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Les chiens du lieu, n'ayant en tête
Qu'un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents
Vous accompagnent ces passants
Jusqu'aux confins du territoire.

Un intérêt de biens, de grandeur et de gloire,
Aux gouverneurs d'États, à certains courtisans,
A gens de tous métiers, en fait tout autant faire.
On nous voit tous, pour l'ordinaire,

Piller le survenant, nous jeter sur sa peau.
La coquette et l'auteur sont de ce caractère (') :
Malheur à l'écrivain nouveau!

Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau,
C'est le droit du jeu, c'est l'affaire.

Cent exemples pourraient appuyer mon discours;
Mais les ouvrages les plus courts (2)

Sont toujours les meilleurs. En cela j'ai pour guides ()
Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser
Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser:
Ainsi ce discours doit cesser.

Vous, qui m'avez donné ce qu'il a de solide,
Et dont la modestie égale la grandeur,
Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur
La louange la plus permise,

La plus juste et la mieux acquise;

Vous enfin, dont à peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages,

Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages,

(1) Ce vers, en ce qui touche les auteurs, est peut-être moins vrai de nos jours que du temps de La Fontaine. Les modernes royautés littéraires sont très-accueillantes. Elles craignent les rancunes, et savent bien, du resteque le protectorat se paye en éloges.

(2) Le secret de tout dire est celui d'ennuyer.

La Fontaine a dit ailleurs :

Les longs ouvrages me font peur.

(BOILEAU.)

(8) Ce mot est au singulier dans les éditions modernes, au pluriel aus les éditions revues par La Fontaine.

Comme un nom qui, des ans et des peuples connu,
Fait honneur à la France, en grands noms plus féco:de
Qu'aucun climat de l'univers,

Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le monde
Que vous m'avez donné le sujet de ces verse

XVI.

Le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre, et le Fils
de Roi (1).

Quatre chercheurs de nouveaux mondes,
Presque nus, échappés à la fureur des ondes,
Un trafiquant, un noble, un pâtre, un fils de roi,
Réduits au sort de Bélisaire (2),
Demandaient aux passants de quoi

Pouvoir soulager leur misère.

De raconter quel sort les avait assemblés,
Quoique sous divers points tous quatre ils fussent nés,
C'est un récit de longue haleine.

lls s'assirent enfin au bord d'une fontaine :
Là le conseil se tint entre les pauvres gens.
Le prince s'étendit sur le malheur des grands.
Le pâtre fut d'avis qu'éloignant la pensée
De leur aventure passée,

Chacun fît de son mieux, et s'appliquât au soin
De pourvoir au commun besoin.

La plainte, ajouta-t-il, guérit-elle son homme?

Contes et Fables indiennes de Bidpaï et de Lokman, t. III, p. 320-338, Histoire d' Asfendiar.

(2) Bélisaire était un grand capitaine, qui, ayant commandé les armées de l'empereur et perdu les bonnes grâces de son maître, tomba dans un tel point de misère, qu'il demandait l'aumône sur les grands chemins. (Note de La Fontaine.)

Cette tradition de Bélisaire aveugle et mendiant, tradition que la pitié qui s'attache aux grandes infortunes a rendue populaire, est de tous points démentie par l'histoire.

Travaillons: c'est de quoi nous mener jusqu'à Rome.
Un pâtre ainsi parler! Ainsi parler? croit-on
Que le ciel n'ait donné qu'aux têtes couronnées
De l'esprit et de la raison;

Et que de tout berger, comme de tout mouton,
Les connaissances soient bornées ?

L'avis de celui-ci fut d'abord trouvé bon
Par les trois échoués aux bords de l'Amérique.
L'un (c'était le marchand) savait l'arithmétique:
A tant par mois, dit-il, j'en donnerai leçon.
J'enseignerai la politique,

---

Reprit le fils de roi. Le noble poursuivit:
Moi, je sais le blason; j'en veux tenir école :
Comme si devers l'Inde on eût eu dans l'esprit
La sotte vanité de ce jargon frivole!

