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France s'est remise entre ses mains; et je le crois encore, elle n'a rien à se reprocher dans le parti qu'elle prit alors; elle était condamnée à une dictature; et c'est là ce qui avait, d'abord, bien assis la sienne; car, comme Néron, il eut de beaux commen

cemens.

Depuis qu'il y a des nations, quel mortel reçut jamais de sa patrie une si grande position? Quel mortel dut jamais à sa patrie un plus héroïque dévouement? La position qu'on lui avait faite, avait cela de propre, qu'il obtenait encore tous les hommages de la reconnaissance, sans les sacrifices de l'ambition; qu'il allait au comble de la puissance, par le comble de la vraie gloire; il ne s'agissait que de préférer, à son personnel avantage, le bien au mal.

Comment donc l'avons-nous vu, s'échapper dès qu'il l'a pu, et avec un machiavélisme très-habile, qui a été sa plus éminente qualité, des bonnes voies, où il avait été contraint d'entrer? Comment a-t-il fait un choix si absurde, si bizarre; et tel qu'on ne peut l'imaginer dans tout autre favori de la fortune? C'est que la nature, ou si on veut, ses

premières habitudes, en développant en luj des facultés, qui n'étaient pas communes, ne lui avaient donné qu'une âme abjecte; et lui avaient refusé cette raison élevée, qui n'est que le bon sens, pour les hommes des grands rôles, dans les grandes circonstances. Aussi n'a-t-il jamais été susceptible, que de deux mobiles: la superstition à sa fortune, et le mépris des hommes; dont il ne s'exceptait pas; car, assurément, il ne s'adorait pas lui-même, comme le meilleur; mais comme le plus habile à s'approprier en eux, le bien pour le mal: Aussi ces deux ressorts, brisés en lui, par ces revers définitifs, qui veulent un nouvel homme, on a pu constater qu'il ne restait en lui que le cadavre de sa fantastique supériorité.

Sans âme, tout ce qui était réservé de beau et de grand à ce pouvoir extraordinaire, qui lui fut déféré, il l'a perdu par sa seule volonté. Où sont les récompenses des superbes soucis de l'éminente grandeur, si ce n'est dans cette vaste bienfaisance, qui approche un mortel d'une divinité; qui rassemble sur un seul individu les affections de l'humanité entière ? Où est la garantie de la

toute-puissance, si ce n'est dans cette noble * direction, qui semble n'accomplir que des vœux publics, par les mouvemens qu'elle imprime? A quelle fin dernière peut tendre une belle ambition, si ce n'est à la gloire, dans tout ce qu'elle a d'aimable et d'auguste; à ces hommages des jugemens libres et reconnaissans, qui grandissent, grandissent, à mesure qu'ils descendent dans des siècles plus justes et plus éclairés? Est-il un meilleur moyen de captiver les peuples, que de les servir au-delà de leurs espérances? Élever les hommes près de soi, loin de soi; pour l'avenir, comme dans le présent, n'ést-ce pas couronner son mérite de tous les mérites? II n'entendit jamais rien à tout cela.

On peut pardonner à des rois de race, gâtés dès leur jeunesse, par la servile adulation des cœurs, ce grossier dédain de tout ce qui est noble et grand.

On doit le pardonner à ces êtres abrutis dans la fange de la société, ou un destin, sans injure, les avait placés.

Mais lui, quoiqu'il sût mal ce qu'il savait; moins la guerre, à laquelle il s'était glorieusement appliqué; quoiqu'il n'eût ni un vrai

jugement, ni un bon goût en rien, en affectant la prééminence en toute chose; il n'était pourtant étranger ni aux lettres, ni aux sciences; ni à l'intelligence des choses de gouvernement, ni aux études du beau moral. Ce qu'il avait d'esprit et de connaissances, l'eût mené loin dans les routes du bien; environné, comme il le fut d'abord; mais son âme s'y refusait; ce fut elle qui le livra bientôt à l'infatuation de ces pompes insultantes des vieilles cours, dont ses chagrins envieux avaient été foulés, dans sa jeunesse.

Jamais dans ses conceptions, dans l'abstruse incongruité de son intarissable parlage; dans ses mœurs; dans les tons et les formes de sa représentation; dans toute sa vie et publique et privée, rien qui tienne à la grâce des belles affections, à la dignité d'un haut caractère. Les femmes sont les juges les plus favorables de tout ce qui a de l'âme; il a su les choquer, les humilier; jamais ni les aimer, ni les flatter; aussi il n'a pu obtenir d'elles, ni intérêt, ni pitié, dans sa chute; parce que sa chute, comme ses triomphes, a été sans âme.

Je croirais volontiers que la nature vengeait l'humanité, dans cet être sans entrailles; peut-être ne lui a-t-elle jamais accordé, à travers tant et de si inouïs succès, une de ces délices, qui inondent les bons cœurs, dans les momens où ils sont payés par une destinée favorable. Dans son orgueil, il dévorait le monde, comme un goujat dévore ses alimens, sans en jouir; et peut-être encore cette agitation sans repos, cette soif sans étanchement, cette avidité, sans possession; disgrâce, en lui, de la nature, était le secret de cette force inexplicable, dont il est donné à certains hommes d'écraser les autres.

Sans bon sens, il n'a pas aperçu qu'une ambition qui veut tout, ne garde rien. Il n'a pas reconnu, qu'en restant le chef suprême du plus puissant empire, il était au dessus des rois; qu'en se faisant empereur et roi, il s'aliénait les peuples; et se condamnait à l'abolition de toute autre dynastie, que la sienne : ce qui était plus extravagant que la république universelle des jacobins; car au moins ceux-ci se donnaient les populaces pour alliés; tandis qu'un despote

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