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imagination assez puissante, pour individualiser toutes les idées générales, à mesure que la succession des mots les fait passer devant son esprit. Il est rare que, dans la rapidité de la parole, nos raisonnemens faits avec des mots, pénètrent au delà de ces mots, et qu'ils atteignent immédiatement aux choses.

Ni vous, messieurs, ni moi, ne nous sommes fait des idées distinctes, correspondantes aux derniers mots que je viens de prononcer : rare, rapidité, raisonnement, dans, au delà, etc. nous n'avons eu ni le temps, ni la volonté de nous en former des images; et il en est ainsi de la presque totalité des mots qui entrent dans nos discours.

D'où il ne faudrait pas conclure avec Hobbes, que nos jugemens et nos raisonnemens consistent à saisir des rapports entre des mots, et que la vérité est une chose purement verbale; car alors, un perròquet bien dressé, serait aussi sayant que l'homme le plus habile.

On voit ici la différence qui se trouve entre un ignorant et un homme instruit, qui prononcent les mêmes mots.

L'ignorant, manquant d'idées, n'applique ses mots à rien, et il ne saurait les appliquer.

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L'homme instruit, quand il ne les applique pas, a le pouvoir de les appliquer. Ordinairement il se contente du mot; mais il ira aux idées, du moment qu'il en sentira le besoin. C'est ainsi que l'algébriste calcule ou raisonne mécaniquement; il opère sur les signes, jusqu'au moment où, arrivé à son équation finale, il demande à ces signes les idées dont ils sont les dépositaires; alors il se trouve riche d'une vérité nouvelle.

Les idées générales, les noms généraux, se distribuent en différentes classes, subordonnées les unes aux autres.

Pour bien comprendre cette distribution, observez que tous les êtres peuvent se classer d'une infinité de manières. Les hommes, par exemple, considérés sous le rapport de l'âge, de la santé, de la richesse, de la science, de la profession qu'ils exercent, du lieu qu'ils habitent, donnent lieu à autant de classes, dont chacune donne lieu, elle-même, à une série de classes.

Sous le dernier rapport que nous venons d'énoncer, on a d'abord, en commençant par la classe la plus générale, la classe homme, qui se divise en homme-européen, homme-asiatique, homme-fricain, homme-américain; et

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parce que, soit en parlant, soit en écrivant, les mots européen, asiatique, viennent à la suite du mot homme, on dit qu'ils lui sont subordonnés. Mais, pour abréger, on supprime ordinairement le nom de la classe plus générale, et l'on dit européen au lieu d'homme-européen, asiatique au lieu d'homme-asiatique, etc.

Ces quatre classes subordonnées et particulières, par rapport à la classe générale homme, vont devenir elles-mêmes générales. La classe européen se subdivisera en européen-français, européen - anglais, ou plus brièvement en français, anglais, italiens, etc.; la classe français se subdivisera en normands, bretons, etc.; la classe breton, en autant de classes subordonnées, que la Bretagne comprend de départemens; les habitans d'un département, en autant de classes que le département contient d'arrondissemens, de cantons, de villes, de villages; que chaque ville contient de quartiers; que chaque quartier contient de rues; que chaque rue contient de maisons, dans lesquelles enfin se trouveront les individus, d'après lesquels, et pour lesquels ont été faites toutes les classes.

Voilà donc, à ne considérer les hommes que sous un seul point de vue, une multitude de

classes intermédiaires entre les individus et la classe la plus générale.

Ces classes sont subordonnées entre elles, et toutes, à la classe la plus générale homme, qui seule n'est pas subordonnée; mais vous allez voir qu'elle peut l'être à son tour.

Sortez de l'humanité; cherchez des termes de comparaison parmi les habitans de la terre, de l'air et des eaux, vous ne tarderez pas à vous apercevoir qu'entre un homme, un lion, un aigle et un dauphin, tout n'est pas différent. Le dauphin se meut d'un mouvement spontané, comme le lion, comme l'aigle, comme l'homme; comme eux, il cherche son aliment; il naît, croît, se fortifie, vieillit et meurt. De chacun des termes de la comparaison que nous venons d'établir, il nous vient donc une idée qui représente quelque chose de commun à tous les termes, une idée générale par conséquent. On a donné à cette idée le nom animalité.

Les idées générales, les classes générales homme, lion, aigle, dauphin, sont donc subordonnées à l'idée ou classe plus générale animal. L'homme est une espèce d'animal; l'homme est une espèce dont animal est le genre.

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L'idée générique animal deviendra à son tour une idée spécifique, si nous la subordonnons à une idée plus générale qu'elle ne l'est elle-même. Or, rien n'est plus facile. Je n'entrerai pas dans un détail fatigant pour faire voir que l'animal, c'est-à-dire, le corps organisé, vivant et animé, est une espèce de corps; le corps une espèce de substance; la substance une espèce d'être; ou, ce qui revient au même, la classe animal est subordonnée à la classe corps; la classe corps à celle de substance; celle de substance enfin à celle d'étre. Ici nous sommes forcés de nous arrêter. Nous sommes arrivés à la classe la plus générale, au genre le plus élevé; ou, comme on s'exprime en termes de l'école, au genre suprême.

que

Maintenant, rapprochons ces différentes classes; et, pour n'être pas trop minutieux, négligeons-en la plus grande partie.

Parisien, Français, Européen, homme, animal, corps, substance, étre.

Souvenez-vous du point de vue qui a donné lieu à toutes ces classes; souvenez-vous qu'elles sont toutes relatives aux différens pays qu'habitent les hommes, à la place qu'ils occupent sur la surface du globe; et demandez-vous

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