Le pâtre dit: Amis, vous parlez bien; mais quoi!
Le mois a trente jours: jusqu'à cette échéance
Jeûnerons-nous, par votre foi?

Vous me donnez une espérance

Belle, mais éloignée; et cependant j'ai faim.
Qui pourvoira de nous au dîner de demain?
Ou plutôt sur quelle assurance
Fondez-vous, dites-moi, le souper d'aujourd'hui ?
Avant tout autre, c'est celui
Dont il s'agit. Votre science

Est courte là-dessus : ma main y suppléera.
A ces mots le pâtre s'en va

Dans un bois il y fit des fagots, dont la vente,
Pendant cette journée et pendant la suivante,
Empêcha qu'un long jeûne à la fin ne fît tant
Qu'ils allassent là-bas exercer leur talent.

Je conclus de cette aventure

Qu'il ne faut pas tant d'art pour conserver ses jours; Et, grâce aux dons de la nature,

La main est le plus sûr et le plus prompt secours.

LIVRE ONZIÈME.

I.

Le Lion (1).

Sultan léopard autrefois

Eut, ce dit-on, par mainte aubaine (2),
Force bœufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois,
Force moutons parmi la plaine.

Il naquit un lion dans la forêt prochaine.
Après les compliments et d'une et d'autre part,
Comme entre grands il se pratique,

Le sultan fit venir son vizir le renard,
Vieux routier, et bon politique.

Tu crains, ce lui dit-il, lionceau mon voisin;
Son père est mort: que peut-il faire?
Plains plutôt le pauvre orphelin.

Il a chez lui plus d'une affaire,

Et devra beaucoup au Destin

S'il garde ce qu'il a, sans tenter de conquête.
Le renard dit, branlant la tête:

Tels orphelins, seigneur, ne me font point pitié;
Il faut de celui-ci conserver l'amitié,

Ou s'efforcer de le détruire

Avant que la griffe et la dent

Lui soit crue, et qu'il soit en état de nous nuire.
N'y perdez pas un seul moment.

(1) La fable de Bidpaï intitulée le jeune Léopard semble avoir donné l'idée de celle-ci; celle de l'auteur indien est cependant toute différente. Voyes Contes el Fables indiennes. t. I, p. 157.

(2) Par les successions des étrangers, confisquées à son profit en vertu du droit d'aubaine dont il jouissait comme sultan.

J'ai fait son horoscope: il croîtra

Ce sera le meilleur lion

par

la guerre;

Pour ses amis, qui soit sur terre:
Tâchez donc d'en être; sinon,

Tâchez de l'affaiblir. La harangue fut vaine.
Le sultan dormait lors; et dedans son domaine
Chacun dormait aussi, bêtes, gens: tant qu'enfin
Le lionceau devint vrai lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui; l'alarme se promène
De toutes parts; et le vizir,
Consulté là-dessus, dit avec un soupir:

Pourquoi l'irritez-vous? La chose est sans remède
En vain nous appelons mille gens à notre aide:
Plus ils sont, plus il coûte; et je ne les tiens bor
Qu'à manger leur part des moutons.

Apaisez le lion seul il passe en puissance

:

Ce monde d'alliés vivant sur notre bien.

Le lion en a trois qui ne lui coûtent rien.
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton;
S'il n'en est pas content, jetez-en davantage :
Joignez-y quelque bœuf; choisissez, pour ce don
Tout le plus gras du pâturage.

Sauvez le reste ainsi. Ce conseil ne plut pas.
Il en prit mal; et force États
Voisins du sultan en pâtirent:
Nul n'y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fît ce monde ennemi,
Celui qu'ils craignaient fut le maître.
Proposez-vous d'avoir le lion pour ami,
Si vous voulez le laisser craître (1).

(1) Craître pour croître.

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