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mes réponses, et me pria de m'en souvenir dans l'occasion. Il revint après cela comme sur ses pas. Trouvez-vous, me dit-il, votre propriété et activité dans les actions nécessaires et naturelles? Je lui répondis par un sourire.

Est-elle dans les actions indifférentes? Non, lui dis-je, car eile les rendrait mauvaises, et vous parlez des indifférentes.

DIRECT. Ce que vous dites, ma fille, est très-vrai par la seule énonciation des termes.

PÉNIT. Il continua de m'interroger sur les mauvaises; savoir, si elles n'étaient pas telles parce qu'elles partaient d'un principe corrompu, qu'elles se faisaient sans droites intentions, et que le fond même souvent n'en valait rien, ou pour n'être pas selon l'esprit de Dieu, ou pour être formellement contraires à sa loi et à ses préceptes. Je convins de tout cela. Reconnaissez-vous, me dit-il, de la propriété et de l'activité dans ces actions mauvaises? Et où seraient-elles donc, lui repartis-je? n'est-ce pas ce principe de corruption, qui attire sur toutes les actions des hommes le propre esprit dont il faut se vider, cette propre action, ce vieil Adam qu'il faut évacuer (1;? Fort bien, dit-il; mais s'il se trouvait des actions qui partissent d'un bon principe, qui se fissent avec des intentions droites, qui fussent contraires à la loi de Dieu et à l'esprit de l'Evangile, seraient-elles selon vous des actions mauvaises? Je lui dis que non. Ni indifférentes? J'y consentis.Il conclut de là qu'elles étaient bonnes. Je croyais qu'il me demanderait si j'admettais aussi dans ces actions vertueuses de la propriété, et je songeais à lui répondre; mais voulant me donner des exemples, il parla ainsi. Un prédicateur annonce la parole de Dieu, pour avoir occasion d'y mêler la sienne; ou bien il prêche pieusement et apostoliquement, afin que tous lui rendent ce témoignage, qu'il est un homme apostolique; il fait des conversions', afin de passer pour convertisseur, pèche-t-il? ne pèche-t-il point? agit-il ou non par propriété ou activité? Je lui dis que ce prédicateur péchait, qu'il était rempli de propriété; que c'était un homme vain et hypocrite. Et celui, poursuivit-il, qui prêche uniquement pour exciter les grands et le peuple à la componction et à la pénitence, sans autre soin que de rendre nuement les paroles et la doctrine de l'Évangile ? Il ne pèche pas, lui dis-je. Comment

(1) Rien n'est opposé à Dieu que la propriété, et toute la malignité de l'homme est dans cette propriété, comme dans la source de sa malice...... Cette impureté si opposée à l'union, est la propriété et l'activité : la propriété, parce qu'elle est la source de la réelle impureté, qui ne peut être alliée avec la pureté essentielle; l'activité, parce que Dieu étant dans un repos infini, il fait que l'âme pour être unie à lui, participe à son repos; sans quoi il ne peut y avoir d'union, à cause de la dissemblance. Moyen court, pag. 122.

aurais-je pu lui répondre autrement? Un directeur, continuat-il, dirige des femmes, et ne dirige qu'elles ; il n'a d'attraits que pour ces sortes de directions; il aime ce sexe; il est touché du son de leur voix, et des sottes confidences qu'elles lui font ; elles l'amusent, elles remplissent sa curiosité; il ne conduit pas néanmoins ses pénitentes au déréglement. Il ne laisse pas de pécher, m'écriai-je; il est tout plein de propriété. Et le directeur, me dit-il, qui touché de l'horreur, du péril où s'exposent ces âmes chrétiennes par leurs crimes, reçoit indifféremment et sans acception de sexe, tous ceux qui se confient à sa charité, conduite et éclairée par la science, quel péché ma sœur commet-il? et de quelle propriété l'accusez-vous? Je ne sus en vérité lui répondre. Ne vous lassez pas, ajouta-t-il. Un homme qui s'étant éprouvé, selon la règle de saint Paul, communie pour communier, pour cueillir et goûter le fruit de ce sacrement, pèche-t-il? Je n'hésitai point: Il fait, mon frère, la plus grande chose qu'il y ait dans la religion, après l'oraison de simple regard. Vous êtes folle, me dit mon mari, qui était présent à toute cette conversation. Je ne lui répondis pas un mot, de peur de lui en trop dire; car il est vrai que j'ai une antipathie pour cet homme-là, qui ne me permet pas de me modérer sur chapitre.

son

personne, pas même

DIRECT. Mais, ma fille, il ne faut haïr son mari, quelque déraisonnable qu'il soit. PÉNIT. Je le hais, mon père, en Jésus-Christ, et je ne voudrais pour rien au monde lui nuire; je ne lui veux aucun mal. DIRECT. Continuez, ma fille.

