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Chap. II. §. 15.

A l'égard des Crimes commis par un Corps entier, ou une Communauté, il faut remarquer, qu'encore que les délibérations qui ont pallé à la pluralité des voix, foient regardées d'ordinaire comme l'avis & la volonté de tout le Corps, en forte que les Membres, qui avoient opiné autrement (d), font néanmoins tenus de fe foûmettre à la délibération, & de l'exé- (d) Voiez ci-defcuter même, s'il le faut; cependant, lors qu'elle renferme quelque chofe de vicieux & de fus, Liv. VII. criminel, ceux-là seuls en font coupables qui y ont donné un confentement actuel: les autres, qui ont toûjours été d'avis contraire (e), & qui ont perfifté conftamment, font en- (c) Voiez Luc, tiérement innocens. De là vient qu'Alexandre le Grand, en faifant vendre tous les Thé- XXIII, s. & bains (f), après les avoir vaincus, laiffa la liberté à ceux qui s'étoient opposez à la délibé- Cap. XXI. §. 7. ration publique de fecouer le joug des Macédoniens. On excufe même ordinairement, du num. 2. moins en partie, ceux qui aiant été d'abord de fentiment contraire, prêtent enfuite la main Alexandr. pag. à l'exécution de la délibération criminelle qui a prévalu. C'est ainfi qu'on dit que les 670. D. Grecs (g) épargnérent Antenor & Enée, parce qu'ils avoient confeillé de rendre Héléne; (g) Voiez T.Liv. quoi que le dernier combattit enfuite vaillamment pour fa Patrie.

Grotius, Lib. II.

(f) Plutarch. in 1

Lib. I. Cap. L.

Quibus modis

Il faut remarquer encore, que l'on punit autrement un Corps confidéré précisément comme tel, & chacun des Membres ou des Particuliers dont il eft compofé. On fait mourir quelquefois les Particuliers. Mais ce qui tient lieu de Mort (h) à l'égard du Corps entier, (h) Voiez Digeft. c'eft de le diffoudre, ou de détruire l'union Morale qui le forme, & qui en conftitue la Lib. VII. Tit. VI. nature. On punit auffi quelquefois les Particuliers, en les rendant Efclaves. Une Punition fusfructus vel femblable pour un Corps, c'eft de le faire dépendre d'un autre Corps fubordonné, ou même d'un feul Sujet de l'Etat. Enfin on punit les Particuliers par des amendes pécuniai- Conftit. Sicul. Lib. res, ou par une confifcation de leurs biens. De même on ôte à un Corps, en forme de 1. Tit. XLVII. Peine, les biens (i) & les avantages qu'il poffedoit en commun, par exemple, fes Murail- (i) Voiez Heroles, fes Ports, fes Arfenaux, fes Vaiffeaux de guerre, fes Armes, fon Thréfor, fes Ter- Cap. XIX. Ed. res, fes Priviléges, &c.

Leg. XXI. &

dien, Lib. III.

Oxon. Libanius,
Orat. XIII. Vul-

Mais, pour ce qui regarde en général tous les Crimes commis par une Multitude, la carius Gallican. Raifon veut que l'on punifle (1) fur tout ceux qui en font les principaux Auteurs. Il faut in Avid. Cass. donc ici avoir toûjours devant les yeux la réflexion d'un ancien Orateur: (2) On fe trompe Hift. Eccl. Lib. Cap. IX. Socrat. fort, dit-il, de croire qu'il y ait parmi les Hommes aucun Crime qui puisse être regardé com- II. Cap. XIII. me le Crime du Public. Tout ce que l'Etat fait, doit être proprement attribué à ceux qui ont l'art de perfuader; & le Peuple ne s'émeut & ne fe fache qu'autant qu'on l'anime & qu'on l'irrie de même que nôtre Corps fuit uniquement les mouvemens de nôtre Ame, en forte que nos membres demeurent immobiles, tant que nous ne voulons pas nous en fervir. Il n'y a rien de plus facile que d'exciter dans les efprits du Peuple toutes fortes de Paffions. Lors que l'on s'affemble pour les affaires communes, aucun n'apporte fon efprit, fon jugement, en un mot la moindre ombre de raison,& la Multitude ne fait jamais paroitre la même cir confpection & la méme prudence que chacun a pour fes affaires particulieres, foit parce que l'on ne s'intéreffe guéres à ce qui touche le Public, foit parce que l'on fe repofe fur les autres

