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Ne pouvait-il d'ailleurs apercevoir, qu'il n'y a plus de corruption, ni générale, ni permanente, dans les siècles de lumières? Là toujours, par quelques souvenirs, ou par les spéculations des vices mêmes, on se rattache à la liberté publique. Là, surtout, les intérêts savent raisonner; et toujours effrayés du, despotisme, qui inquiète partout, en ne respectant rien, ils reviennent aux idées libérales, comme à une garantie; et ces idées-là, s'enflamment dans les imaginations, relèvent les âmes, et retrempent un peu caractères. Aussi, sans la terrible distraction de ses guerres, entretenues par lui, à dessein, il ne tenait rien en France; et par ses guerres, il jouait sa domination, à chaque bataille.

les

Sans âme et sans bon sens, comment donc est-il parvenu à s'emparer d'une indomptable révolution, comme d'une chose qui n'aurait été faite que pour lui? et comment a-t-il reproduit, un moment, l'empire romain, dans l'Europe moderne ?

Qui a bien conçu ce que peut, parmi les hommes, et surtout dans un grand peuple, l'énergie de la volonté, jointe à un grand

pouvoir, tient déjà la plus puissante cause de l'ascendant, qu'obtint tout de suite Bonaparte. Elle était immensément accrue en lui du sentiment de la plus orgueilleuse prédestination; source de l'inimaginable audace de toutes ses entreprises.

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Il avait, de plus, tout ce qui seconde le mieux le développement de cette double force une rare portée d'application à tous les genres de soins et d'objets; une activité inépuisable; un mélange d'ardeur et de prévoyance, d'impétuosité et de ruse; surtout une perversité dans les plans et les moyens, long-temps voilée; mais, dès qu'il n'a plus eu à la retenir, si profonde, si continue, qu'on devait la croire en lui, plutôt innée qu'acquise. Dominer le monde par l'avilissement du genre humain; telle était son unique pensée; elle absorbait en lui toutes les affections; elle tenait toutes ses facultés dans une tension continuelle. Aussi il suffisait à tout; on ne pouvait ni lui rien soustraire, ni le tromper sur rien ; et il savait quelquefois se défier de ses premières vues et en revenir. Il machinait en grand et remachinait encore dans chaque détail; c'était là où il plaçait

son génie et sa gloire propre. Il n'était jamais ni distrait, ni interrompu dans sa marche : la dureté de son cœur, comme je viens de l'observer, lui refusant la douce détente de ces satisfactions intimes, dont les autres ont besoin, pour se remonter. Ajoutez encore une santé à toute épreuve, qui lui accordait tout et ne lui demandait rien; c'était le Satan de Milton, toujours plein pour l'action, comme toujours vide du repos.

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Il est des temps, des cours de choses où tout ce pouvoir, sans même s'user aurait été se briser contre les résistances. Nous allions voir ce spectacle dans la dernière époque de sa vie politique, qu'on a fort bien nommée ses cent jours; tout était renouvelé rendue aux impulsions de la liberté, la France était près du choc des partis. Celui même qui se ralliait à lui, n'entendait plus reprendre son joug, mais le soumettre à sa loi. Une assemblée, qu'il avait été obligé de convoquer, allait apprécier cette intronisation de paysans et de soldats; ces Constitutions de l'Empire, qu'il prorogeait, comme l'échange de la Charte royale; et faire entendre la voix souveraine

d'une nation; patriotique et énergique, elle était capable de se montrer aussi terrible à un tyran, que la convention l'avait été à des rois. l'Europe, encore armée, comme dans la crise du salut commun, revenait sur lui, non plus avec un courage circonspect; mais avec l'indignation de la victoire outragée. Contre de telles oppositions, certes, il lui aurait fallu être mieux que lui-même, pour

se soutenir.

Mais reportons-nous à l'époque de sa dictature; c'est là où ses qualités prenaient, sur l'état des choses et des esprits, le terrible ascendant, que nous avons vu.

La France était alors dans une de ces crises définitives, où un pays peut tout gagner ou tout perdre; s'asseoir dans un repos prospère; ou être précipité dans un nouveau cours de désastres. Elle dépendait absolument du pouvoir, à qui elle remettait ses destinées. Tout ce qui tenait à l'ancien régime était détruit; tout ce qui était sorti du nouveau était sans consistance. Elle avait toute la vie et toute la mort, que donnent les troubles prolongés. Vérités et erreurs, vertus et vices, force et faiblesse, sagesse et

folie; elle avait tout épuisé; et n'avait plus que l'agitation malade de l'incertitude et de la confusion. Elle n'existait plus que par sa révolution, toujours sans terme ; maintenant sans but, depuis qu'il avait été dépassé par cette fausse république ; dont la grande majorité n'avait jamais voulu ; sa révolution même lui était à charge et odieuse; sa révolution n'était plus sous la garde de l'esprit national; elle se balançait entre une faction, qui voulait la ruiner de fond en comble, et celle qui ne savait que recourir à des horreurs abominées, pour la maintenir. Les factions elles-mêmes, usées, décriées, toujours plus près d'un nouveau désastre, que d'un plein triomphe; ne demandaient, chacune, que leur impunité, ou si on veut, leur sécurité ; qu'un abri où elles pussent aller désarmer, fût-ce à côté l'une de l'autre. Plus de révolution; point de contre-révolution ; une autorité qui brise tout et prédonime; une autorité unique: telle était le cri, non de l'opinion publique; (il n'y avait, ni ne pouvait y avoir d'opinion publique;) mais le soupir impatient d'une lassitude universelle.

Cette position n'était point nouvelle :

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