Page images
PDF
EPUB

un droit de rachat, attendu qu'il y a eu mutation par le contrat de mariage.

pro

Pour examiner cette question, nous croyons qu'il faut expliquer ici en peu de mots l'origine et le grès de ce droit établi dans la plus grande partie de nos coutumes, que quand une femme qui est propriétaire d'un fief se marie, il y a mutation de vassal, et que le seigneur est bien fondé à demander un droit de relief.

Nous ne saurions attribuer la naissance de cette coutume qu'aux principes du droit romain, et à l'ancien usage des fiefs.

Les jurisconsultes ont appellé le mariage omnis divini et humani juris communicatio; ils ont cru que la femme passant sous l'autorité, sous le pouvoir du mari, ses biens devoient suivre la même destinée, et être réunis en quelque manière à ceux que le mari possédoit avant le mariage. Sans entrer ici dans une dissertation qui seroit peut-être plus curieuse qu'utile, touchant les différentes espèces de biens que pouvoit avoir une femme mariée; sans expliquer ce que c'étoit que les biens paraphernaux, et ceux que l'on appeloit bona receptitia, il est certain toujours que le mari devenoit le maître, le seigneur, le propriétaire de la dot, et que tous les biens acquis à une femme dans le temps de son mariage, étoient réputés dotaux, à moins que la femme ne les eût exceptés nommément, et qu'elle ne s'en fût réservée la disposition.

Le mari acquéroit donc une espèce de domaine sur la dot de sa femme, domaine introduit par une fiction de droit, et qu'on peut appeler un domaine civil, dont la durée étoit la même que celle du mariage, et qui revenoit à son état naturel aussitôt que le mariage étoit fini, ou par la mort, ou par le divorce: Legum subtilitate transitus rerum dotalium in patrimonium mariti fieri videtur, dit la loi 30, au Cod. de jure dot.

C'est une maxime si constante, qu'il seroit inutile de vouloir la prouver avec plus d'étendue.

Nous nous contenterons d'ajouter que cette ob servation suffit pour faire voir que ce n'est point la communauté qui sert de fondement aux prétentions des seigneurs dominans, puisqu'en pays de droit écrit, où tout le monde sait que le droit de communauté est inconnu, on ne laisse pas de soutenir qu'il y a mutation par mariage; que le mari acquérant le domaine des biens dotaux, devient le vassal, et qu'il est obligé de payer les droits seigneuriaux.

Notre usage a confirmé cette maxime; nous avons des coutumes qui en ont fait une loi expresse, et entr'autres celle de Tours en l'article 132 dit expressément, que lorsqu'une femme se marie, le mari doit un droit de rachat pour le fief qu'elle possédoit avant le mariage, soit qu'il y ait communauté, ou qu'il n'y en ait pas.

Et en effet, cette disposition de la loi est indépendante de la communauté, elle est fondée sur un droit plus ancien et plus inviolable, sur l'autorité du mari, sur la puissance que lui donne ce nom auquel la séparation de biens et l'exclusion de communauté ne sauroient donner atteinte.

Aussi tous nos auteurs ont cru que, sans examiner s'il y avoit communauté ou non entre les conjoints, le droit de relief étoit dû au seigneur. Ils en rendent une seconde raison tirée de l'ancien usage des fiefs. Personne n'ignore que le vassal étoit obligé de rendre certains services au seigneur, de le suivre à la guerre, de l'accompagner dans toutes les occasions dangereuses; et parce qu'il étoit impossible qu'une femme pût s'acquitter de tous ces devoirs que la qualité de vassal lui imposoit, il étoit nécessaire de considérer le mari comme le véritable vassal, et de l'engager, par ce titre, à rendre au seigneur tous les services que la femme ne pouvoit lui rendre.

Ainsi, soit que l'on considère les principes du droit romain, soit que l'on examine ceux de notre droit français, il est certain qu'indépendamment de la communauté, le seul nom de mariage, le domaine

qui est transféré en la personne du mari, la puissance qu'il acquiert sur la personne et sur les biens de sa femme, et enfin l'utilité du seigneur, conspirent également à établir la vérité de cette maxime, qu'il y a mutation par le contrat de mariage.

Cependant il faut avouer que ce principe reçoit deux exceptions considérables: l'une particulière à certaines coutumes, l'autre générale, et qui doit être observée partout le royaume.

La faveur du premier mariage, l'intérêt que le public peut avoir à y porter les citoyens, ont déterminé les rédacteurs ou les réformateurs de quelques coutumes, et entr'autres de celle de Paris, à les exempter de la prestation du relief; non que l'on crùt qu'il n'y eût point de mutation, mais parce que l'on a voulu faire une exception en considération des filles qui se marient pour la première fois.

Mais, parce que la même faveur ne se trouve pas dans les secondes, qu'elles sont au contraire odieuses aux législateurs, on les a soumises à la règle générale; on n'a pas cru qu'elles méritassent une exception particulière.