PÉNIT. Un chrétien, poursuivit-il, qui communie au contraire pour communier, et aussi afin que quelqu'un, dont il ne peut autrement se concilier l'estime et la bienveillance, le voie communier? Il pèche, il pèche, lui dis-je; c'est ce qu'on appelle présentement à la cour un dévot, c'est-à-dire, un faux dévot; et c'est pour ces sortes de gens que les mots de propriété et d'activité ont été faits. Fort bien, dit-il; mais aussi convenez-vous par vos réponses qu'il y a des gens, ou plutôt qu'il y a de telles actions si épurées, si louables par les principes, par l'intention, et encore par leur nature, qu'on peut assurer que la propriété et l'activité n'y ont nulle part, celles du moins que vous qualifiez de principe corrompu, de vieil Adam, qui n'est autre chose apparemment que ce que nous autres docteurs nous appelons une pente, une faiblesse pour le péché, un vieux levain, en un mot, la concupiscence. Si je tombe donc d'accord avec vous qu'elle est très-vive, et très-forte dans les grands pécheurs, qu'elle subsiste encore dans les per

sonnes fragiles et qui commettent les moindres péchés; qu'elle se fait même un peu sentir dans les personnes pieuses, et qui évitent de déplaire à Dieu : avouez aussi de bonne foi, qu'elle est presque éteinte dans les âmes saintes, qui l'ont combattue et comme atterrée pendant leur vie, par les œuvres de charité et de pénitence. Quoi, mon frère, lui dis-je, voudriez-vous prétendre qu'il y a des gens impeccables? Le juste ne pèche-t-il pas sept fois le jour? Je suis bercé de cela; mais ma chère sœur, s'écria-t-il, entendez ce qu'on vous dit, et qu'une concupiscence presque éteinte et comme atterrée, n'emporte point pour les saints qui sont encore en vie, ou sur la terre, une impeccabilité parfaite, semblable à celle des saints qui sont dans le terme, et qui jouissent de Dieu : j'ai pensé dire, ajouta-i-il, semblable à celle qu'on acquiert, selon vos docteurs, par l'union essentielle. Quoi donc, ma sœur, continua-t-il (car il en fautune fois revenir à ce point), n'admettez-vous pas de bonnes actions, des actions vertueuses? Sans doute, lui dis-je, et je vous l'ai déjà passé. Des actions saintes? Et ceux qui les font, ne les appelez-vous pas des saints? Je veux bien l'avouer, lui dis-je. Dites, reprit-il, que vous ne pouvez le nier; car je vous combattrais par les livres de vos docteurs; je n'en ai pas perdu la mémoire : les actions faites par un principe divin, sont des actions divines; au lieu que les actions de la créature, quelque bonnes qu'elles paraissent, sont des actions humaines, ou tout au plus vertueuses, lorsqu'elles sont faites avec la grâce. Que dites-vous de cela? Je lui répondis tranquillement que ce qui était de nos livres, appuyait mon sentiment : que j'entendais par les actions vertueuses celles qui ne laissaient pas d'être des actions humaines, quelque bonnes qu'elles parussent, parce qu'elles étaient toujours des actions de la créature, sujettes par conséquent à la propriété et à l'activité. Comment, reprit-il un peu en colère, des actions vertuenses, et faites avec la grace de Jésus-Christ, remplies de propriété et d'activité? Il en est ainsi, mon frère, lui dis-je. Donc remplies de péché; car propriété chez vous, un péché qu'on doit expier ou en cette vie ou en l'autre. Voilà donc, mais ma pauvre soeur, vous n'y songez pas ; voila, entendez-vous bien ce que vous dites, voilà selon vous des actions vertueuses, qui ne sont pas vertueuses, de bonnes œuvres qui sont œuvres de Satan, incapables, indignes des récompenses que JésusChrist a promises, et aux mérites et aux bonnes œuvres : En vérité, ma sœur, tandis qu'on a du bon sens et qu'il nous reste une étincelle de raison, il faut dire des choses qui ne soient pas du moins entièrement contradictoires, et par là dignes de la risée publique; et comme c'est une matière de religion, digne

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peut-être de châtiment, il ajouta qu'il n'entendait pas parler de moi qu'il croyait dans la bonne foi, mais de mes directeurs qui m'avaient si mal instruite.

DIRECT. Mon étonnement, ma chère fille, est que vous le soyez au point d'avoir su lui résister sur cet article fort délicat, et où il vous a dit ce qu'il y a de passable selon les principes de la Sorbonne.

PÉNIT. Je vous souhaitais aussi de tout mon cœur à cette conférence.

DIRECT. Je lui aurais expliqué notre doctrine sur les actions divines, qu'ils ne connaissent point, faute d'être initiés dans les mystères du simple regard et de l'union essentielle, d'où nos actions qui ne sont plus nos actions, mais uniquement celles de Dieu, tirent leur divinité, comme je vous l'expliquai dernièrement par occasion, et dont je vous donnerai quelque jour une connaissance plus parfaite.

