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La grossièreté, la rusticité, la brutalité, peuvent être les vices d'un homme d'esprit. Le stupide est un sot qui ne parle point, en cela plus supportable que le sot qui parle.

qui s'est chargé d'une harangue, un sourd qui | fat, et l'impertinence dans l'impertinent : il juge d'une symphonie: foibles images, et qui semble que le ridicule réside tantôt dans celui n'expriment qu'imparfaitement la misère de la qui en effet est ridicule, et tantôt dans l'imagiprévention! Il faut ajouter qu'elle est un mal nation de ceux qui croient voir le ridicule où il désespéré, incurable, qui infecte tous ceux n'est point et ne peut être. qui s'approchent du malade, qui fait déserter les égaux, les inférieurs, les parents, les amis, jusqu'aux médecins : ils sont bien éloignés de le guérir, s'ils ne peuvent le faire convenir de sa maladie, ni des remèdes, qui seroient d'écouter, de douter, de s'informer et de s'éclaircir. Les flatteurs, les fourbes, les calomniateurs, ceux qui ne délient leur langue que pour le mensonge et l'intérêt, sont les charlatans en qui il se confie, et qui lui font avaler tout ce qui leur plaît: ce sont eux aussi qui l'empoisonnent et qui le tuent.

La même chose souvent est, dans la bouche d'un homme d'esprit, une naïveté ou un bon mot; et dans celle du sot, une sottise.

Si le fat pouvoit craindre de mal parler, il sortiroit de son caractère.

L'une des marques de la médiocrité de l'esprit est de toujours conter.

Le sot est embarrassé de sa personne; le fat a l'air libre et assuré; l'impertinent passe à l'effronterie; le mérite a de la pudeur.

Le suffisant est celui en qui la pratique de certains détails, que l'on honore du nom d'affaires, se trouve jointe à une très grande médio

La règle de DESCARTES, qui ne veut pas qu'on décide sur les moindres vérités avant qu'elles soient connues clairement et distinctement, est assez belle et assez juste pour devoir s'étendre au jugement que l'on fait des personnes. Rien ne nous venge mieux des mauvais juge-crité d'esprit. ments que les hommes font de notre esprit, de nos mœurs et de nos manières, que l'indignité et le mauvais caractère de ceux qu'ils approuvent.

Du même fonds dont on néglige un homme de mérite l'on sait encore admirer un sot.

Un sot est celui qui n'a pas même ce qu'il faut d'esprit pour être fat.

Un fat est celui que les sots croient un homme de mérite.

L'impertinent est un fat outré. Le fat lasse, ennuie, dégoûte, rebute; l'impertinent rebute, aigrit, irrite, offense; il commence où l'autre finit. Le fat est entre l'impertinent et le sot: il est composé de l'un et de l'autre.

Les vices partent d'une dépravation du cœur; les défauts, d'un vice de tempérament ; le ridicule, d'un défaut d'esprit.

Un grain d'esprit et une once d'affaires plus qu'il n'en entre dans la composition du suffisant, font l'important.

Pendant qu'on ne fait que rire de l'important, il n'a pas un autre nom : dès qu'on s'en plaint, c'est l'arrogant.

L'honnête homme tient le milieu entre l'habile et l'homme de bien, quoique dans une distance inégale de ces deux extrêmes.

La distance qu'il y a de l'honnête homme à l'habile homme s'affoiblit de jour à autre, et est sur le point de disparoître.

L'habile homme est celui qui cache ses passions, qui entend ses intérêts, qui y sacrifie beaucoup de choses, qui a su acquérir du bien

ou en conserver.

L'honnête homme est celui qui ne vole pas sur les grands chemins, et qui ne tue personne,

L'homme ridicule est celui qui, tant qu'il dont les vices enfin ne sont pas scandaleux. demeure tel, a les apparences du sot.

On connoît assez qu'un homme de bien est honnête homme, mais il est plaisant d'imaginer que

Le sot ne se tire jamais du ridicule, c'est son caractère : l'on y entre quelquefois avec de l'es-tout honnête homme n'est pas homme de bien. prit, mais l'on en sort.

Une erreur de fait jette un homme sage dans le ridicule.

La sottise est dans le sot, la fatuité dans le

L'homme de bien est celui qui n'est ni un saint, ni un dévot 1, et qui s'est borné à n'avoir de la vertu.

que

Faux dévot. (La Bruyère.)

Talent, goût, esprit, bon sens, choses diffé- | sont plus grands et plus Romains dans ses vers rentes, non incompatibles.