6. XXVIII. (1) C'eft le parti que l'on prit autrefois dans une fédition qui s'étoit faite à Carthage la Neuve. en Espagne. Certabant fententiis [Carthagini] utrum in auctores tantum feditionis.... animadverteretur, an plurium fupplicio vindicanda tam fædi exempli defectio magis quam feditio effet. Vicit fententia lenior, ut unde orta culpa effet, ibi pana confifteret. ad multitudinem caftigationem fatis effe. Tit. Liv. Lib. XXVIII. Cap. XXVI. La décimation des Soldars, qui ont commis ensemble la même faute, fe fait auffi avec raison, felon un ancien Orateur, afin que tous foient dans la crainte, & qu'il n'y en aît pourtant que peu de punis. Statuerunt enim ita Majores noftri, ut, fi à multis effet flagitium rei militaris admiffum, fortitione in quofdam animadverteretur: ut metus videlicet ad omnes, pœna ad paucos perveniat. Orat. pro A. Cluentio, Cap. XLVI. Voiez Polyb. Lib. XI. Cap. XXVII. in fin. & Excerpt. Legat. Lib. XXVIII. Cap. IV. TOM. II.

du

Tacit. Annal. Lib. I. Cap. XLIV. init. Bodin. de Republ.
Lib. III. Cap. VII. pag. 527. & feqq. Conftit. Sicul. Lib. I.
Tit. ult. Ant. Matth. de Crimin. ad Leg. XLVIII. Digeft.
Tit. XVIII. Cap. IV. §. 30.

(2) Fallitur, Judices, quifquis ullum facinus in rebas
humanis publicum putat. Perfuadentium vires funt quic-
quid Civitas facit: & quodcumque facit Populus, fecun-
dum quod exafperatur, irafcitur. Sic corpora noftra motum
nifi de mente non fumunt, & otiofa funt membra donec il-
lis animus utatur. Nil eft facilius, quàm in quemlibet af-
fectum movere populum. Nulli, cum coimus, fua cogita-
tio, fua mens, ulla ratio prasto eft, nec habet ulla turba
prudentiam fingulorum: five quod minus publicos capimus
affectus, five negligentior eft qui fe non folum putat debere
rationem: & multifiducia facimus omnium. Quintil. De-
clam. XI. pag. 156. Ed. Lugd. Bat.

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LesCrimes commis par des Corps entiers

s'effacent par la

longueur du

tems.

§. 8.

$59. A.

XII. §. 2. à la fin.

du foin des chofes qui les regardent auffi bien que nous: de forte que, quand il s'agit de quelque entreprise téméraire on criminelle, on s'y porte hardiment & fans examen, dans la confiance du grand nombre de compagnons qui y concourent.

