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une adhésion à un jugement inique; la mort de JésusChrist fut une protestation contre l'iniquité légale.

La morale de Confucius et de Socrate se résume dans ces mots Respect à la loi civile du pays; c'est le principe de la souveraineté humaine dii eritis. La morale de Jésus-Christ se résume en celui-ci : Væ mundo. Malheur au monde jusqu'à ce qu'il soit rentré dans l'harmonie de la justice éternelle, c'est-à-dire dans la dépendance de la volonté divine præcepit nobis Deus. Il n'y a au fond, quels que soient leurs noms, que ces deux grandes écoles qui divisent le genre humain.

XXI

Si Socrate n'avait pas réussi à relever la raison humaine, Antisthène (1), son disciple, acheva de la confondre; il plaça le souverain bien dans la vertu, et il fut le fondateur de l'école cynique, à laquelle Diogène a donné une si triste célébrité. Mais où place-t-il la vertu? dans l'humble obéissance à la loi divine? Non! dans la sauvage exaltation de l'égoïsme. Quatre cents ans avant l'ère chrétienne et dix-huit cents ans après, le même principe conduit à la même déduction logique. L'égoïsme inspire aux stoïciens le mépris de la douleur et du jugement des hommes; aux voluptueux, le mépris des bienséances sociales et de la pudeur; aux âmes dures, le mépris des lois de l'humanité, des souffrances, de la dignité et de la vie de leurs semblables.

(1) Antisthène, né à Athènes vers l'an 424 avant Jésus-Christ, ouvrit son école dans cette ville vers l'an 380; il mourut dans un âge très-avancé.

Aristippe (1), fondateur de l'école cyrénaïque, rapporte tout à la vertu. Pour Aristippe, comme pour Socrate son maître, la cause finale de la vertu est le bonheur, le bonheur est la continuité du plaisir. Aristippe confond la vertu avec le plaisir. C'est sans doute à son école que l'âme chrétienne de M. Thiers a emprunté cette maxime : Le plaisir est l'unique loi de la nature. Quelques disciples d'Aristippe rejetèrent le témoignage de la sensation comme organe de la vérité objective; ils s'attachèrent exclusivement à son caractère subjectif, c'est-à-dire à la conscience de l'impression, du plaisir ou de la douleur.

XXII

Vainement les efforts se multiplient pour organiser la philosophie. La vérité révélée ne répand plus qu'une faible lueur. Pyrrhon (2) fonde l'école sceptique, et conclut à l'inutilité de la science, dont il démontre jusqu'à l'impossibilité, en détruisant tous les instruments de la certitude humaine. Sa morale est encore basée sur l'attrait du plaisir, et son scepticisme sur les contradictions qui existent. entre les jugements portés sur un même objet, sur les variations des sensations, sur la variabilité des lois, des

(1) Aristippe, né à Cyrène l'an 435 avant Jésus-Christ, vint étudier à Athènes, sous Socrate. Il passa ses plus belles années dans la mollesse, à la cour de Denis le Tyran, où il lui fut loisible de mettre sa doctrine en pratique. Il fut le père de la belle Arcté, qui enseigna sa théorie.

(2) Pyrrhon, dont le nom est devenu synonyme de scepticisme, était né à Elis, dans le Péloponnèse. Il avait eu pour maitre Anaxarque, qu'il avait suivi en Asie pendant l'expédition d'Alexandre. Il florissait vers l'an 430 avant Jésus-Christ; il mourut à quatre-vingt-dix ans. Timon, Enésidème, Sextus Empiricus, sont les plus célèbres pyrrhoniens de la Grèce.

usages et de l'idée de justice. L'indifférence la plus absolue résulte de son système.

Euclide (1), fondateur de l'école de Mégare vers l'an 400 avant J.-C., continue l'enseignement de la métaphysique d'Élée en la modifiant par la doctrine de Socrate. Il considère l'être éternel, un, infini, comme le bien absolu; mais, avec Xénophane et Parménide, il s'égare dans les subtilités dialectiques, combattant la certitude des sens et l'existence même de la matière. Sa dernière déduction est l'idéalisme, le panthéisme de Vyasa.

