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temps que Delphes était le plus florissant, il ne s'y rendait pas de meilleurs oracles que ceux-là.

On trouve cependant que Clément Alexandrin, dans son exhortation aux gentils, qu'il a composée, ou sous Sévère, ou à peu près en ce temps là, dit nettement que la fontaine de Castalie qui appartenait à l'oracle de Delphes, et celle de Colophon, et toutes les autres fontaines prophétiques, avaient enfin, quoique tard, perdu leurs vertus fabuleuses.

Peut-être en ce temps là ces oracles tombèrent-ils dans un de ces silences auxquels ils étaient devenus sujets par intervalles; peut-être parce qu'ils n'étaient plus guère en vogue, Clément Alexandrin aimait-il autant dire qu'ils ne subsistaient plus du tout.

Il est toujours certain que sous Constantius, père de Constantin, et pendant la jeunesse de Contantin, Delphes n'était pas encore ruiné, puisque Eusèbe fait dire à Constantin, dans sa vie, que le bruit courait alors qu'Apollon avait rendu un oracle, non par la bouche d'une prêtresse, mais du fond de son obscure caverne, par lequel il disait que les hommes justes, qui étaient en terre, étaient cause qu'il ne pouvait plus dire vrai. Voilà un plaisant aveu. De plus, il fallait que l'oracle de Delphes fut alors bien misérable, puisqu'on en avait retranché la dépense d'une prêtresse.

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Il reçut un terrible coup sous Constantin, qui commanda ou qui permit que l'on pillât Delphes. Alors, » dit Eusèbe, dans la vie de Constantin, on produisit aux » yeux du peuple, dans les places de Constantinople, » ces statues, dont l'erreur des hommes avait fait si >> long-temps des objets de vénération et de culte. Ici, l'Apollon Pythien; là le Sminthien, les trépieds

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» dans le cirque, et les muses Héliconides dans le palais, furent exposés aux railleries de tout le monde. » L'oracle de Delphes se releva pourtant encore une fois. L'empereur Julien l'envoya consulter sur l'expédition qu'il méditait contre les Perses. Si l'oracle de Delphes a été plus loin ; du moins nous ne pouvons pas pousser plus loin son histoire. Il n'en est plus parlé dans les livres; mais en effet il y a bien de l'apparence que c'est là le temps où il cessa, et que ses dernières paroles s'adressèrent à l'empereur Julien, qui était si zélé pour le paganisme. Je ne sais pas trop bien comment de grands hommes ont pu mettre Auguste en la place de Julien, et avancer hardiment que l'oracle de Delphes avait fini par la réponse qu'il avait rendue à Auguste sur l'enfant hébreu.

Quelques auteurs modernes, qui ont trouvé cet oracle digne d'une fin éclatante, lui en ont fait une. Ils ont lu dans Sozomène et dans Théodoret, que sous Julien le feu avait pris au temple d'Apollon, qui était dans un faubourg d'Antioche, appelé Daphné, sans qu'on eût pu découvrir l'auteur ou la cause de cet incendie; que les païens en accusaient les chrétiens, et que les chrétiens l'attribuaient à un foudre lancé de la main de Dieu. A la vérité, Théodoret dit que le tonnerre était tombé sur ce temple; mais Sozomène n'en parle point. Ces modernes se sont avisés de transporter cet événement au temple de Delphes, qui était fort éloigné de là, et de dire que, par une juste vengeance de Dieu, les foudres l'avaient renversé au milieu d'un grand tremblement de terre. Ce tremblement de terre, dont ni Sozomène, ni Théodoret ne parlent dans l'incendie même de Daphné, a été mis là pour

tenir compagnie aux foudres, et pour honorer l'a

venture.

Ce serait une chose ennuyeuse de faire l'histoire de la durée de tous les oracles depuis la naissance de Jésus-Christ: il suffira de remarquer en quels temps on trouve que quelques uns des principaux ont parlé pour la dernière fois ; et souvenez-vous toujours que ce n'est pas à dire qu'ils aient effectivement parlé pour la dernière fois, dans la dernière occasion où les auteurs nous apprennent qu'ils aient parlé.