§. XXIX. On demande, fi l'on peut toûjours punir, tôt ou tard, les Crimes commis par un Corps ou une Communauté (a)? fi, par exemple, il en eft encore tems après deux ou trois générations? Il femble d'abord qu'il n'y aît là rien d'injufte; le Corps (b) demeurant toûjours le même, tant qu'il fubfifte, malgré le changement & la fucceffion conti(a) Voicz Grotius, nuelle des Particuliers dont il eft compofé. Il vaut mieux néanmoins prendre ici l'affirmaLib.II. Cap.XXI. tive: car il n'eft pas même toûjours néceffaire, parmi les Hommes, de punir les vieilles (b) Voiez Plu- fautes des Particuliers auffi exactement & avec autant de rigueur, que celles qui font tou tarch. de fera tes fraîches; & ce n'eft pas fans raifon que le Droit Romain a fait diverfes Loix fur (c) la Num, vind. pag. Prefcription des Crimes. De plus, il faut bien remarquer, que l'on attribue à un Corps (c) Voiez ci-def- deux fortes de chofes: les unes, qu'il poffède directement & par lui-même, comme font, fus, Liv. IV. Ch. le Thréfor public, les Loix, les Droits, les Privileges, &c. car chacun des Membres ne peut pas dire que ces choses-là lui appartiennent: les autres qui ne conviennent au Corps qu'indirectement, & entant qu'elles réfident dans les Particuliers, d'où elles réjailliffent fur tout le Corps, comme quand on dit qu'une Société eft favante, brave, fage, de bonnes ou de mauvaises mœurs &c. quoi qu'il puiffe y avoir quelques ignorans, quelques lâ ches, quelques honnêtes gens ou quelques débauchez. C'eft dans le dernier fens qu'on dit qu'un Corps a mérité d'être puni: car un Corps confidéré comme tel, & entant que diftinct des Membres dont il eft compofé, n'a pas une Ame par le moien de laquelle il puiffe produire des Actions immédiatement fufceptibles de mérite ou de démérite. Lors donc que les Membres, dont les Crimes réjaillifloient fur le Public, viennent à être éteints, fans que ceux qui ont fuccédé aient rien fait qui témoigne qu'ils approuvent les Actions de leurs prédécefleurs; les Crimes ne fubfiftent plus, & par conféquent le Corps (d) vbi fuprà. entier n'eft plus fujet à la Peine. Plutarque (d), pour prouver le contraire, en appelle à la conduite de la Providence Divine, qui fait porter quelquefois à la postérité la peine des Crimes de fes Ancêtres. Mais les régles de la Juftice Divine ne font pas toûjours les mêmes que celles des Tribunaux Humains. Les (1) Récompenfes (e) & les Honneurs qui paflent d'une génération à l'autre, & à la postérité la plus reculée, ne tirent pas non plus à conféquence pour la Punition des Crimes. Car il n'en eft pas des Peines comme des Bienfaits, qui ne fuppofent aucun mérite dans ceux qui les reçoivent, & dont le Bienfaicteur peut favorifer qui bon lui femble, fans faire tort à perfonne.

(e) Ibid. C.

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§. XXX. DU RESTE, c'eft une Régle fûre & inviolable, que perfonne ne peut être légitimement puni, devant les Tribunaux Humains, pour un Crime d'autrui auquel il n'a aucune part. La (1) raifon en eft, que tout mérite ou démérite eft entiérement perfonnel, & fondé fur la volonté particulière de chacun, qui eft ce que l'on a de plus propre & de plus incommunicable.

Mais, comme il arrive fouvent, dans le cours de la vie, que des perfonnes innocentes fe trouvent exposées à fouffrir quelque chofe à l'occafion d'un Crime d'autrui; pour ne pas confondre des idées différentes, il faut bien remarquer 1. Que tout ce qui caufe quelque chagrin, quelque douleur, ou quelque perte, ne tient pas pour cela lieu de Peine

§. XXIX. (1) C'eft ainfi qu'autrefois les Romains alléguerent, comme une raifon plaufible de ce qu'ils prenoient la defenfe des Acarnaniens, contre les Etoliens; que les Ancêtres des Acarnaniens étoient les feuls qui n'avosent point envoie de fecours aux Grecs contre les Troiens, d'où étoit defcenduë la Nation Romaine. Justin. Lib. XXVIII. Cap. L. in fin. Strabon, Lib. X. Mais on voit bien, que ce n'étoit qu'un prétexte, dont les Romains fe fervoient, pour fe mêler d'une querelle où ils n'avoient que faire d'entrer. Notre Auteur fe moquoit auffi de ce mot de Mahomet II. Empereur des Turcs, lequel écrivant au

proPape Pie II. lui difoit: Je m'eftonne, comment les Italiens fe bandent contre moy, attendu que nous avons noftre origine commune des Troyens; & que j'ay, comme eux, intereft de venger le fang d'Hector fur les Grecs, lefquels ils vont faverifant contre moy. Effais de Montagne, Liv. II. Chap. XXXVI. pag. 556.

§. XXX. (1) Cette raifon étoit placée au commencement du paragraphe fuivant, d'où je l'ai transportée ici, pour mieux ranger les chofes, & dégager la fuite du difcours.

