Page images
PDF
EPUB

L'ECOSSAISE,

COMEDIE.

PAR M. HUME.

TRADUITE EN FRANÇAIS

PAR JEROME CAR RÉ.

Représentée à Paris au mois d'auguste 1760.

J'ai vengé l'univers autant que je l'ai pu.

DU TRADUCTEUR

DE L'ECOSSAISE

A MONSIEUR

LE COMTE DE LAURAGUAIS.

LA

MONSIEUR,

A petite bagatelle que j'ai l'honneur de mettre fous votre protection n'eft qu'un prétexte pour vous parler avec liberté.

Vous avez rendu un fervice éternel aux beaux arts et au bon goût, en contribuant par votre générofité à donner à la ville de Paris un théâtre moins indigne d'elle. Si on ne voit plus fur la scène Céfar et Ptolomée, Athalie et Joad, Mérope et fon fils entourés et preffés d'une foule de jeunes gens, fi les fpectacles ont plus de décence, c'eft à vous feul qu'on en eft redevable. Ce bienfait eft d'autant plus confidérable, que l'art de la tragédie et de la comédie eft celui dans lequel les Français fe font diftingués davantage : il n'en eft aucun dans lequel ils n'aient de très-illuftres rivaux,

ou même des maîtres. Nous avons quelques bons philofophes; mais, il faut l'avouer, nous ne fommes que les difciples des Newtons, des Lockes, des Galilées. Si la France a quelques hiftoriens, les Efpagnols, les Italiens, les Anglais même nous difputent la fupériorité dans ce genre. Le feul Maffillon aujourd'hui paffe chez les gens de goût pour un orateur agréable; mais qu'il eft encore loin de l'archevêque Tillotson aux yeux du refte de l'Europe! Je ne prétends point pefer le mérite des hommes de génie ; je n'ai pas la main assez forte pour tenir cette balance je vous dis feulement comment penfent les autres peuples; et vous favez, Monfieur, vous qui dans votre première jeuneffe avez voyagé pour vous inftruire, vous favez que prefque chaque peuple a fes hommes de génie, qu'il préfère à ceux de fes voifins.

Si vous defcendez des arts de l'efprit pur à ceux où la main a plus de part, quel peintre oferions-nous préférer aux grands peintres d'Italie? C'eft dans le feul art des Sophocles que toutes les nations s'accordent à donner la préférence à la nôtre : c'eft pourquoi dans plufieurs villes d'Italie la bonne compagnie se raffemble pour représenter nos pièces, ou dans notre langue, ou en italien; c'est ce qui fait qu'on trouve des théâtres français à Vienne et à Pétersbourg.

Ce qu'on pouvait reprocher à la scène française était le manque d'action et d'appareil. Les tragédies étaient fouvent de longues converfations en cinq actes. Comment hasarder ces fpectacles pompeux, ces tableaux frappans, ces actions grandes et terribles, qui bien ménagées font un des plus grands refforts de la tragédie? comment apporter le corps de Céfar fanglant fur la fcène? comment faire descendre une reine éperdue dans le tombeau de fon époux, et l'en faire fortir mourante de la main de son fils, au milieu d'une foule qui cache, et le tombeau, et le fils, et la mère, et qui énerve la terreur du fpectacle par le contrafte du ridicule?

C'est de ce défaut monftrueux que vos feuls bienfaits ont purgé la fcène; et quand il fe trouvera des génies qui fauront allier la pompe d'un appareil néceffaire et la vivacité d'une action également terrible et vraisemblable à la force des pensées, et furtout à la belle et naturelle poëfie, fans laquelle l'art dramatique n'est rien, ce fera vous, Monfieur, que la postérité devra remercier. (1)

(1) Il y avait long-temps que M. de Voltaire avait réclamé contre l'ufage ridicule de placer les fpectateurs fur le théâtre et de retrécir l'avant- fcène par des banquettes, lorfque M. le comte de Lauraguais donna les fommes néceffaires pour mettre les comédiens à portée de détruire cet ulage.

M. de Voltaire s'eft élevé contre l'indécence d'un parterre debout et tumultueux ; et dans les nouvelles falles conftruites

« PreviousContinue »