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d'autre parti sur les actions bonnes ou mauvaises que nous faisons, que de nous en remettre pour l'événement à la volonté divine, maîtresse de nous forcer à tout le bien et à tout le mal qu'il lui plaît, suivant la diversité de ses voies, et la profondeur de ses jugemens? Imaginez-vous, madame, un système de religion le plus accommodé à la portée des hommes, et qui semble fait exprès pour leur aplanir le chemin du ciel, afin qu'ils y pussent entrer doucement et sans violence. Serait-il de bonne foi comparable aux suavités ineffables, aux inactions, à la paix, aux célestes voluptés dont notre doctrine est toute remplie? Ne faudrait-il pas se haïr soi-même, je veux dire son âme, son corps, ses plaisirs, sa joie; pour, connaissant nos principes et toutes leurs suites, refuser d'en profiter, et de se sauver comme en se jouant? Je vois ce que c'est, madame, nous sommes à peine sortis de la quinzaine de Pâques, chargée encore d'un jubilé, la prière, le jeûne, les stations, les sacremens, vous auront mis en l'état où vous voilà.

PÉNIT. Vous dites vrai, mon père, en quelque manière, mais qui n'est pas celle dont vous l'entendez.

DIRECT. Comment, ma chère fille? hé je vous avoue que je n'y entends plus rien. Auriez-vous trouvé quelque ignorant de confesseur qui vous aurait refusé l'absolution?

PÉNIT. Cela ne pouvait pas être, mon père.

DIRECT. Pourquoi non, ma fille? Je vais vous montrer que cela était très-possible. Il ne faut pour cela que s'être adressé à un homme scrupuleux, qui aura pénétré par votre manière de vous confesser, que vous n'avez pas fait votre examen de conscience.

PÉNIT. Hélas, mon cher père, j'aurais grand tort de m'en prendre à un confesseur!

DIRECT. Tant mieux, madame, et ce n'est pas une chose si ordinaire que de bien rencontrer en ce point, et d'avoir sujet de se louer de ces gens-là.

PÉNIT. Je ne m'en loue pas aussi, mon père, et je ne suis pas en cet état-là.

DIRECT. C'est-à-dire, madame, que vous n'avez pas usé ces Pâques-ci de la confession?

PÉNIT. Non, mon père.

DIRECT. Je l'ai vu d'abord. Et pour la communion, ma fille, comment cela s'est-il passé? Êtes-vous contente?

PÉNIT. Point du tout.

DIRECT. Croyez-vous que vous eussiez mieux fait de vous confesser cette année avant que de communier? Mais quoi, vous

pleurez ce me semble, et vous avez quelque chose sur le cœur que vous ne me dites pas.

PÉNIT. Je n'ai rien, mon père, je crois seulement que j'aurais mieux fait d'approcher des sacremens de l'Église dans cette solennité de Pâques, comme j'y ai été élevée dès ma plus tendre jeunesse, comme ont fait mon mari, mon beau-frère, et ma belle-mère, qui toute simple qu'elle est, a peut-être pris un meilleur parti que je n'ai fait, et qui fera sans doute son salut plus sûrement que moi, seulement à cause qu'elle suit aveuglément et sans examen toutes les pratiques de l'Église, qu'elle croit comme un enfant tous les articles de foi, et qu'elle ne se rapporte de toutes choses qu'à son curé. Enfin, mon père, je voudrais qu'il m'eût coûté cette main-là, et avoir fait mes Pâques, et ensuite gagné le jubilé comme les autres.

DIRECT. Mais il n'y aurait pas eu en effet grand mal à cela; d'où vient, madame, que vous n'avez pas fait l'un et l'autre, si votre santé vous le permettait?

PÉNIT. Je vous le dirai. Je savais, mon père, comme les autres, que le pape avait accordé un jubilé général, qu'il s'ouvrirait dès la semaine-sainte ; je formai la résolution de le gagner; je m'en ouvris même à vous dès le commencement du carême, et vous me dites que vous me le permettiez. Je n'ai rien rabattu, comme vous avez vu depuis ce temps-là, de la sublime oraison; j'ai écouté toutes les motions divines; j'ai renoncé de cœur à toute propriété et à toute activité. Il est vrai que la fête de Pâques. venant à s'approcher, j'entrai un matin par ancienne habitude dans une profonde considération de la grandeur du mystère, de l'importance qu'il y avait pour moi de le bien solenniser. Je songeai quel bien infini c'était pour une âme qui communiait dignement, quelle source, quels trésors de grâces étaient renfermés dans les indulgences que l'Église voulait bien octroyer dans ces saints jours, par le pouvoir qu'elle en avait de Jésus-Christ. Je me préparai donc d'ajouter à l'acte de simple présence de Dieu, des réflexions vives sur sa bonté infinie, sur ses miséricordes inépuisables : je récitai ensuite le psaume Miserere, j'y trouvai du goût, je le récitai une seconde fois, je choisis les jours que je ferais des stations.