Lib. II. C. XXI,

proprement ainfi nommée (a). C'eft une Punition, que d'être réduit à la mendicité, par (a) Voicz Grotius, l'effet d'un Crime qui a été caufe que le Magiftrat nous a confifqué nos biens. Mais com-.. bien n'y a-t-il pas de gens, qui, en venant au monde, n'ont aucun patrimoine qui les attende? Combien d'autres, qui perdent tout ce qu'ils ont au monde, par un Incendie, par un Naufrage, par la Guerre? Lors donc que des Sujets, par exemple, fouffrent quel que mal ou quelque perte à caufe des Crimes de leur Prince, ils doivent regarder cela comme les incommoditez corporelles, les infirmitez de la vieilleffe, le défordre des faifons, la ftérilité, & autres femblables malheurs, qui font une fuite inévitable de la conftitution des chofes humaines.

mage caufe di

§. XXXI. 2. AUTRE chofe eft un Dommage caufe directement, & un Dommage qui Il y a un Domi provient feulement par une fuite accidentelle. Le prémier, c'est lors qu'on dépouille quel rectement, & un cun d'ane chofe à laquelle il avoit déja un droit proprement ainfi nommé. L'autre, c'eft Dommage cause lors que, par accident, on privé quelcun d'une chofe, fur laquelle il ne pouvoit par accident. aquérir aucun droit fans une certaine condition, qui vient à manquer. Lors, par exemple, qu'en creufant un puits dans (1) mon fonds, j'y attire les veines d'eau, qui fans cela auroient coulé dans la terre de mon Voifin: comme je ne fais qu'ufer de mon droir, je ne caufe point de Dommage proprement ainfi dit à mon Voifin; c'est la décision des Jurifconfultes Romains. De même, fi l'on confifque les biens d'un homme, fes Enfans. en fouffrent à la vérité, mais ce n'eft pas proprement une Peine par rapport à eux; puis que ces biens ne devoient leur appartenir (2) qu'en fuppofant que leur Pére les confervât jufqu'à la mort.

font la véri qui

que l'occafion.

Lib.II. Cap.XXI.

S. 11.

§. XXXII. ENFIN, il faut remarquer que l'on fait quelquefois fouffrir quelque Mal, y a des chofes ou perdre quelque Bien, à l'occafion d'une faute d'autrui, ou en conféquence de ce qu'u- table cause d'un ne autre perfonne n'a pas tenu les engagemens, mais en forte néanmoins que cette faute Mal; d'autres & ce manque de parole ne font pas la caufe prochaine & véritable de ce que fouffre celui qui n'en font qui n'y a point de part, & qu'ils ne donnent pas droit directement de le lui faire fouffrir (a). C'est ainsi qu'une Caution eft fouvent condamnée à quelque chofe, lors que le (a)Voiez Grotius, Débiteur, pour qui elle a répondu, ne tient pas fa parole: mais la caufe prochaine & immédiate pourquoi elle eft tenue de paier, c'est parce qu'elle l'avoit promis. Comme donc celui qui a répondu pour un Acheteur, n'eft pas proprement obligé de paier en vertu du Contract de Vente, mais en vertu de l'engagement où il est entré de fon bon-gré de même celui qui a cautionné pour un Criminel, n'eft pas proprement tenu du fait d'autrui, mais de fon propre fait, ou de fa Promeffe. D'où il s'enfuit, que le mal qu'on peut légitimement faire fouffrir à un tel Répondant, doit être proportionné, non au Crime de celui, pour qui il a cautionné, mais au pouvoir qu'il avoit lui-même de promettre. Lors donc que le Criminel s'eft évadé, il ne faut pas faire fouffrir au Répondant autant de mal que le Criminel méritoit d'en fouffrir, mais feulement autant que le Répondant a pû s'engager d'en fouffrir pour l'autre. Ainfi, lors qu'il s'agit d'un Crime capital, on ne fauroit exiger d'un Répondant autre chofe, fi ce n'eft qu'il promette au Magiftrat, par devant lequel la caufe eft portée, de réparer le dommage qui en provient, ou de repréfenter (b) l'Ac- (b) Voiez ci-defculé en tems & lieu. Mais le Répondant ne peut jamais s'engager à fubir la Peine de mort,

