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ou, ce qui est pis, l'abjection des peuples, ont-elles une autre cause que les constitutions issues de la souveraineté humaine? Après les lois anciennes, après les lois barbares, après les capitulaires, après la pragmatique sanction, après le Code civil, après trois révolutions radicales, les lois sociales restent à formuler. Nous faudra-t-il encore six mille ans de tâtonnements et d'expériences sanglantes ou oppressives pour nous faire comprendre que la loi sociale n'est pas, ne peut pas être l'œuvre des hommes?

La justice dérive de Dieu seul. Si ses lois étaient observées, si nous savions résister à l'entraînement de nos passions, nous aurions à peine besoin d'être gouvernés. Mais l'indifférence, l'ignorance, les mauvais penchants des hommes leur ont fait comprendre le besoin d'une direction soutenue par la force. Ce sentiment universel, puisé dans l'expérience, ainsi que la vraie connaissance de la nature humaine pervertie, prouve sans réplique que l'ordre ne peut sortir ni de l'an-archie comme l'enseigne M. Proudhon, ni du désordre comme le pratiquait M. Caussidière. Pour que la proposition de M. Proudhon fût admissible, il faudrait que chaque homme fût complet dans son intelligence et dans sa volonté.

Si une direction ou gouvernement est nécessaire, cette direction est dans la nature; elle devient une des conditions de l'existence sociale, une de ses lois par conséquent; et c'est sous ce point de vue qu'apparaît le droit divin.

Toutes les lois de notre existence individuelle ou collective ressortent de Dieu : il y aurait folie et danger à le contester. Chercher l'origine du droit dans la souveraineté de l'homme, il n'y a qu'un tyran qui ait osé, en se déi

fiant lui-même, inventer cette doctrine, et il n'y a que des esclaves stupides et dégradés qui aient pu s'y soumettre. La conséquence logique du principe de la souveraineté humaine, c'est l'idolâtrie et l'oppression. Déifier l'homme, attribuer à son semblable les prérogatives de Dieu, c'est établir le rapport de l'esclave au maître, de l'idolâtre à l'idole.

Mais, me dira-t-on, vos déductions conduisent droit à la théocratie.

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Oui, tout droit à la théocratie! Et qui aura le droit de s'en plaindre? De qui venez-vous? - De Dieu. Pourquoi donc vous mettre sous la dépendance de l'homme?... L'homme, dans ma théorie, relève de Dieu, mais il ne relève que de lui seul.

- La théocratie est la domination du clergé.

-La domination du clergé! c'est précisément l'inverse de ma thèse. Le sacerdoce est divinement institué pour conduire l'homme à Dieu, et non pour conduire l'homme à l'homme.

La théocratie élève l'homme à Dieu; l'idolâtrie le laisse à la créature; la domination du sacerdoce l'arrache à Dieu et au monde, elle le livre à la haine et à la méfiance. Aspirer à la domination, c'est rechercher sa propre gloire (1), au lieu de rechercher la gloire de Dieu (2); c'est se rendre soimême le centre des affections, des intérêts, des hommages; c'est prendre la place de Dieu, c'est en détruire l'idée ; je ne dis pas assez, c'est la rendre odieuse. La domination du clergé n'est pas la théocratie, elle en est le renversement. Un prêtre don.inateur est un prêtre déicide. « Mal

(1) Concile de Cologne.

(2) Quærentes quæ sua sunt, non quæ Jesu Christi.

heur à vous, Pharisiens, qui fermez le royaume des cieux aux hommes; qui n'entrez ni ne laissez la voie libre aux autres (1). »

Comment! ni ne laissez la voie libre aux autres?

Parce que si l'on ne rencontre que leur orgueil sur son passage, on abandonne la route, plutôt que d'être dupe de leurs ruses s'ils n'ont pas la force, victime de leur dureté s'ils sont au pouvoir, et dupe et victime tout à la fois s'ils veulent cumuler le bénéfice de vos hommages et de votre perte. « Gardez-vous, dit le Christ, gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous sous des vêtements de brebis et qui sont intérieurement des loups avides. » L'aviditė est une aspiration de l'égoïsme : c'est l'élément païen. « Ne suivez pas ces prophètes, ils sont aveugles et conducteurs d'aveugles... (2). Examinez bien, poursuit le Christ, et méfiez-vous du ferment des Scribes et des Pharisiens (3); » c'est-à-dire n'acceptez point l'idée qui vient de l'homme; l'idée, pour être salutaire à l'homme, doit avoir une origine divine. L'homme vit de la parole, mais de la parole qui procède de Dieu (4). Jésus lui-même établit en un mot le principe de l'idée religieuse ou exclusivement theocratique, et cette idée-là détruit radicalement toute domination humaine : « Tu es heureux, Simon; ce ne sont point la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est

(1) Væ vobis, Pharisæi, quia clauditis regnum cœlorum ante homines; vos enim non intratis, nec introeuntes sinitis intrare. (Sanct. MATTH., XXIII, v. 13.)