DIRECT. Des stations?

PÉNIT. Oui, mon père, des stations. Je me taxai à une telle somme pour mes aumônes ; je m'efforçai de me souvenir de mes péchés, comptant d'en faire une plus exacte recherche lorsqu'il s'agirait de les confesser avant que d'approcher des mystères. Enfin mon plan était dressé, ma résolution prise, suivant en cela les vues que j'avais eues dès le jour des cendres, comme je

La Bruyère.

2.4

vous l'ai dit. Hélas! mon père, ou heureusement, ou malheureusement pour moi, je m'allai souvenir d'avoir lu dans un de nos livres, que les vues qu'on a de faire une chose, sont des obstacles à la perfection (1), et je me dis à moi-même, je serais bien malheureuse, si avec tous mes soins et toute mon application à m'acquitter de mes devoirs, l'abstinence, le jeûne, l'aumône, la prière, joints à l'usage des sacremens, bien loin de m'être utiles en aucune manière, ne servaient au contraire qu'à me faire tomber de plusieurs degrés de la perfection que j'avais atteinte ; je suis sans doute entraînée à toutes ces bonnes œuvres, et à ces apparences de vertu et de dévotion par une habitude contractée dès mon enfance; ce ne sont que des suites des impressions qu'on m'a données des mes premières années ; j'éprouve en moi un trop grand empressement d'aller à confesse et de communier, et parce que je veux cela trop déterminément, je n'en dois rien faire, et par conséquent je ne le dois pas vouloir. Je me mis ensuite si fortement dans l'esprit que j'étais obligée à résister à cette volonté déterminée de faire mes Pâques et de gagner mon jubilé, que je me sentis dans l'impuissance de m'acquitter de l'un et de l'autre ; j'y avais même une résistance horrible, et il me semblait que quelque chose surtout m'impossibilitait la confession. Cet extrême éloignement pour les sacremens, me convainquit assez néanmoins qu'il n'y avait point de propriété à mon fait, et que c'était peut-être la vraie disposition où je devais en approcher; mais ayant aussi retenu ce que nos livres enseignent qu'il faut tout faire dans une grande paix, et avec cette douce impulsion qu'on appelle motion divine (2), je me trouvai dans cette perplexité de m'abstenir d'abord de faire mes dévotions, parce que je le voulais trop déterminément, et bientôt de ne pouvoir les faire faute d'attrait, et par l'extrême opposition que j'y avais.

DIRECT. En un mot, ma fille, vous ne pûtes aller à confesse ni à la communion, et parce que vous le vouliez, et parce que yous ne le vouliez pas.

PÉNIT. Hélas! mon père, il n'y a pas autre chose.

DIRECT. Tant mieux, ma chère fille, et je ne vous le dissimule

(1) Dieu ôte encore par là la réflexion et la vue que l'âme porte sur ce qu'elle fait; ce qui est l'unique obstacle qui la retient, et qui empêche que Dieu ne se communique à elle. Molinos, Guid. Spirit. liv. 1, chap. 4, n. 29.

Souvenez-vous bien, Philothée, de la règle générale que je vous ai prescrite, de ne vous plus servir à l'avenir de raisonnemens dans votre oraison. Malaval, Pratique facile.

(2) Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que quand il nous meut.... C'est l'esprit de l'Eglise, que l'esprit de la motion divine, etc. Moyen

court.

pas, qu'à voir vos larmes et le désordre de votre visage, j'appréhendais fort qu'il ne vous fût arrivé pis. Dites-moi, je vous prie, dans cet effort que vous dites, que vous avez fait pour vous ressouvenir de vos péchés, et qui est peut-être la cause du trouble qui vous est arrivé, vous êtes-vous trouvée coupable de quelque défaut? Avez-vous reconnu que vous fussiez tombée en quelque égarement?

PÉNIT. Oui, mon père, et c'est ce qui me portait à recourir à la confession.

DIRECT. Étrange force de l'habitude et de la coutume, lors surtout qu'elles ont leurs racines dans notre première éducation. C'était précisément, madame, à quoi vous ne deviez pas songer. Vous ne pouvez vous imaginer de quelle importance il est pour une âme qui tend à la perfection, de ne se point inquiéter de ses défauts; il suffirait après cet examen de l'état de votre conscience, que vous auriez dû même vous épargner de vous ramasser au dedans, attendre et souffrir la pénitence que Dieu vous aurait voulu imposer lui-même, et rien davantage, sans faire pendant cette semaine de Pâques aucunes prières vocales, sans vous imposer aucune mortification.