Entre le bon sens et le bon goût il y a la différence de la cause à son effet.

que dans leur histoire.

Voulez-vous quelque autre prodige? concevez un homme facile, doux, complaisant, trai

Entre esprit et talent il y a la proportion du table, et tout d'un coup violent, colère, fou

tout à sa partie.

Appellerai-je homme d'esprit celui qui, borné et renfermé dans quelque art, ou même dans une certaine science qu'il exerce dans une grande perfection, ne montre hors de là ni jugement, ni mémoire, ni vivacité, ni mœurs, ni conduite; qui ne m'entend pas, qui ne pense point, qui s'énonce mal; un musicien, par exemple, qui, après m'avoir comme enchanté par ses accords, semble s'être remis avec son luth dans un même étui, ou n'être plus, sans cet instrument, qu'une machine démontée, à qui il manque quelque chose, et dont il n'est plus permis de rien attendre?

Que dirai-je encore de l'esprit du jeu? pourroit-on me le définir? ne faut-il ni prévoyance, ni finesse, ni habileté, pour jouer l'hombre ou les échecs? et, s'il en faut, pourquoi voit-on des imbéciles qui y excellent, et de très beaux génies qui n'ont pu mème atteindre la médiocrité, à qui une pièce ou une carte dans les mains trouble la vue, et fait perdre conte

nance?

I

Il y a dans le monde quelque chose, s'il se peut, de plus incompréhensible. Un homme paroit grossier, lourd, stupide; il ne sait pas parler, ni raconter ce qu'il vient de voir: s'il se met à écrire, c'est le modèle des bons contes; il fait parler les animaux, les arbres, les pierres, tout ce qui ne parle point : ce n'est que légèreté, qu'élégance, que beau naturel, et que délicatesse dans ses ouvrages.

Un autre est simple, timide, d'une ennuyeuse conversation; il prend un mot pour un autre, et il ne juge de la bonté de sa pièce que par l'argent qui lui en revient ; il ne sait pas la réciter, ni lire son écriture. Laissez-le s'élever par la composition, il n'est pas au-dessous d'AUGUSTE, de POMPÉE, de NICOMÈDE, d'HÉRACLIUS; il est roi, et un grand roi; il est politique, il est philosophe : il entreprend de faire parler des héros, de les faire agir; il peint les Romains; ils

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gueux, capricieux : imaginez-vous un homme simple, ingénu, crédule, badin, volage, un enfant en cheveux gris; mais permettez-lui de se recueillir, ou plutôt de se livrer à un génie qui agit en lui, j'ose dire, sans qu'il y prenne part, et comme à son insu; quelle verve! quelle élévation! quelles images! quelle latinité! Parlezvous d'une même personne? me direz-vous. Oui, du même, de Théodas, et de lui seul. Il crie, il s'agite, il se roule à terre, il se relève, il tonne, il éclate; et du milieu de cette tempête il sort une lumière qui brille et qui réjouit : disons-le sans figure, il parle comme un fou, et pense comme un homme sage; il dit ridiculement des choses vraies, et follement des choses sensées et raisonnables: on est surpris de voir naître et éclore le bon sens du sein de la bouffonnerie, parmi les grimaces et les contorsions. Qu'ajouterai-je davantage? il dit et il fait mieux qu'il ne sait : ce sont en lui comme deux ames qui ne se connoissent point, qui ne dépendent point l'une de l'autre, qui ont chacune leur tour, ou leurs fonctions toutes séparées. Il manqueroit un trait à cette peinture si surprenante, si j'oubliois de dire qu'il est tout à-la-fois avide et insatiable de louanges, près de se jeter aux yeux de ses critiques, et dans le fond assez docile pour profiter de leur censure. Je commence à me persuader moi-même que j'ai fait le portrait de deux personnages tout différents : il ne seroit pas même impossible d'en trouver un troisième dans Théodas, car il est bon homme, il est plaisant homme, et il est excellent homme.

Après l'esprit de discernement, ce qu'il y a au monde de plus rare ce sont les diamants et les perles.

Tel, connu dans le monde par de grands talents, honoré et chéri par-tout où il se trouve, est petit dans son domestique et aux yeux de ses proches, qu'il n'a pu réduire à l'estimer : tel autre, au contraire, prophète dans son pays,

• Santeuil, religieux de Saint-Victor, auteur des hymnes du nouveau Bréviaire, et un de nos meilleurs poëtes latins modernes. Il est mort en 1697.

jouit d'une vogue qu'il a parmi les siens, et qui est resserrée dans l'enceinte de sa maison; s'applaudit d'un mérite rare et singulier, qui lui est accordé par sa famille, dont il est l'idole, mais qu'il laisse chez soi toutes les fois qu'il sort, et qu'il ne porte nulle part.