Dion, qui ne finit son histoire qu'à la huitième année d'Alexandre Sévère, c'est-à-dire l'an 230 de Jésus-Christ, dit que de son temps, Amphilocus rendait encore des oracles en songes. Il nous apprend aussi qu'il y avait dans la ville d'Apollonie un oracle, où l'avenir se déclarait par la manière dont le feu prenait à l'encens qu'on jetait sur un autel. Il n'était permis de faire à cet oracle des questions ni de mort, ni de mariage. Ces restrictions bizarres étaient quelquefois fondées sur l'histoire particulière du dieu qui avait eu sujet, pendant sa vie, de prendre de certaines choses en aversion. Je crois aussi qu'elles pouvaient venir quelquefois du mauvais succès qu'avaient eu les réponses de l'oracle sur de certaines matières.

Sous Aurélien, vers l'an de Jésus-Christ 272, les Palmiréniens révoltés consultèrent un oracle d'Apollon Sarpédonien en Cilicie. Ils consultèrent encore celui de Vénus Aphacite, dont la forme était assez singulière pour mériter d'être rapportée ici. Aphaca est un lieu entre Héliopolis et Biblos. Auprès du temple de Vénus, est un lac semblable à une citerne. A de certaines assemblées que l'on y fait dans des temps réglés, on voit dans 23

TOM. III.

ces lieux là un feu en forme de globe ou de lampe; et ce feu, dit Zozime, s'est vu jusqu'à notre temps, c'està-dire jusques vers l'an de Jésus-Christ 400. On jette dans le lac des présens pour la déesse : il n'importe de quelle espèce ils soient. Si elle les reçoit, ils vont au fond; si elle ne les reçoit pas, ils surnagent, fût-ce de l'argent ou de l'or. L'année qui précéda la ruine des Palmiréniens, leurs présens allèrent au fond, mais l'année suivante tout surnagea.

Licinius ayant dessein de recommencer la guerre contre Constantin, consulta l'oracle d'Apollon de Didyme, et en eut pour réponse deux vers d'Homère, dont le sens est : « Malheureux vieillard, ce n'est point » à toi à combattre contre les jeunes gens; tu n'as point » de forces, et ton âge t'accable. >>

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Un dieu assez inconnu, nommé Besa, dit Ammian Marcellin, rendait encore des oracles sur des billets, à Abide, dans l'extrémité de la Thébaïde, sous l'empire de Constantius; car on envoya à cet empereur des billets qui avaient été laissés dans le temple de Besa, sur lesquels il commença à faire des informations très-rigoureuses, et jeta dans les prisons, ou envoya en exil, ou fit tourmenter cruellement un assez grand nombre de personnes. C'est que par ces billets on consultait le dieu sur la destinée de l'empire, ou sur la durée que devait avoir le règne de Constantius, ou même sur le succès de quelque dessein que l'on formait contre lui.

Enfin Macrobe, qui vivait sous Arcadius et Honorius, fils de Théodose, parle du dieu d'Héliopolis de Syrie et de son oracle, et des fortunes d'Antium, en des termes qui marquent positivement que tout cela subsistait encore de son temps.

Remarquez qu'il n'importe pour notre dessein que toutes ces histoires soient vraies, ni que ces oracles aient effectivement rendu les réponses qu'on leur attribue. On n'a pu attribuer de fausses réponses qu'à des oracles que l'on savait qui subsistaient encore effectivement; et les histoires que tant d'auteurs en ont débitées, prouvent du moins que l'on ne croyait pas qu'ils eussent cessé.

CHAPITRE IV.

Cessation générale des Oracles avec celle du Paganisme.

En général, les oracles n'ont cessé qu'avec le paganisme, et le paganisme ne cessa pas à la venue de JésusChrist.

Constantin abattit peu de temples, encore n'osa-t-il les abattre qu'en prenant le prétexte des crimes qui s'y commettaient. C'est ainsi qu'il fit renverser celui de Vénus Aphacite, et celui d'Esculape qui était à Égès en Cilicie, tous deux temples à oracles. Mais il défendit que l'on sacrifiât aux dieux, et commença à rendre, par cet édit, les temples inutiles.

On trouve des édits de Constantius et de Julien, alors Césars, par lesquels toute divination est défendue sur peine de la vie, non-seulement celle des astrologues, et des interprètes des songes, et des magiciens, mais aussi celle des augures et des aruspices, ce qui donnait une grande atteinte à la religion des Romains. Il est vrai que les empereurs avaient un intérêt particulier à défendre toutes les divinations, parce qu'on ne faisait autre chose que s'enquérir de leur destinée et principalement des successeurs qu'ils devaient avoir; et tel se révoltait

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