(2) Sinite illos; cæci sunt, et duces cæcorum cæcus autem si cæco ducatum præstet, ambo in foveam cadunt. (S. MATTH., XV, v. 14.)

(3) Intuemini et cavete à fermento Pharisæorum et Sadducæorum. (S. MATTH., c. XVI, v. 6.)

(4) Vivit de omni verbo quod procedit de ore Dei.

dans les cieux. » Voilà la vérité nettement, complétement dégagée de tout mélange humain; et si l'intégrité de l'abnégation humaine ne correspond pas à l'intégrité de la vérité divine, Jésus marque aussitôt l'impureté de l'élément humain : « Loin de moi, séducteur! tu es un scandale pour moi, car ta sagesse ne vient pas de Dieu, elle vient des hommes (1). » Je défie que, sans renoncer au Christ, on puisse nier la théocratie dans l'ordre des idées religieuses.

Cette théorie ébranle la domination du clergé !

- J'ai déjà déclaré que je ne reconnaissais aucune domination sur l'homme que celle de Dieu; et le jour où j'accepterais la domination humaine, de quelque côté que l'on voulût me l'imposer, ce jour-là je me croirais idolâtre, selon la parole du Christ, qui déclare que les idolâtres seuls reconnaissent la domination de leurs chefs. « Vous savez que les chefs des nations les dominent; il n'en sera point ainsi parmi vous celui qui voudra être au premier rang sera le serviteur de tous (2). » Le pontife romain, chef de l'Église, se nomme lui-même le serviteur des serviteurs, synthèse sublime de la foi, de la charité, de la hiérarchie catholique!

Jamais, dans l'histoire du monde entier, je n'ai vu le principe de la domination humaine sortir de l'idée chrétienne. J'en ai constamment vu sortir la domination divine; et l'Église vit si bien de la parole de Dieu, que toutes ses prières, toutes ses actions, tous ses mouvements commencent et finissent par ces mots : Per Jesum Christum Dominum nostrum. Dans l'Église, rien d'humain, rien qui parte d'elle. Que si elle à une volonté, elle en affirme aus

(1) S. MATTH., c. XVI, v. 23.

(2) S. MATTH., XX, v. 25.

sitôt la subordination et en justifie la droiture par sa conformité à la volonté de Dieu (1). En sorte que je ne vois là que soumission, obéissance de la volonté humaine à la volonté divine, et c'est cette soumission même qui constitue l'infaillibilité de l'Église. - Église catholique, apostolique et romaine, c'est toi qui as élevé mon cœur à Dieu; c'est toi, et toi seule, qui m'as appris qu'aucune créature ne pouvait être le dernier terme de mes vœux et de mes hommages; c'est toi qui m'as appris que je n'étais chrétien que parce que je voulais l'être, que la vertu était le fruit de la liberté, aidée de la grâce, grâce que tu ne cesses de demander, dans tes prières à Dieu, pour tous les enfants des hommes; reçois, Église vénérable, mon amour; je m'attache à toi plus qu'aux biens, plus qu'à la vie; car ce n'est que ta voix sainte et maternelle qui peut me conduire dans le sein du père des mortels!

-Si ce n'est pas à l'entendement divin que l'homme doit soumettre sa volonté, à quel entendement la soumettra-t-il? A son propre entendement ou à l'entendement d'un autre homme? Mais tout homme est faillible (2). Donc, la domination humaine est impossible, car l'erreur est une négation. La souveraineté est féconde par essence; la négation est le néant. Que de ruines, à tous les âges, la négation n'a-t-elle pas entassées sur la terre!

Le corps de la doctrine divine a l'univers pour gardien (3). Les religions hérétiques ou humaines ont pour gardiens un royaume, un État, une force quelconque, qui, sous le rapport hérétique, se sépare de la grande famille (1) Visum est enim Spiritui sancto et nobis. (Act. Apost., c. xv, v. 28.)

(2) Omnis homo mendax.

(3) Credo in Ecclesiam catholicam.

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