Tout le monde s'élève contre un homme qui entre en réputation : à peine ceux qu'il croit ses amis lui pardonnent-ils un mérite naissant et une première vogue qui semblent l'associer à la gloire dont ils sont déja en possession. L'on ne se rend qu'à l'extrémité, et après que le prince s'est déclaré par les récompenses: tous alors se rapprochent de lui; et de ce jour-là seulement il prend son rang d'homune de mérite.

Nous affectons souvent de louer avec exagération des hommes assez médiocres, et de les élever, s'il se pouvoit, jusqu'à la hauteur de ceux qui excellent, ou parceque nous sommes las d'admirer toujours les mêmes personnes, ou parceque leur gloire ainsi partagée offense moins notre vue, et nous devient plus douce et plus supportable.

manque pour voir qu'il doit se taire sur quelque autre dont il n'a qu'une foible connoissance: il sort hardiment des limites de son génie; mais il s'égare, et fait que l'homme illustre parle

comme un sot.

Hérille, soit qu'il parle, qu'il harangue ou qu'il écrive, veut citer; il fait dire au prince des philosophes que le vin enivre, et à l'orateur romain que l'eau le tempère. S'il se jette dans la morale, ce n'est pas lui, c'est le divin Platon qui assure que la vertu est aimable, le vice odieux, ou que l'un et l'autre se tournent en habitude. Les choses les plus communes, les plus triviales, et qu'il est même capable de penser, il veut les devoir aux anciens, aux Latins, aux Grecs: ce n'est ni pour donner plus d'autorité à ce qu'il dit, ni peut-être pour se faire honneur de ce qu'il sait : il veut citer.

C'est souvent hasarder un bon mot et vouloir le perdre que de le donner pour sien; il n'est pas relevé, il tombe avec des gens d'esprit, ou qui se croient tels, qui ne l'ont pas dit, et qui devoient le dire. C'est au contraire le fare valoir, que de le rapporter comme d'un autre. Ce n'est qu'un fait, et qu'on ne se croit pas obligé de savoir : il est dit avec plus d'insinuation, reçu avec moins de jalousie; personne n'en souffre: on rit s'il faut rire, et s'il faut admirer on admire.

et

On a dit de SOCRATE qu'il étoit en délire, et que c'étoit un fou tout plein d'esprit ; mais ceux des Grecs qui parloient ainsi d'un homme si sage

L'on voit des hommes que le vent de la faveur pousse d'abord à pleines voiles; ils perdent en un moment la terre de vue, et font leur route: tout leur rit, tout leur succède; action, ouvrage, tout est comblé d'éloges et de récompenses; ils ne se montrent que pour être embrassés et félicités. Il y a un rocher immobile qui s'élève sur une côte; les flots se brisent au pied; la puissance, les richesses, la violence, la flatterie, l'autorité, la faveur, tous les vents ne l'ébran-passoient pour fous. Ils disoient: Quels bizarres lent pas c'est le public, où ces gens échouent. Il est ordinaire comme naturel de juger du travail d'autrui seulement par rapport à celui qui nous occupe. Ainsi le poëte rempli de grandes et sublimes idées estime peu le discours de l'orateur, qui ne s'exerce souvent que sur de simples faits; et celui qui écrit l'histoire de son pays ne peut comprendre qu'un esprit raisonnable emploie sa vie à imaginer des fictions et à trouver une rime : de même le bachelier, plongé dans les quatre premiers siècles, traite toute autre doctrine de science triste, vaine et inutile, pendant qu'il est peut-être méprisé du géo

mètre.

Tel a assez d'esprit pour exceller dans une certaine matière et en faire des leçons, qui en

portraits nous fait ce philosophe? quelles mœurs étranges et particulières ne décrit-il point! où a-t-il rêvé, creusé, rassemblé des idées si extraordinaires? quelles couleurs! quel pinceau! ce sont des chimères. Ils se trompoient ; c'étoient des monstres, c'étoient des vices, mais peints au naturel; on croyoit les voir ; ils faisoient peur. Socrate s'éloignoit du cynique; il épargnoit les personnes, et blàmoit les mœurs qui étoient mauvaises.