XXIII

Quatre écoles fameuses vont surgir du mouvement intellectuel imprimé à l'esprit humain par le génie de Socrate. Nous sommes à l'époque la plus brillante de l'antiquité occidentale, j'ai failli dire de l'ère païenne. Platon, Aristote, Epicure et Zénon s'élancent dans l'arène. Leur gloire doit faire frémir les mânes du conquérant qui avait voulu éclipser toutes les réputations, car les noms de ces philosophes vont être plus souvent redits par la renommée que le nom même d'Alexandre. Pour quelques guerriers ivres, comme lui, d'ambition, qui, à son exemple, ont ravagé le monde au lieu de le civiliser, je trouve des siècles qui répètent sans interruption : Le maître l'a dit, Aristoteles dixit; et les arrêts d'Aristote sont respectés comme ceux du destin. Alexandre avait eu dans Sémiramis, Sésostris et Cyrus des modèles, il a eu des imitateurs et des

(1) Euclide, né à Mégare, fut d'abord le disciple de Parménide, et devint ensuite celui de Socrate. Une loi défendait, sous peine de mort, aux Mégariens d'entrer à Athènes. Euclide se déguisa en femme pour venir entendre Socrate.

rivaux dans César, Attila, Gengis-Khan, Napoléon. Mais supprimez saint Thomas d'Aquin, trop peu lu, et dites-moi quels noms vous opposerez dans le domaine intellectuel à ceux de Platon et d'Aristote. L'effort fut alors suprême, car il fut fait par les hommes les plus fortement organisés et dans les circonstances les plus favorables au succès. Vyasa avait sondé pour tous les profondeurs de l'intelligence humaine; Canada avait laissé à Aristote l'arme du syllogisme, et Vyasa à Platon la plus magnifique théorie divine qu'il fût donné à la raison humaine d'atteindre. Le zèle des combattants est extrême; leur confiance ne connaît d'obstacles que les limites infranchissables posées par la main de la nature; aussi le génie vaincu en eux proclamera-t-il l'impuissance de l'esprit humain : « Il faut attendre que quelqu'un vienne nous instruire,» s'écriera Platon. Ce philosophe comprend que la morale, basée sur des principes invariables et d'un usage universel, ne peut émaner que de l'être absolu et ne peut être enseignée que par celui qui a une autorité suprême sur l'universalité des hommes, et dont la voix domine le tumulte des passions, le bruit des vagues et l'éclat de la foudre; il comprend qu'il faut que Dieu se fasse homme, et que le juste meure sur un gibet, victime de l'injustice des hommes. Paroles sublimes! Le génie affirme avec une douleur résignée l'impuissance de la raison (1). A qui le divin Platon eût-il, en effet, laissé la gloire de révéler la vérité, si cette révélation eût été du domaine de l'intelligence humaine? La foi est donc pour lui le fondement de la science.

(1) Nemo docebit, nisi Deus prius ei viam demonstraverit. (PLAT. Oper., t. III, p. 565.)

XXIV

Platon, né en 430 dans l'île d'Égine, comptait, par son père Cadmus, et par sa mère Solon au nombre de ses aïeux. Il visita les philosophes grecs, parcourut l'Égypte, s'attacha à Sechnupis, prêtre d'Héliopolis, et lut, à l'exemple de Pythagore, sur les colonnes de Mercure, une partie des idées philosophiques qu'il s'appropria (1). Non-seulement Josèphe (2), Justin (3), Clément d'Alexandrie (4), Théodoret et un grand nombre de savants, ont affirmé qu'il avait lu la Bible (5); mais ils l'ont accusé d'avoir été le plagiaire de Moïse. Le mot est dur et très-exagéré. Toujours est-il certain que Platon séjourna en Égypte en même temps qu'un grand nombre de Juifs, et qu'il n'était pas homme à laisser passer inaperçue l'idée des Juifs. Le génie saisit vite le génie n'est que la rapidité sûre du discernement, et Platon fut un homme de génie, ou il n'y en cut jamais. Cela suffit pour expliquer l'expression de son désir de révélation, sa haute théorie de l'idée, son Logos, Verbe de Dieu, son tableau du juste, très-semblable à celui d'Isaïe. La vérité dut frapper un esprit aussi pénétrant et aussi droit que le sien. Que Platon ait connu Jėrémie en Égypte, comme l'ont dit un grand nombre de savants, ou qu'il n'ait vécu que cent ans après ce prophète,

(1) Jamblique, Livre du mystère.

(2) Contr. Jub., lib. 1er.

(3) Contr. Apion., lib. II.

(4) Cité par Eusèbe.

Plusieurs fragments de la Bible avaient été traduits en grec avant l'expédition d'Alexandre. (ARISTOBULE, philosophe de l'école d'Aristote.)

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