§. XXXI. (1) Item videamus, quando damnum dari videatur... ..... ut puta in domo mea puteum aperio, quo aperto vena putei tui pracifa funt : an tenear? Att Trebatius, non teneri me damni infetti: neque enim exißimari, operis mei vitio damnum tibi dari in ea re, in qua jure meo ufus fum. Digeft. Lib. XXXIX. Tit. II. De damno infecto, & de fuggrundis &c. Leg. XXIV. §. 12. Voiez la Loi XXVI. du même Titre.

(2) Effe autem præpoflerum, antè nos locupletes dici, quam adquiferimus. Digeft. Lib. XXXV. Tit. II. Ad Leg. Falcid. Leg. LXIII. Eum qui Civitatem amitteret, nihil aliud juris adimere liberis, nifi quod ab ipfo perventurum effet ad

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fus, Liv. V. Ch X. §. 12. per

eos, fi inteftatus in Civitate moreretur : hoc eft, heredita-
tem ejus, & liberos, & fi quid aliud in hoc genere reperiri
poteft: qua verò non à patre, fed à genere, à civitate, à
rerum natura tribuerentur, ea manere eis incolumia. Lib.
XLVIII. Tit. XXII. De interdictis, & relegatis, & depor
tatis, Leg. III. Buchanan a pourtant raifon, (ajoûtoit
notre Auteur) de trouver injufte & inhumaine une Loi
de Mogald, Roi d'Ecoffe, par laquelle ce Prince_confif-
quoit abfolument tous les biens des Criminels, fans en
rien laiffer ni à leurs Femmes, ni à leurs Enfans. Rerum.
Scoticar. Lib. IV.

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perfonne n'aiant droit de difpofer de fa propre vie; & les Régles de la Juftice Humaine ne permettent pas non plus d'infliger une telle Peine à un fimple Répondant. En effet, le Répondant n'a pas commis lui-même le Crime, & il ne s'en eft pas non plus rendu complice par fon cautionnement: car quel mal y a-t-il à vouloir qu'un Accufé plaide sa cause dans un lieu plus commode, ou foit traité plus doucement, en attendant qu'on lui prononce sa sentence; ou à promettre de paier l'amende que les Juges lui impoferont, & l'eftimation de ce à quoi le Magiftrat fera monter le préjudice que l'Etat peut avoir reçû, fi le Criminel vient à fe fouftraire, par la fuite, aux Peines portées par les Loix? D'ailleurs, en puniffant de mort le Répondant, fans qu'il aît commis aucun Crime, mais feulement parce qu'il s'eft imprudemment expofé à un fi grand péril en faveur d'un homme, fur la bonne foi duquel il fe repofoit, on ne détourneroit pas par là les autres des Crimes femblables à celui de l'Accufé; on ne feroit que les rendre plus circonfpects, quand il s'agiroit de répondre pour quelcun. Ainfi un Magiftrat, qui feroit mourir un fimple Répon-dant, montreroit par là qu'il ne connoit ni la nature de la Punition, ni fon Devoir; à moins qu'il ne parut manifeftement que le Répondant eft intervenu de mauvaise foi & par collufion, afin de fournir au Criminel le moien d'éluder l'autorité des Loix & de la Juftice. De même, perfonne n'aiant droit de détruire fes propres membres à fa fantaisie; il eft clair qu'on ne fauroit s'engager à être mutilé pour autrui. Autre chofe eft quand on fait (c) Voiez 1. Rois, mourir (c) ceux qui étant chargez de garder un Criminel, le laiffent fauver, ou par un XX, 39. Actes, effet de leur négligence, ou parce qu'ils s'entendent avec lui: car on ne les punit pas pour (d) Voiez un au- le Crime d'autrui, mais pour le leur propre (d). Bien plus: quoi que d'ailleurs les Chefs de Famille d'une République aient droit de recevoir ou de ne pas recevoir dans leur Etat la Vega, Hift. des qui il leur plait; il n'eft pas juste, à mon avis, de bannir un fimple Répondant, foit parce que le banniffement ne femble pas pouvoir tenir lieu ici de Peine proprement ainsi nommée; foit parce que le bien de l'État ne demande pas qu'on chaffe un tel Citoien pour ce feul fujet. Il y a encore d'autres cas, où l'on fouffre quelque chofe à l'occafion des Crimes ou des Délits d'autrui. Si, par exemple, un homme me donne le logement chez lui, & que l'on vienne à confifquer la maison pour punir le Propriétaire de quelque Crime qu'il a commis; je perds à cela en ce qu'il me faut chercher un autre logis, dont il me faudra paier le louage, au lieu que le maître de la maifon m'y auroit peut-être laifle demeurer plus long-tems fur le même pied: ce n'eft pas néanmoins pour moi une véritable Punition, puis que le Souverain, qui a aquis la Propriété de la maifon, ne fait qu'ufer de fon droit en m'ordonnant de fortir. De même, lors que les Enfans d'un Traitre, ou d'un Criminel d'Etat, font exclus des Charges, le Pére eft bien puni par là, en ce qu'il fe voit la caufe (1) que les perfonnes, qui lui font les plus chéres, font réduites à vivre dans l'obscurité; mais ce n'eft pas une Peine par rapport aux Enfans, puis que les Conducteurs de l'Etat aiant plein pouvoir de donner les Emplois & les Honneurs à qui bon leur femble, peuvent en exclurre, lors que le Bien Public le demande, des gens mêmes qui n'ont rien fait pour s'en rendre indignes.