Celui qui est riche par son savoir-faire connoît un philosophe, ses préceptes, sa morale et sa conduite; et, n'imaginant pas dans tous les hommes une autre fin de toutes leurs actions que celle qu'il s'est proposée lui-même toute sa vie, dit en son cœur : Je le plains, je le tiens

échoué, ce rigide censeur; il s'égare, et il est hors de route; ce n'est pas ainsi que l'on prend le vent, et que l'on arrive au délicieux port de la fortune; et, selon ses principes, il raisonne juste.

Je pardonne, dit Antisthius, à ceux que j'ai loués dans mon ouvrage, s'ils m'oublient : qu'aije fait pour eux? ils étoient louables. Je le pardonnerois moins à tous ceux dont j'ai attaqué les vices sans toucher à leurs personnes, s'ils me devoient un aussi grand bien que celui d'ètre corrigés mais comme c'est un évènement qu'on ne voit point, il suit de là que ni les uns ni les autres ne sont tenus de me faire du bien. L'on peut, ajoute ce philosophe, envier ou refuser à mes écrits leur récompense; on ne sauroit en diminuer la réputation: et, si on le fait, qui m'empêchera de le mépriser?

Il est bon d'être philosophe, il n'est guère utile de passer pour tel. Il n'est pas permis de traiter quelqu'un de philosophe : ce sera toujours lui dire une injure, jusqu'à ce qu'il ait plu aux hommes d'en ordonner autrement; et, en restituant à un si beau nom son idée propre et convenable, de lui concilier toute l'estime qui lui est due.

Il y a une philosophie qui nous élève au-dessus de l'ambition et de la fortune, qui nous égale, que dis-je? qui nous place plus haut que les riches, que les grands et que les puissants; qui nous fait négliger les postes et ceux qui les procurent; qui nous exempte de desirer, de demander, de prier, de solliciter, d'importuner, et qui nous sauve mème l'émotion et l'excessive joie d'être exaucés. Il y a une autre philosophie qui nous soumet et nous assujettit à toutes ces choses en faveur de nos proches ou de nos amis: c'est la meilleure.

C'est abréger, et s'épargner mille discussions, que de penser de certaines gens qu'ils sont incapables de parler juste, et de condamner ce qu'ils disent, ce qu'ils ont dit, et ce qu'ils diront. Nous n'approuvons les autres que par les rapports que nous sentons qu'ils ont avec nousmêmes; et il semble qu'estimer quelqu'un c'est l'égaler à soi.

Les mêmes défauts qui dans les autres sont lourds et insupportables sont chez nous comme dans leur centre; ils ne pèsent plus; on ne les

sent pas. Tel parle d'un autre, et en fait un portrait affreux, qui ne voit pas qu'il se peint lui-même.

Rien ne nous corrigeroit plus promptement de nos défauts que si nous étions capables de les avouer, et de les reconnoître dans les autres : c'est dans cette juste distance que, nous paroissant tels qu'ils sont, ils se feroient hair autant qu'ils le méritent.

La sage conduite roule sur deux pivots, le passé et l'avenir. Celui qui a la mémoire fidèle et une grande prévoyance est hors du péril de censurer dans les autres ce qu'il a peut-être fait lui-même, ou de condamner une action dans un pareil cas, et dans toutes les circonstances où elle lui sera un jour inévitable.

Le guerrier et le politique, non plus que le joueur habile, ne font pas le hasard; mais ils le préparent, l'attirent, et semblent presque le déterminer : non seulement ils savent ce que le sot et le poltron ignorent, je veux dire, se servir du hasard quand il arrive; ils savent même profiter par leurs précautions et leurs mesures d'un tel ou d'un tel hasard, ou de plusieurs tout à-la-fois : si ce point arrive, ils gagnent; si c'est cet autre, ils gagnent encore : un même point souvent les fait gagner de plusieurs manières. Ces hommes sages peuvent être loués de leur bonne fortune comme de leur bonne conduite, et le hasard doit être récompensé en eux comme la vertu.

Je ne mets au-dessus d'un grand politique que celui qui néglige de le devenir, et qui se persuade de plus en plus que le monde ne mérite point qu'on s'en occupe.

Il y a dans les meilleurs conseils de quoi déplaire : ils ne viennent d'ailleurs que de notre esprit; c'est assez pour être rejetés d'abord par présomption et par humeur, et suivis seulement par nécessité ou par réflexion.

