ces deux chefs établirent une excellente disci

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