XII, 19.

tre exemple, dans Garcil. de

Yncas, Liv. VI.

Chap. III.

Perfonne ne doit être puni pour

trui.

§. XXXIII. GROTIUS (a) croit, que, dans le dernier cas dont je viens de parler, & les Crimes d'au- autres femblables, on fait un exemple hors de la perfonne même du Coupable, mais dans les perfonnes qui le touchent de près. Cela eft faux, & il ne ferviroit de rien de dire avec (a) Ubi fupra, Plutarque (b), que, quand un Maître d'Ecole fouette un Enfant, c'est une leçon & une (b) De fera Num. efpece de correction pour les autres; de même qu'un Général châtie toute l'armée, lors qu'il vindilta, P. 560. la décime: car l'enfant qui eft fouetté, avoit commis lui-même quelque faute; & quand on décime une armée, tous ceux, fur qui le fort tombe, étoient véritablement coupables.

12.

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Il faut donc dire, que jamais (c) les Enfans innocens ne doivent être (1) punis pour les (c)Voiez Grotius Crimes de leurs Péres ou de leurs Ancêtres, quoi que, comme nous l'avons dit ci-deffus, ubi fuprà, S. 13, on puiffe, fans leur faire aucun tort, ne pas leur laiffer les biens & les honneurs dont ils &feqq. auroient hérité fans cela; ce qui n'eft pas une Punition proprement dite. Il y a eû néanmoins des Peuples (2), qui banniffoient ou faifoient mourir les Enfans, par exemple, d'un, Ty

§. XXXIII. (1) Le Droit Romain établit cette maxime de l'Equité Naturelle, en termes clairs & énergiques. Crimen vel pæna paterna nullam maculam filio infligere poteft. Namque unufquifque ex fuo admiffo forti fubjicitur: nec alieni criminis fucceffor conftituitur: idque Divi Fratres Hierapolitanis refcripferunt. Digeft. Lib. XLVIII. Tit. XIX. De Pœnis, Leg. XXVI. Sancimus, ibi effe pœnam, ubi & noxia eft. Propinquos, notos, familiares procul à calumnia fubmovemus, quos reos fceleris focietas non facit. Nec enim adfinitas, vel amicitia nefarium crimen admittunt. Peccata igitur fuos teneant auctores: nec ulterius progrediatur metus, quàm reperiatur delictum. Cod. Lib. IX. Tit. XLVII. De Pœnis, Leg. XXII. Voiez Ovid. Metam. Lib. IV. verf. 669, 670. & le difcours d'Adrafte, dans Stace, vers la fin du I. Liv. de la Thébaide: Vulcatius Gallican. in Avid. Caff. Cap. XII.

