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plus verfé dans le deffein & dans l'étude de l'an--
tique, ne rendra jamais la Nature avec cette
vérité qui fait illufion, s'il n'a fous les yeux
fes modeles. It en eft de même du Poête la
lecture & la méditation ne lui tiennent jamais
lieu du commerce fréquent des hommes: pour
lès bien peindre il faut les voir de près, lés
écouter, les obferver fans ceffe. Un mot un
coup-d'œil, un filence, une attitude, un gefte est
quelquefois ce qui donne la vie, l'expreffion, le
pathétique à un tableau qui fans cela manque
roit d'ame & de vérité. Mais ce n'eft pas d'après
tel ou tel modele que l'on peint la Nature paf
fionnée; c'eft d'après mille obfervations faites
ça & là, & qui semblables à ces molécules orga
pa
niques imaginées par un Philofophe Poête,
tendent au fond de la pensée le moment d'é
clore & de fe placer.

Refpicere exemplar vitæ morumque jubebo.

Doftum imitatorem,& veras hinc ducere voces ( a ).*

C'est dans un monde poli, cultivé, qu'il prendra des idées de nobleffe & de décence; mais pour les mouvemens du cœur humain, le diraije? c'est avec des hommes incultes qu'il doit

(a) Obfervez le tableau de la vie & des mœurs : Je veux qu'un Peintre habile y puise ses couleurs.

Horat.

vivre, s'il veut les voir au naturel. L'e'oquence eft plus vraie, le fentiment plus naïf, la paffion plus énergique, l'ame enfin plus libre & plus franche parmi le peuple qu'à la Cour: ce n'eft pas que les hommes ne foient hommes par-tout; mais la politeffe eft un fard qui efface les couleurs naturelles. Le grand monde eft un bal masqué.

Je fais combien il eft effentiel au Poête de plaire à ce monde qu'il a pour Juge, & dont le goût éclairé décidera de fes fuccès; mais quand le naturel eft une fois faifi avec force, il eft facile d'y jetter les draperies des bienféances.

Le phyfique a deux branches comme le mo ral, favoir, la fimple Nature & la Nature modifiée. Dans l'une le Poête a deux objets iné puifables d'étude & de contemplation: le fpectacle de la Nature & fon méchanifme, fes phé pomenes & fes refforts.

Le tableau fuperficiel de la Nature eft lui feul d'une richeffe d'une variété, d'une étendue à occuper des fiecles d'étude. Mais tous les détails, n'en font pas favorables à la Poéfie; tous les genres de Poéfie ne font pas fufceptibles des mêmes. détails. Ainfi le Poête n'est pas obligé de fuivre les pas du Naturalifte. On exige encore moins de lui les méditations du Phyficien & les calculs de

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FAftronome. C'est à l'Obfervateur à déterminer Pattraction & les mouvemens des corps célestes; c'est au Poête à peindre leur balancement, leur harmonie & leurs. immuables révolutions. L'un diftinguera les claffes nombreuses d'êtres organifés qui peuplent les élémens divers ; l'autre dé→ crira d'un trait hardi, lumineux & rapide, cette échelle immense & continue, où les limites des regnes fe confondent, où tout femble placé dans l'ordre conftant & régulier d'une gradation univerfelle entre les deux limites du fini, & depuis le bord de l'abîme qui nous fépare du néant, jusqu'au bord de l'abîme oppofé qui nous fépare de l'Etre par effence. Les refforts de la Nature & les loix qui reglent fes mouvemens. ne font pas de ces objets qu'il eft aifé de rendre fenfibles, & la Poéfie peut les négliger. Les. causes l'intéreffent peu; c'eft aux effets qu'elle s'attache. Tandis que le Phyficien analyse le fon & la lumiere, le Poête fera donc entendre à l'ame l'explofion du tonnere, & ces longs retentiffemens qui femblent de montagne en mon→ tagne annoncer la chûte du monde. Il lui fera voir le feu bleuâtre des éclairs fe brifer en lames. étincellantes, & fendre à fillons redoublés cette maffe obfcure de nuages qui femble affaiffer. Fhorifon. Tandis que l'un tâche d'expliquer l'éma

.

nation des odeurs, l'autre rend ce phénomene visible à l'efprit, en feignant que les Zéphirs agitent dans l'air leurs alles humectées des larmes de l'Aurore & des doux parfums du matin. Que le confident de la Nature développe le prodige de la greffe des arbres, c'est affez pour Virgile de l'exprmer en deux beaux vers

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Exiit ad cælum, ramis felicibus, arbos, Miraturque novas frondes, & non fua poma (a). on voit par ces exemples que les études du Poête ne font pas celles du Philofophe. Celuici étudie la Nature pour la connoître & celui-là pour l'imiter. L'un veut expliquer, & l'autre veut peindre. Il faut avouer cependant que fi les profondes recherches du Philofophe ne font pas effentielles au Poête au moins lui feroient-elles d'une grande utilité; & celui que la Nature a initié dans fès mysteres, aura toujours fur des hommes fuperficiellement inf truits un avantage progidieux. La Phyfique eft à la Poéfie ce que l'Anatomie eft à la Peinture elle ne doit pas s'y faire trop fentir; mais revétue des graces de la fiction

:

joint le charme de la vérité.

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elle y

(a) Cet arbre heureux s'éleve, & lui-même il admire Ses nouveaux rejetons & fes fruits étrangers,

La fimple Nature eft donc pour la Poéfie une mine abondante; la Nature modifiée par l'induftrie n'a pas moins de quoi l'enrichir. La théorie de l'Agriculture, des Méchani

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ques,
de la Navigation, tous les Arts de
décoration, d'agrément, & tous ceux des Arts
utiles dont les détails ont quelque nobleffe
peuvent contribuer à la collection des lumieres
du Poête. Il doit en être affez inftruit pour en
tirer à propos des images, des comparaifons,
des descriptions même, s'il y eft amené.
Nulla fit ingenio quam non libaverit Artem (a).

C'eft par là qu'on évite la féchereffe & la ftérilité dans les chofes les plus communes, & qu'on peut être neuf en un fujet qui paroît ufé. Tantum de medio fumptis accedit honoris (b).

Dans l'étude de la Nature modifiée eft comprise celle des productions de l'efprit, de fes développemens & de fes progrès en Éloquence, en Morale, en Poéfie, &c.

Que l'étude des Poêtes foit effentielle à un Poête, c'eft ce qui n'a pas befoin de preuve. Hinc pectore numen

Concipiunt vates (c).

(a) Que du moins fon génie effleure tous les Arts.
(b) Tant l'Art fait ennoblir une image vulgaire.
(c) C'est là qu'il fe remplit du Dieu qui le domine.

Vida,

Horat.

Vida ¿

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