PÉNIT. Vous me ferez, mon père, un extrême plaisir : mais il faut achever de vous rendre compte de la suite de cet entretien. Il ajouta que ce n'était pas là tout ce qu'il avait à me dire sur ce sujet, et qu'il voulait me pousser à bout, sans me laisser même de quoi répondre. Il s'enquit de moi, si la différence que je mettais entre les actions divines et les vertueuses, accompagnées de la grâce, ne consistait pas en ce que les premières étaient de Dieu seul, qui agissait pour et dans la créature; et que dans les autres au contraire, la grâce de Jésus-Christ concourrait seulement avec l'action de la créature, qui en faisait l'impureté et l'imperfection. J'en demeurai d'accord, admirant en moi-même combien il était instruit de nos dogmes. Il faut donc, dit-il, pour exempter du péché de propriété, ces actions vertueuses, et les élever à la qualité de divines, que la grâce seule agisse sur la créature, qui demeure passive, qui fait, comme vous dites, cessation de propre action, qui laisse faire Dieu tout seul (1). Vous l'entendez à cette heure. J'entends, pondit-il, que vous voulez que la créature ne corresponde, ne concourre, ne coopère en rien à la grâce qui agit en elle (2):

(1) L'âme coopère avec Dieu, en recevant volontairement et sans résistance les effets de Dieu en elle. Malaval, Pratique facile.

L'âme est appelée passive lorsqu'elle reçoit quelque chose en soi, de telle sorte qu'elle ne contribue en rien à la production, mais seulement à la réception. Dans les choses de Dieu, l'âme peut être considérée passive en deux manières; l'une quant au principe, l'autre quant à l'action. L'âme est passive au regard de la grâce qui la fait agir, comme un principe non acquis, mais infus; elle est aussi passive au regard de la foi, parce que la foi est une lumière infuse et non produite par l'opération. Ibid.

(2) Les actions faites par un principe divin, sont des actions divines; au lica
La Bruyère.
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c'est ce que je vous dis. J'entends donc, ma sœur, et comprends très-clairement que vous êtes hérétique. Vous en fieriez-vous au concile de Trente? Puis en s'interrompant lui-même : Pour moi j'admire comment de certaines gens gâtés par leurs adulateurs et par leurs sectaires, se croyant plus fins ou plus profonds que le reste des fidèles, dédaignant par un fond d'orgueil de penser comme eux, et comme on a toujours pensé dans le christianisme, ne parviennent enfin par tous les raffinemens de leur esprit, et par une affectation de découverte et de nouveauté, qu'à imaginer une vieille erreur déjà condamnée par toute l'Église, qu'à devenir Calvinistes ou Luthériens, frappés d'anathême dans le concile de Trente : et passant dans son cabinet qui est proche de la salle où nous mangeons, il en revint avec cette traduction du concile. « Si quelqu'un dit (vous voilà, ma sœur), si quelqu'un » dit que le libre arbitre de l'homme mû et attiré de Dieu, ne » doit point prêter son consentement, ni coopérer avec Dieu, qui l'excite et qui l'appelle pour obtenir la grâce de sa justi>>fication, mais qu'il doit demeurer comme quelque chose » d'inanimé (voilà le corps mort), sans nulle action, et dans un état purement passif; qu'il soit anathême. » Ce canon fut fait contre les Luthériens, qui soutenaient que toute coopération était mauvaise, et qu'il fallait s'en abstenir; et contre les Calvinistes qui trouvaient de l'impureté et de la propriété dans les actions les plus saintes, à cause du concours nécessaire de la volonté. Choisissez, ma sœur, de l'un ou de l'autre dogme, ou plutôt l'un et l'autre vous appartiennent: Et en effet, poursuivit-il, quand on croit une fois avec l'Église, qu'il y a un péché originel, soit que Dieu ait regardé tous les hommes dans Adam

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que les actions de la créature, quelque bonnes qu'elles paraissent, sont des actions humaines, ou tout au plus vertueuses, lorsqu'elles sont faites avec la grâce. Moyen court, pag. 21.

L'homme est réparé, non en agissant, mais en souffrant l'action de celui qui le veut réparer. Ibid.

Une âme ne se doit mouvoir, que quand l'esprit de Dieu la remue. Ibid. Il suffit que l'homme ait un consentement passif à sa propre destruction, afin qu'il ait une entière et pleine liberté. Ibid.

Il suffit que l'homme concourre passivement à toutes les opérations actives de Dieu. Ibid.

Dieu ne se communique à l'homme, qu'autant que sa capacité passive est grande, noble et étendue. Ibid.

L'homme ne peut être uni à Dieu sans la passiveté. Ibid.

Il reste à résoudre une difficulté ignorée des siècles passés, savoir s'il y aura une contemplation acquise, comme une infuse, et la différence entre l'une et l'autre. La Combe, Analyse de l'Oraison mentale.

La passive se fait par des actes très-simples infus, qui ne dépendent pas du libre arbitre à laquelle les puissances de l'âme concourent. L'âme, sans qu'elle le sache et y pense, se trouve enlevée vers Dieu. Ibid.

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