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régulières avec elles, et dans peu d'années l'emploi des mêmes procédés y aura porté les mêmes conséquences. Un spéculateur anglais, M. Mathieson, a acheté la plus grande des Hébrides, l'île de Lewis tout entière, qui a environ 500,000 acres anglais, ou 200,000 hectares d'étendue, et y a commencé une série d'améliorations, dont le point de départ est l'émigration plus ou moins volontaire d'une grande partie des habitants.

CHAPITRE XXIII.

L'IRLANDE.

Autant l'histoire agricole de l'Angleterre et de l'Ecosse est brillante, autant celle de l'Irlande est lamentable, au moins jusqu'à ces dernières années. L'avenir de cette île malheureuse a été longtemps une énigme sans mot; aujourd'hui le problème s'éclaircit, mais à quel prix !

Ce ne sont pas pourtant les ressources naturelles qui lui manquent. De l'aveu même des Anglais, l'Irlande est supérieure à l'Angleterre comme sol. Par une conformation particulière, ses montagnes s'élèvent presque toutes le long des côtes, et l'intérieur forme une vaste plaine, dont la plus grande partie est d'une admirable fertilité. Sa superficie est en tout de 8 millions d'hectares ; les rochers, les lacs et les marais en couvrent environ deux, deux autres sont formés de terrains médiocres ; tout le reste, c'est-à-dire la moitié environ du territoire, est une terre grasse à sous-sol calcaire, ce qui se peut concevoir de mieux. « C'est le plus riche sol que j'aie jamais vu, dit Arthur Young en parlant des comtés de Limerik et de Tipperary, et le plus propre à tout. » Le

climat, plus humide encore et plus doux qu'en Angleterre, y rend les extrêmes de la chaleur et du froid plus complétement inconnus, au moins dans les trois quarts de l'île; la végétation herbacée y est admirable, ce n'est pas sans raison que le trèfle est devenu l'emblème héraldique de l'île verte, comme on l'appelle. La côte sud-ouest jouit d'un printemps perpétuel, dû aux courants de l'Océan qui viennent des tropiques; on y voit des myrtes en pleine terre, l'arbre le plus commun est l'arbousier, qu'on appelle aussi l'arbre aux fraises.

Aucun pays n'a été plus heureusement doué par le ciel pour la navigation, tant intérieure qu'extérieure. A l'intérieur, des lacs immenses, tels que le lac Neagh, d'une superficie d'environ 40,000 hectares; le lac Corrib, qui en couvre 16,000, et une foule d'autres disséminés avec une abondance qu'on ne retrouve nulle part, offrent aux transports des facilités uniques. Le plus beau fleuve des îles britanniques, le Shannon, moitié fleuve, moitié lac, traverse presque toute l'Irlande de l'est à l'ouest, sur une longueur de 80 licues, avec cette heureuse singularité qu'il est navigable, sauf quelques interruptions faciles à corriger, depuis son embouchure jusqu'à sa source. D'autres rivières également navigables, découlant dans tous les sens des différents lacs, forment les rameaux d'un vaste système que de courts canaux peuvent aisément compléter. A l'extérieur, la mer pénètre de toutes parts dans les côtes, et y creuse des baies et des ports innombrables, dont un seul, celui de Cork, abriterait toutes les flottes de l'Europe. La configuration du sol ne se prête pas moins aux voies de

communication par terre; routes ordinaires et chemins de fer s'y font avec moins de peine et de frais que dans la Grande-Bretagne.

Malgré ces dons naturels, la misère du peuple irlandais est depuis longtemps proverbiale. Quatre grandes villes, Dublin, Cork, Belfast et Limerick, la première de 250,000 âmes, la seconde de 100, la troisième de 80, la quatrième de 60, placées comme au centre des quatre faces de l'île, en forment les métropoles : Dublin surtout passe à bon droit pour une des plus belles villes de l'Europe, et sa magnificence étonne l'étranger; mais le reste du pays contient peu de villes, et les campagnes ont un air navrant de pauvreté qui gagne les faubourgs des grandes cités. Ces ports, ces lacs, ces fleuves, qui devraient porter la vie de toutes parts, sont presque délaissés par le commerce. Le produit brut agricole, du moins avant 1847, atteignait à peine la moitié du produit brut anglais à surface égale, et la condition de la population rurale était pire encore que ne semble l'indiquer cette différence dans les produits. Arrêtons-nous d'abord à cette date, qui importe ici plus encore que dans le reste du Royaume-Uni; recherchons quelle était alors la situation, soit de l'agriculture, soit de la population rurale, et quelles en pouvaient être les causes; je raconterai ensuite ce qui s'est passé depuis.

Des quatre grandes provinces qui formaient autrefois autant de royaumes, la plus riche au point de vue agricole, était le Leinster, où se trouve Dublin; après, venait la moitié environ de l'Ulster, où est Belfast; puis le Munster, où sont les deux ports de Cork et de Lime

rick; enfin le Connaught avec une partie de l'Ulster, un des plus pauvres et des plus sauvages pays de la terre. Entre le comté de Meath, en Leinster, où la rente moyenne s'élevait à 100 francs l'hectare, comme dans les meilleurs comtés anglais, et celui de Mayo, en Connaught, où elle tombait à 10 francs, le rapport était de 10 à 1. En Ulster, les comtés d' Armagh, de Down et d'Antrim, qui se groupent autour de Belfast, en Munster, ceux de Limerick et de Tipperary, les plus fertiles de l'Irlande, rivalisaient pour le produit avec le Leinster; mais, même dans les cantons les plus productifs, la pauvreté du cultivateur réagissait sur la terre. Le défaut de capital frappait les yeux à peu près uniformément; la richesse naturelle du sol en tenait lieu sur les points privilégiés; sur ceux où cette ressource échappait, la misère devenait affreuse.

Des deux espèces de capitaux matériels qui concourent à la production rurale, le premier, le capital foncier, celui qui se compose des travaux de tout genre accumulés avec le temps pour la mise en valeur du sol et incorporés avec lui, bâtiments, clôtures, chemins, amendements, desséchements, appropriations aux cultures spéciales, manquait presque absolument. Les parcs des riches propriétaires étaient entretenus avec le même soin qu'en Angleterre; mais tandis qu'en Angleterre il est souvent impossible de distinguer le point où finit le parc et où commence la ferme, un contraste affligeant apparaissait dès qu'on sortait de l'enceinte réservée. Plus de fossés d'écoulement, d'arbres, de haies, de clôtures soignées, de chemins propres et bien tracés; partout la

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