(2) Par exemple, les Perfes (Ammiar. Marcellin. Lib. XXIII. Cap. VI. Herodot. Lib. III. p. 129. Ed. H. Steph. Juftin. Lib. X. Cap. II. num. 6.) les Macédoniens (Q. Curt. Lib. VI. Cap. XI. num. 8. & Lib. VIII. Cap. VI. num. 28.) les Carthaginois, (Juftin. Lib. XXI. Cap. IV. num. 8.) & aujourd'hui les Japonois (Bern. Varen. Defcript. Japon. Cap. XVIII. & de Rel. Jap. Cap. XI. p. 129. Ferdin. Pinto, Itiner. Cap. LV.) Il y a même, dans le Code, une Loi d'Arcadius, Empereur Chrétien, par laquelle il eft porté, que l'on doit faire mourir les Enfans, lors qu'on craint qu'ils ne reffemblent à leurs Péres. Paterno enim deberent perire fupplicio, in quibus paterni, hoc eft hereditarii criminis exempla metuuntur. Lib. IX. Tit. VIII. Ad Leg. Jul. Majeftatis, Leg. V. §. I. (Voiez Ant. Matth. de Crim. Lib. XLVIII. Tit. II. §. 10.) On appréhendoit auffi, que ceux qui refteroient de la Famille, ne vouluffent venger la mort de leurs Féres, ou de leurs parens ; & cette raifon, auffi bien que l'autre, fe trouvent exprimées dans ce paffage de Justin, qui a été déja cité: Filii quoque, cognatique omnes, etiam innoxii, fupplicio traduntur, ne quifquam aut ad imitandum fcelus, aut ad mortem ulcifcendam, extam nefaria domo fupereffet. Lib. XXI. Cap. IV. à la fin. Voiez auffi Lib. XXVI. Cap. I. num. 8. Val. Max. Lib. VI. Cap. II. Ariftot. Rhetor. Lib. II. Cap. XXI. Ammian. Marcellin. Lib. XXVIII. D'ailleurs, les Princes, qui vouloient par là mettre leur vie en fûreté, étoient bien aifes de préfumer, & de faire croire, que les auteurs des Conjurations tramées contr'eux, ne s'y étoient pas engagez, fans que leurs parens en fûffent quelque chofe; & c'eft pour cela qu'Alexandre le Grand fit mourir Parmenion, comme le remarque Arrien, Lib. III. On allegue encore ici la maxime de Tacite, rappor tée ci-deffus, Liv. I. Chap. II. §. 10. Not. 6. Mais toutes ces raifons ne fuffifent pas, pour faire porter à des Enfans, ou autres parens moins proches, la peine d'une iniquité à laquelle ils n'ont point de part. La raifon que Hobbes allégue, dans fon Leviathan, Cap. XXVIII. n'eft pas plus folide. 11 pretend, que les Criminels de LézeMajefte fe déclarant Ennemis de l'Etat, on peut pourfuivre par droit de Guerre, & eux, & leur pofterité, jufqu'à la troifiéme & quatrième génération. Or, (dit-il) à la Guerre on n'obferve pas les formalitez & les régles de la Juftice, ou du droit de Glaive: le Vainqueur ne diftingue point, par rapport au tems paffé, entre le Coupable, & l'Innocent; & il n'épargne perfonne, qu'autant que cela est néceffaire pour le bien de fes Sujets. J'avoue, que les Crimes de Leze-Majefte ont ceci de particulier, que le Prince peut être juge en fa propre cause, & faire mourir quelquefois, de fa pure autorité, fans