La plupart des coutumes, et celle de Montfort entr'autres, dont la disposition est absolument décisive dans cette cause, n'ont point admis cette distinction elles ont compris indifféremment tous les mariages dans la loi commune, qui donne un droit de rachat au seigneur.

:

La seconde exception est beaucoup plus considérable, parce que la raison de droit et d'équité qui l'a fait admettre est générale, et vos arrêts l'ont étendue à toutes les coutumes.

Lorsque, dans un contrat de mariage, il y a non-seulement exclusion de communauté, mais encore une clause expresse que la femme aura la libre disposition de son bien, qu'elle en jouira comme avant le mariage, que le mari ne fera point les fruits siens, on convient, pour lors, qu'il n'est dù aucun droit au seigneur. La seule raison qui lui fait accorder ce droit, est que l'on suppose qu'il y

a mutation par le contrat de mariage; mais il est visible qu'il ne peut y en avoir dans cette espèce.

Le mari ne peut acquérir par le mariage que, ou la propriété, ou la jouissance, ou l'administration des propres de sa femme; il n'acquiert aucun de tous ces droits dans le cas que nous venons de marquer.

Il ne devient point le maître ni le propriétaire du bien dotal, ni naturellement, ni civilement, puisqu'il est dit que la femme retiendra la libre disposition de son bien.

La jouissance ne lui est point acquise, puisqu'il ne fait point les fruits siens; il n'est pas même administrateur, puisque la femme se réserve la faculté d'administrer son bien; et, quand il le seroit, cette qualité ne nous paroîtroit pas suffisante pour établir une véritable mutation, puisque c'est une règle générale de notre droit français, marquée par M. Antoine Loysel, dans ses instituts coutumiers, qu'un simple administrateur, que celui qui ne fait pas les fruits siens, n'est point tenu ni de porter la foi et hommage, ni de payer aucun droit au seigneur.

Il est donc vrai de dire que, suivant l'expression de M. Charles Dumoulin, le domaine du bien dotal ne passe point dans cette espèce, in personam mariti, nec verè, nec fictè, nec interpretative.

Cette opinion, fondée sur les maximes du droit, a l'avantage d'avoir pour elle, et les sentimens des docteurs, et la jurisprudence des arrêts; et nous pouvons dire qu'il n'y a guères de question où les opinions des plus fameux auteurs soient moins partagées. Nous croyons que, sans la prouver par aucun raisonnement, il suffit de dire que Pontanus, Dumoulin, M. d'Argentré, Loiseau, Chopin, M. Louet et M. le Prestre, s'accordent tous d'un consentement unanime à dire qu'il n'y point de mutation dans cette espèce.

Tous les anciens et les nouveaux arrêts ont confirmé leur sentiment. Mediæ jurisprudentiæ aliter,

placuit; mais on a rectifié cette erreur, et l'on a rétabli par les derniers arrêts la pureté des maximes. Voyons maintenant quelle peut en être l'application à cette cause.

Le contrat de mariage dont il s'agit porte tous les caractères que nos auteurs demandent pour établir qu'il n'y a point de mutation; non-seulement on dit précisément que les futurs conjoints ne seront point communs en biens, on ajoute que les biens demeureront propres à chacun des conjoints, sans que l'autre y puisse rien prétendre. Ce n'est pas tout; on ajoute que la femme aura la libre administration, la libre disposition de son bien. Si l'on veut que son mari l'autorise, ce n'est que pour l'aliénation de ses propres, et pour procéder en justice, et c'est plutôt un conseil qu'on lui donne pour la conservation, pour l'amélioration de ses biens, qu'une nécessité qu'on lui impose. Ainsi, on a satisfait à ce que les docteurs prescrivent en pareilles occasions; on a exclu tout droit de communauté on a laissé à la femme la disposition de ses propres, sans que le mari puisse y rien prétendre; il est donc privé et de la jouissance et de l'amdinistration; il n'est point devenu vassal du seigneur dominant ; il n'y a point de mutation, par conséquent le seigneur ne sauroit prétendre aucun droit de relief.

Il ne nous reste qu'une seule clause qui pourroit faire quelque difficulté : le mari s'engage à nourrir sa femme, donc, dit-on, il fait les fruits siens. On peut en conclure plutôt que les fruits ne lui étoient pas acquis; car s'ils eussent dû lui appartenir, à quoi auroit servi de marquer, par une clause particulière, une charge qui auroit été imposée de droit comme une suite de la jouissance des fruits.

Mais, sans entrer dans ces raisons de droit, il nous paroît, dans le fait, qu'il est difficile de répondre à une des fins de non-recevoir qu'on oppose à l'intimé.

Nous ne nous arrêterons point à ce que l'on dit, D'Aguesseau. Tome I.

23

« PreviousContinue »