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Je m'empresse de déclarer qu'il en est plusieurs, auxquelles je tiens, par ce que je ne leur dois pas, seul : l'estime, l'affection, le respect; et j'espère qu'on n'admettra pas que j'aie choisi le moment d'une persécution politique, pour manquer envers eux à mes propres sentimens.

Autre chose est le jugement de l'histoire, ou ce qu'on croit tel, sur un gouvernement; autre chose serait la réprobation de ceux qui sont entrés, ou qui se sont trouvés dans ce gouvernement.

Nous aurions dû, au moins, apprendre de toutes nos révolutions, qu'elles sont des forces majeures, qui emportent les hommes; et que ce n'est pas seulement une indulgence, où tous sont intéressés; que c'est encore le bon sens, qui nous prescrit de n'y juger personne, sans la considération de toutes les circonstances, qui ont pu peser sur sa conduite.

Comment aurais-je fait cette méprise, puisque l'écrit, dont je crois devoir suspendre la publication, est spécialement des tiné à relever, non-seulement la France, mais l'Europe, de l'abjection d'un joug

:

aussi extraordinaire? Ce qui ne se pouvait que par une étude approfondie de toutes les causes. J'y pose cette règle, où chacun peut se retrouver, comme il lui convient qu'aujourd'hui nous n'avons plus qu'une manière de nous apprécier : c'est de voir ce que nous étions, avant le règne de Napoléon; et ce que nous sommes, depuis. Je ne connais plus de Bonapartistes, que ceux qui, y croyant ou n'y croyant pas, se font encore un moyen de fortune des doctrines serviles; et par elles, prolongent les habitudes serviles, notre dernier danger notre dernière honte; notre dernière inconséquence même, dans le régime libéral, qui nous est maintenant assuré.

J'éprouve une peine, encore plus vive, à ne pouvoir, dès ce moment, manifester mon opinion sur l'armée française, qui entrait dans le cadre de mon écrit supplémentaire. Je voulais, le premier, offrir à son malheur, mon sincère hommage. Mais n'aurais-je pas à me féliciter de n'avoir plus à prendre ma part dans la justice qui lui est due, qu'à la suite de tous ceux, ministres ou représentans, qui débattent les inté

rêts publics dans nos tribunes nationales? Si ces illustres guerriers ne se jugeaient pas en dehors des accusations contre une abominable tyrannie, j'oserai le dire, ce seraient eux-mêmes, qui se feraient injure. Une armée reçoit nécessairement sa direction, son esprit, ses devoirs même du gouvernement, auquel elle appartient. Telle est, non pas l'excuse, mais l'honorable principe du dévouement que la nôtre a tant signalé pour son chef. Ce qu'elle conserve, après la chute de son chef, c'est d'avoir été, sous tous les aspects, la plus belle armée, parmi les armées anciennes et modernes ; celle à qui il est à désirer qu'aucune ne puisse jamais être comparée : car malheur au monde, si une autre conquête du monde devait se reproduire! Une chose la relèvera toujours, dans sa catastrophe, sans exemple, comme ses exploits; c'est la manière, dont elle l'a acceptée, et celle dont elle la supporte; c'est le caractère, éminemment patriotique, qu'elle a repris, lorsque, rendue à elle-même, elle s'est retrouvée dans ses inclinations originaires. Un pays, qui a une telle armée, dispersée parmi ses ci

toyens, est sûr de sa liberté au dedans et de sa dignité au dehors. Il lui convient aujourd'hui de livrer son ancien chef à la justice de la patrie, dont il lui fut donné de faire sa proie, pour l'oppression du genre

humain.

Comment se fait-il que le désir de ne rien choquer d'honnête en soi, me conduit à une sorte de justification de mes deux portraits de Bonaparte? Personne ne veut plus de lui; et beaucoup en pensent encore, comme s'il y avait à le regretter! Nous en avons reçu, et au-delà des bornes connues, tous les outrages, tous les maux; il importe à l'humanité entière, que l'exécration reste seule à l'usage qu'il a fait d'une telle fortune, d'une telle puissance; et on invoque, le respect du malheur, pour celui qui traita toujours sans pitié, et avec le plus insolent mépris, la nation, qui lui avait confié, pour les assurer, le dépôt de ses destinées! Que ceux qui avaient près de lui ou sous lui, des places, des rangs, de riches avantages, s'imposent envers lui le silence : voilà ce qui est convenable. Mais ils n'ont ni blâme, ni plaintes à exercer envers ceux, qui, comme moi, ayant

voulu et ayant pu échapper à ses faveurs, se font aujourd'hui, un devoir, de protester, d'après leurs anciens principes, contre le funeste penchant des hommes, à se laisser éblouir à ces crimes fameux, qui ont écrasé et avili les peuples.

Tout tient ici à une circonstance, qu'on n'a pas encore observée : si Napoléon avait péri par une révolte de ses armées, ou par une insurrection nationale, comme il y avait lieu, chacun adhérerait au jugement que j'en porte. Mais il a péri, deux fois, au sein de deux invasions de la France; de deux représailles de l'Europe; et dans le profond accablement de nos souffrances, de nos humiliations, l'aveuglement populaire, le retrouvant dans le désastre public, lui en fait grâce, comme s'il n'en était pas l'unique cause!

C'est là une de ces funestes associations d'idées, pareille à celle qui nous avait fait abandonner les meilleurs principes de la révolution, par l'horreur des abominatious, qui vinrent la dénaturer. On se méprend aujourd'hui, sur le mal, comme, auparavant, on s'était détaché du bien.

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