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donnent pas l'inutile peine de fe bâtir un palais infernal; qu'ils ne fondent pas du canon pour tirer fur les Anges, &c. Et quand toutes ces abfurdités auront été bannies de la fiction le génie & l'art n'auront rien perdu. » Un double rang de mille mil» lions es forme le char de l'É »ternel.» Voilà comme la raifon févère aime à voir l'imitation s'aggrandir, & faire de l'intensité le champ vafte de nos idées.

* David:

2002 CHAPITRE XI.

Des

diverfes formes du Difcours poétique.. TON-feulement la poéfie s'attache à peindre ce qu'elle exprime mais elle imite encore le langage de celui qu'elle fait parler. Que ce foit le poéte ou l'un de fes perfonnages, cela eft égal: dès qu'il a un caractère diftinet, une fituation décidée, il doit: avoir une façon de 'penfer, de fentir & de s'exprimer convenable au rôle qu'il joue lui-me ou qu'il fait jouer ;. & c'eft-là fur-tout ce qui diftingue les

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divers genres que je vais parcourir. Mais ce n'eft qu'à propos de chacun d'eux en particulier que je puis tirer de cette imitation perfonnelle les règles de convenance que le poéte doit obferver.

Je commence donc par les formes primitives que peut prendre le langage poétique en général.

On peut réduire le difcours au monologue & à la fcène monologue toutes les fois que celui qui parle n'eft cenfé avoir ni interlocuteurs, ni témoins: fcène, toutes les fois qu'il eft entendu, ou qu'il eft fuppofé l'être foit qu'on l'écoute en filence, ou qu'on s'entretienne avec lui.

La parole eft un acte fi familier à l'homme, fi fort lié par l'habitude avec la penfée & le fentiment, elle donne tant de facilité , tant de netteté à la conception, par les fignes qu'elle attache aux idées, que dans une méditation profonde, dans une vive émotion, il est tout naturel de fe parler à foi-même. Je ne dirai pas, pour établir la vraisemblance du monologue, qu'en nous fouvent l'homme tranquille & fage réprimande & modère l'hom Q6

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me paffionné; cela nous méneroit trop loin je m'en tiens à un fait plus fimple. Il n'eft perfonne qui quelquefois ne fe foit furpris fe parlant à lui-même de ce qui l'affectoit ou l'occupoit férieufement. Il eft donc très-vraifemblable que l'avare à qui l'on vient d'enlever fa caffette faffe entendre fes cris & fes plaintes ; que Caton, avant de fe donner la mort, délibere à haute voix fur l'avenir qui l'attend; qu'Augufte qui vient de voir le moment où il doit être affaffiné, fe parle & fe reproche tout le fang qu'il a répandu; qu'Orofmane croyant Zaïre infidéle, & l'attendant pour fe venger, dans l'égarement de la fureur, parle feul & parle tout haut:

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Il eft un peu plus rare qu'un homme plongé dans des réflexions douces & tranquilles les énonce à haute voix. Cela même a pourtant fa caufe dans la nature : car nos idées ainfi produites au-dehors, nous reviennent par l'organe de l'oreille plus vives, plus nettes, plus diftinctes qu'auparavant. Mais cet entretien folitaire ne fût-il pas auffi bien fondé en raifon, il fuffiroit qu'il le fût en exemple: le fréquent ufage qu'on en fait en poéfie,

n'eft tout-au-plus qu'une extention qu'on a données à la vérité, & la vraifemblance d'opinion s'y trouve. Il fuffit pour cela que le Monologue porte le caractere de la rêverie, que la marche en foit vagabonde comme celle de l'imagination, & qu'il parcoure légèrement la chaîne des idées qui fe préfentent à l'efprit, ou des fentimens qui s'élèvent dans l'ame.

Ainfi tous les genres de poéfie où eft imitée la paffion ou la réflexion folitaire, comme le poëme dramatique, le paftoral, le lyrique, l'élégiaque font fufceptibles du Monologue. Il n'y a que le poëme méthodique & raifonné, où l'ame eft toute à elle-même, comme l'Epître férieufe, le poëme didactique, l'épique fimple & fans mêlange, qui ne doivent jamais l'employer.

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Les qualités effentielles du Monologue font le mouvement & la variété. Les idées y doivent être liées, mais par un fil imperceptible. Plus les fentimens qu'il exprime naiffent en foule & en défordre, plus il imite le trouble, les combats, le flux & reflux des paffions;: plus il eft dans la vraisemblance: jamais il n'eft fi naturel que lorfqu'il

eft au plus haut point de véhémence & de chaleur. C'eft-là für-tout que font placés ces mouvemens que j'ai peints fous l'image d'un tourbillon de feu, ces mouvemens d'une ame qui fe roule fur elle-même, comme les vagues de la mer, lorfque des vents oppofés les foulèvent du fond de l'abîme. On fent bien que rien n'eft plus contraire à l'expreffion de ces mouvemens orageux, qu'une fymmétrie affectée; auffi ne peut-on excufer le Rondeau dans le Monologue du Cid, que par le mauvais goût qui régnoit alors. Il ne faut pas croire cependant que la marche du Monologue pathétique foit arbitraire: la paffion même a fon ordre prefcrit; mais l'ame doit le fuivre fans s'en appercevoir. Je m'en expliquerai en parlant de l'Ode.

paro

Dans le Monologue ce n'eft pas toujours à foi-même qu'on adreffe la le: c'eft quelquefois à un être infenfible ou à quelque abfent, dont on oublie que l'on ne peut être entendu.

Ibi hæc incondita folus Montibus & filvis ftudio jactabat inani.

Virg.

Ce délire fuppofe l'égarement de la paffion, ou une rêverie qui appro

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