Apprenez, ma fille, que les prières qu'on se tue de dire, et les pénitences qu'on s'impose, ne sont point des causes naturelles de la grâce (1), mais seulement des instrumens accommodés à notre faiblesse, qui amusent et soutiennent notre imagination plutôt qu'elles ne contribuent à la sanctification de notre âme. L'oraison de simple: présence de Dieu, est de mille degrés audessus du Veni Creator et du psaume Miserere, et de toutes les oraisons les plus communes et les plus consacrées dans l'Église; il y a des momens où elle donne à une âme résignée du dégoût pour l'oraison dominicale; il y a des conjonctures, comme celle, ma fille, où vous venez de vous trouver, où elle tient lieu nonseulement de toutes prières, de toutes mortifications, de toutes bonnes œuvres, mais aussi de sacremens, je dis de la confession et de la communion. Quelle est donc, madame, votre inquiétude, et que cherchiez-vous ces fêtes dans les sacremens et dans le gain du jubilé, de l'indulgence pour les châtimens dûs à vos péchés (2)? Ignorez-vous qu'il vaut mieux satisfaire à la justice de Dieu, que d'avoir recours à sa miséricorde? parce que le

(1) Sans une révélation, on ne peut savoir qu'il y ait un degré de grâce attaché à l'oraison. Malaval, Pratiq. facile.

Je dis qu'il ne faut point se fixer à telles et telles austérités ; mais suivre seulement l'attrait intérieur en s'occupant de la présence de Dieu, sans penser en particulier à la mortification. Moyen court. p. 67.

(2) C'est alors qu'elle commence à ne pouvoir gagner des indulgences, et l'amour ne lui permet pas de vouloir abréger ses peines. Livre des Torrens.

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premier procède du pur amour qu'on a pour Dieu, et que le second venant au contraire de l'amour que nous avons pour nous, et tendant à éviter la croix, ne peut être agréable à Dieu, et est indigne de sa miséricorde.

PÉNIT. Qu'appelez-vous, mon père, tendre à éviter la croix par le jubilé et par les indulgences ? C'est bien tout le contraire; car les chrétiens, en se soumettant aux petites croix, c'est-àdire à la pénitence et aux mortifications que le jubilé impose, tendent à éviter l'enfer qui serait dû à leurs péchés.

DIRECT. Dites-moi, ma fille, monsieur votre mari, et monsieur le docteur son frère, ont-ils fait vou de passer leur vie ensemble?

PÉNIT. Ils s'aiment assez, mon père, pour ne pas songer sitôt à se séparer.

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DIRECT. Vous pourriez donc, madame, dans la suite être obligée en conscience de les abandonner tous deux; car je ne vous le cache plus, ma chère fille un plus long commerce avec ces personnes-là serait capable de vous pervertir. Quelle est en effet cette appréhension des peines et des châtimens de l'autre. vie, dont vous me paraissez toute troublée ? où est au contraire .cette totale résignation à la volonté de Dieu que vous prêchiez vous-même aux autres avec tant de force? Ignorez-vous encore que l'abandon parfait, qui est la clef de tout intérieur, n'excepte rien, ne réserve rien, ni mort, ni vie, ni perfection, ni salut, ni paradis, ni enfer? Que craignez-vous, cœur lâche? Vous craignez de vous perdre ? Hélas! pour ce que vous valez, qu'importe (1)?

PÉNIT. Mais, mon père, comme âme rachetée par le sang de Jésus-Christ, il me semble que je puis dire que je vaux quelque chose, et que je commettrais un péché horrible de ne pas songer à me sauver, et de ne pas espérer mon salut, après que Dieu même a fait des choses si extraordinaires, a daigné passer par des états si humilians, seulement pour me le procurer. Peut-on avoir de l'indifférence pour la venue de Jésus-Christ sur la terre, pour ses travaux, pour sa mort?

DIRECT. Oui, ma fille, cela n'est pas impossible.

(1) L'abandon parfait, qui est la clef de tout l'intérieur, n'excepte rien, ne réserve rien, ni mort, ni vie, ni perfection, ni salut, ni paradis, ni enfer. Que craignez-vous, cœur lâche ? Vous craiguez de vous perdre ? Hélas! pour ce que vous valez, qu'importe? Livre des Torrens.

L'indifférence de cette amante est telle, qu'elle ne peut pencher, ni du côté de la jouissance de Dieu, ni du côté de la privation de Dieu. La mort et la vie lui sont égales; et quoique son amour soit incomparablement plus fort qu'il n'a été, elle ne peut néanmoins désirer le paradis. Exposit. du Cant. des Cantiq.

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