Que lui-même il voulut enter; Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter. Il ne faut jamais dire aux gens: Écoutez un bon mot, oyez une merveille. Savez-vous si les écoutants En feront une estime à la vôtre pareille ? Voici pourtant un cas qui peut être excepté : Je le maintiens prodige, et tel que d'une fable Il a l'air et les traits, encor que véritable. On abattit un pin pour son antiquité, Vieux palais d'un hibou, triste et sombre retraite De l'oiseau qu'Atropos prend pour son interprète. Dans son tronc caverneux, et miné par le temps, Logeaient, entre autres habitants, Aujourd'hui l'une, et demain l'autre. Elle allait jusqu'à leur porter A traiter ce hibou de monstre et de machine ! Quel ressort lui pouvait donner Si ce n'est pas là raisonner, Quand ce peuple est pris, il s'enfuit ; De le nourrir sans qu'il échappe. par les humains à sa fin mieux conduite ! Quel autre art de penser Aristote et sa suite (3) Enseignent-ils, par votre foi ? Ceci n'est point une fable; et la chose, quoique merveilleuse et presque incroyable, est véritablement arrivée. J'ai peut-être porté trop loin la prévoyance de ce hibou ; car je ne prétends pas établir dans les bêtes un progrès de raisonnement tel que celui-ci : mais ces exagérations sont permises à la poésie, surtout dans la manière d'écrire dont je me sers. .(1) Le mot mue servait à désigner une grande cage pour engraisser les volailles. (Walck.) (2) Allusion a l’Art de penser, composé par Nicule e Arnauld. ÉPILOGUE ("). C'est ainsi que ma muse, aux bords d'une onde pure, Traduisait en langue des dieux Tout ce que disent sous les cieux Truchement de peuples divers, Car tout parle dans l'univers; Il n'est rien qui n'ait son langage. J'ai du moins ouvert le chemi; Qu'ait jamais formés un monarque. Vainqueurs du Temps et de la Parque. (1) Cet épilogue termina pendant longtemps le recueil entier des fables de notre poëte. Ce ne fut que quinze ans après sa première publication, et en 1694, qu'il donna sa dernière et cinquiènje partie, dont depuis on a formé le douzième livre de ses fables. (2) Conforme à l'orthographe du temps de La Fontaine. (3) Allusion à la paix de Nimègue. A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE (). MONSEIGNEUR, Je ne puis employer, pour mes fables, de protection qui me soit plus glorieuse que la vôtre. Ce goût exquis et ce jugement si solide que vous faites paraître dans toutes choses au delà d'un âge où à peine les autres princes sont-ils touchés de ce qui les environne avec le plus d'éclat ; tout cela , joint au devoir de vous obéir et à la passion de vous plaire, m'a obligé de vous présenter un ouvrage dont l'original a été l'admiration de tous les siècles, aussi bien que celle de tous les sages. Vous m'avez même ordonné de continuer; et, si vous me permettez de le dire, il y a les sujets dont je vous suis redevable, et où vous avez jeté des grâces qui ont été admirées de tout le monde. Nous n'avons plus besoin de consulter ni Apollon ni les Muses, ni aucune des divinités du Parnasse : elles se rencontrent toutes dans les présents que vous a faits la nature, et dans cette science de bien juger les ouvrages de l'esprit, à quoi vous joignez déjà celle de connaître toutes les règles qui y conviennent. Les fables d’Esope sont une ample matière pour ces talents; elles embrassent toutes sortes (1) Louis, duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, élève de Fénelon, naquit à Versailles le 6 août 1682, et mourut le 18 février 1712. Il avait douze ans lorsque La Fontaine, dont il goûtait les productions, et dont il fut le bienfaiteur, lui dédia ce dernier livre de ses fables. A onze ans le duc de Bourgogne avait lu Tite-Live tout entier en latin; il avait traduit les Commentaires de César, et commencé une traduction de Tacite. (WALCK.) d'événements et de caractères. Ces mensonges sont proprement une manière d'histoire où on ne flatte personne. Ce ne sont pas choses de peu d'importance que ces sujets : les animaux sont les précepteurs des hommes dans mon ouvrage. Je ne m'étendrai pas davantage là-dessus : vous voyez mieux que moi le profit qu'on en peut tirer. Si vous vous connaissez maintenant en orateurs et en poëtes, vous vous connaîtrez encore mieux quelque jour en bons politiques et en bons généraux d'armée; et vous vous tromperez aussi peu au choix des personnes qu'au mérite des actions. Je ne suis pas d'un âge à espérer d'en être témoin (1). Il faut que je me contente de travailler sous vos ordres. L'envie de vous plaire me tiendra lieu d'une imagination que les ans ont affaiblie: quand vous souhaiterez quelque fable, je la trouverai dans ce fonds-là. Je voudrais bien que vous y pussiez trouver des louanges dignes du monarque qui fait maintenant le destin de tant de peuples et de sations, et qui rend toutes les parties du monde attentives à ses conquêtes, à ses victoires, et à la paix qui semble se rapprocher, et dont il impose les conditions avec toute la modération que peuvent souhaiter nos ennemis. Je me le figure comme un conquérant qui veut mettre des bornes à sa gloire et à sa puissance, et de qui on pourrait dire, à meilleur titre qu'on ne l'a dit d’Alexandre, qu'il va tenir les États de l'univers, en obligeant les ministres de tant de princes de s'assembler pour terminer une guerre qui ne peut être que ruineuse à leurs maîtres. Ce sont des sujets au-dessus de nos paroles : je les laisse à de meilleures plumes que la mienne; et suis avec un profond respect, MONSEIGNEUR, Votre très-humble, très-obéissant, et très-fidèle serviteur, DE LA FONTAINE. (1) La Fontaine était alors âgé de soixante-treize ans. |