Quel bonheur surprenant a accompagné ce favori pendant tout le cours de sa vie! quelle autre fortune mieux soutenue, sans interruption, sans la moindre disgrace! les premiers postes, l'oreille du prince, d'immenses trésors, une santé parfaite, et une mort douce. Mais quel étrange compte à rendre d'une vie passée dans la faveur, des conseils que l'on a donnés, de ceux qu'on a négligé de donner ou de suivre,

des biens que l'on n'a point faits, des maux au contraire que l'on a faits ou par soi-même ou par les autres, en un mot de toute sa prospérité! L'on gagne à mourir d'être loué de ceux qui nous survivent, souvent sans autre mérite que celui de n'être plus : le même éloge sert alors pour Calon et pour Pison.

Le bruit court que Pison est mort; c'est une grande perte, c'étoit un homme de bien, et qui méritoit une plus longue vie : il avoit de l'esprit et de l'agrément, de la fermeté et du courage; il étoit sûr, généreux, fidèle: ajoutez, pourvu qu'il soit mort.

La manière dont on se récrie sur quelques uns qui se distinguent par la bonne foi, le désintéressement et la probité, n'est pas tant leur éloge que le décréditement du genre humain.

Tel soulage les misérables, qui néglige sa famille et laisse son fils dans l'indigence: un autre élève un nouvel édifice, qui n'a pas encore payé les plombs d'une maison qui est achevée depuis dix années : un troisième fait des présents et des largesses, et ruine ses créanciers. Je demande, la pitié, la libéralité, la magnificence, sont-ce les vertus d'un homme injuste? ou plutôt si la bizarrerie et la vanité ne sont pas les causes de l'injustice.

Une circonstance essentielle à la justice que l'on doit aux autres, c'est de la faire promptement et sans différer : la faire attendre c'est injustice.

Ceux-là font bien, ou font ce qu'ils doivent, qui font ce qu'ils doivent. Celui qui, dans toute sa conduite, laisse long-temps dire de soi qu'il fera bien, fait très mal.

L'on dit d'un grand qui tient table deux fois le jour, et qui passe sa vie à faire digestion, qu'il meurt de faim, pour exprimer qu'il n'est pas riche, ou que ses affaires sont fort mauvaises: c'est une figure; on le diroit plus à la lettre de ses créanciers.

L'honnêteté, les égards et la politesse des personnes avancées en âge de l'un et de l'autre sexe, me donnent bonne opinion de ce qu'on appelle le vieux temps.

C'est un excès de confiance dans les parents d'espérer tout de la bonne éducation de leurs enfants, et une grande erreur de n'en attendre rien et de la négliger.

Quand il seroit vrai, ce que plusieurs disent, que l'éducation ne donne point à l'homme un autre cœur ni une autre complexion, qu'elle ne change rien dans le fond, et ne touche qu'aux superficies, je ne laisserois pas de dire qu'elle ne lui est pas inutile.

Il n'y a que de l'avantage pour celui qui parle peu; la présomption est qu'il a de l'esprit : et, s'il est vrai qu'il n'en manque pas, la présomption est qu'il l'a excellent.

Ne songer qu'à soi et au présent, source d'erreur dans la politique.

Le plus grand malheur, après celui d'être convaincu d'un crime, est souvent d'avoir eu à s'en justifier. Tels arrêts nous déchargent et nous renvoient absous, qui sont infirmés par la voix du peuple.

Un homme est fidèle à de certaines pratiques de religion, on le voit s'en acquitter avec exactitude; personne ne le loue ni ne le désapprouve, on n'y pense pas tel autre y revient après les avoir négligées dix années entières, on se récrie, on l'exalte; cela est libre: moi, je le blâme d'un si long oubli de ses devoirs, et je le trouve heureux d'y être rentré.

Le flatteur n'a pas assez bonne opinion de soi ni des autres.

Tels sont oubliés dans la distribution des graces, et font dire d'eux : Pourquoi les oublier? qui, si l'on s'en étoit souvenu, auroient fait dire: Pourquoi s'en souvenir? D'où vient cette contrariété? Est-ce du caractère de ces personnes, ou de l'incertitude de nos jugements, ou même de tous les deux?

L'on dit communément : Après un tel, qui sera chancelier? qui sera primat des Gaules? qui sera pape? On va plus loin : chacun, selon ses souhaits ou son caprice, fait sa promotion, qui est souvent de gens plus vieux et plus caducs que celui qui est en place; et comme il n'y a pas de raison qu'une dignité tue celui qui s'en trouve revêtu, qu'elle sert au contraire à le rajeunir, et à donner au corps et à l'esprit de nouvelles ressources, ce n'est pas un évènement fort rare à un titulaire d'enterrer son successeur.

La disgrace éteint les haines et les jalousies; celui-là peut bien faire, qui ne nous aigrit plus par une grande faveur : il n'y a aucun mérite,

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