autre forme de procès, ceux qui s'en font rendus coupables. (Voiez Grotius, fur Jofué, I, 18.) Mais, outre qu'un Prince pieux doit toûjours avoir devant les yeux les reflexions de l'Empereur Tibére, dans fa Harangue au fujet de l'affaire de Pifon; (rapportée par Tacite, Annal. Lib. III. Cap. XII.) le droit même de la Guerre ne s'étend pas jufqu'à rendre légitime le meurtre & le carnage inhumain des Enfans en bas âge, qui ne favent pas encore difcerner le bien d'avec le mal. Et ceux qui naiffent dans un Etat en étant Citoiens par cela feul qu'ils y ont reçû le jour; en vertu dequoi les traiteroit-on en Ennemis, tant qu'ils n'ont eux-mêmes commis aucun Crime, qui mérite qu'on les regarde fur ce pied-là? Dans le Perou même, fous l'Empire des Incas, lors qu'un Curaca avoit été puni de mort, on n'excluoit pas pour cela fon Fils de la même Charge; mais on fe contentoit de lui mettre devant les yeux le crime & le fupplice de fon Pére, afin qu'il prit garde à lui, & qu'il fût plus exact à bien faire fon devoir, pour ne pas avoir le même fort. Garcilaso de la Vega, Hift. des Tncas, Liv. II. Chap. XIII. C'eft auffi avec raifon que l'on attend qu'une femme enceinte aît accouché, avant que de lui infliger la Peine de mort, à laquelle elle a été condamnée; coûtume très-louable, qui a été pratiquée par les anciens Egyptiens, par les Grecs, par les Romains, & par plufieurs autres Peuples. Imperator Hadrianus Publicio Marcello refcripfit, liberam, qua pragnans ultimo fupplicio damnata eft, liberum parere. Sed folitum effe fervari eam, dum partum edere. Digeft. Lib. I. Tit. V. De ftatu hominum, Lég. XVIII. Voiez auffi la Loi V. §. 2. & Lib. XLVIII. Tit. XIX. De Panis, Leg. III. Alian. Var. Hift. Lib. V. Cap. XVIII. avec les Notes de Scheffer,& de Kuhnius: Diodor. Sicul. Lib. I. Cap. LXXVII. Plutarch. de fera Num. vindicta, pag. 552. D. Quintil. Declam. CCLXXVII. Les Législateurs, qui enveloppent des perfonnes innocentes dans la ruine ou dans la punition de celles qui les touchent de pres, ne laiffent pas d'abufer de leur pouvoir, quoi qu'avec le tems cela paffe pour honorable; commie dans certains endroits des Indes, ou aujourd'hui, de même qu'autrefois, les Femmes font obligees, après la mort de leurs Maris, de fe jetter dans le même feu où l'on brule leur cadavre: Loi rigoureufe, qu'un Roi de ce Païs-là établit, pour empecher que les Femmes n'empoifonnaflent leurs Maris, afin d'en epoufer d'autres, ce qui arrivoit fouvent. Voiez Cicer. Tufc. Quaft. Lib. V. Cap. XXVII. Strab. Lib. XV. Abr. Roger. de Bramin. Part. I. Cap. XIX. XX. Voilà bien des Remarques, & des citations, que j'ai tranfportees ici de l'Original, où elles étoient d'ailleurs dans une. étrange contufion, dont j'ai tâche de les degager dans. cette Note. L'Auteur rapportoit encore l'explication que Grotius prétend qu'on peut donner à l'exemple des Enfans d'Achan, Josué, VII, 24, 25. comme fi l'Hiftorien facré vouloit dire fimplement, que l'on avoit amené ces Enfans, pour être témoins, avec tout le peuple, du fupplice de leur Pére, afin que cela les rendit plus fages; de forte que, felon ceux qui fuivent cette interpretation, les paroles, après les avoir lapidez, ne se rapportent qu'à Achan, & à fon bêtail. Mais il vaur mieux dire, comme fait ailleurs Grotius lui-même, (De J. B. & P. Lib. II. Cap. XXI. §. 14.) que DIEU etant le fouverain arbitre & le maître abfolu de la vie des hommes, peut, quand il lui plait, l'ôter à qui bon lui fem-. ble; & que, dans le cas dont il s'agit, il fait mourir les Enfans pour punir les Péres par cette vûe affligeante, Outre que les Enfans eux-mêmes étant d'ailleurs

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