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pour la gloire de son auteur. C'est M. de Malesherbes (*).

A ce nom, tout mon coeur se brise. Je vois tomber sous la main d'un bourreau, cette tête où fut conçue la seule pensée, qui

(*) Il devait cette grande vérité à la nation, autant qu'au roi ; il prit pour un devoir de la retenir dans le secret de l'amitié, le rebut qu'elle essuya dans une cour; et c'est peut-être la seule erreur de ce grand homme. Je ne connais plus que M. de la Luzerne, évêque de Langres, neveu de M. de Malesherbes, qui puisse avoir connaissance de ce mémoire, remis an roi dans une audience particulière, avant la demande des états-généraux par le parlement.

Quant à moi, non-seulement je l'ai lu plusieurs fois; mais je l'ai vu composer; M. de Malesherbes l'a écrit à la terre de Verneuil, chez madame de Sénosan, l'une de ses sœurs, où j'allais souvent. Je me rappelle encore d'avoir accompagné M. de Malesherbes de Verneuil à Versailles, le jour où il alla remettre son mémoire au roi. Enfin, je me rappelle que, plusieurs mois après, M. Necker, rentré au ministère, comme principal ministre, me pria de lui obtenir une communication du mémoire ; que l'un me l'a confié, pour cette destination; et que l'autre me l'a rendu, pour la remise. On doit croire, et je crois moi-même, que l'esprit et les couleurs en étaient moins tranchées, que dans mon analyse. Mais tel était le fond.

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sauvait la France, par sa révolution même! Et avant de mourir, combien d'angoisses dans son cœur! Ce roi, qu'il avait voulu combler d'un bonheur et d'une gloire, inconnus sur les trônes, il n'avait pu l'arracher à l'échafaud cette patrie, où, la première, sa voix courageuse avait sollicité de sages réformes, il l'avait vue ravagée par une innovation sans frein; et en proie à un régime de terreur, dont il ne lui fut pas accordé d'entrevoir la chute prochaine ! Je le vois frappé à côté de ses vieux serviteurs; entre sa sœur et son gendre; dans les bras de sa fille et de sa petite-fille! Accumulation de férocités inouies, réservées pour lui seul, dans ces jours atroces! Mais, comme sa mort fut un crime à part, elle eut un effet à part c'est par elle qu'il fut constaté qu'on allait à l'extermination de la vertu ; et cette impression, reçue jusque dans les hommes les plus grossiers, fut une de celles qui accomplirent le plus puissamment la délivrance de thermidor.

Vénérable Malesherbes, entends du fond du tombeau, reconnais la voix d'un ami, que tu daignas honorer d'une confiance in

de

time; que ce soit lui qui apporte à tes månes l'expiation de la génération entière; qu'il t'apprenne que ton nom sera désormais, parmi nous, celui de la celui de la sagesse, du courage, la vertu sans tache, du génie protecteur des empires. C'est devant l'image de ton supplice, que j'ai parlé d'amnistie; et mon cœur se soulève contre ce vœu de ma raison. Mais je te vois, je t'entends: La paix dans ma patrie, la paix à tout prix; qu'elle soit la rançon de mon sang, de celui des miens, de celui de mes amis; de celui de tant d'honorables Français. Génie tutélaire des gens de bien, je recueille donc encore de toi une parole, digne d'être transmise, comme un devoir, à tous nos concitoyens. Amnistie donc, puisqu'il le faut, puisque tu le veux; que les lois se refusent à des vengeances, qu'elles ne pourraient remplir; et que leur clémence crée le remords dans ces coeurs, qui n'avaient plus rien d'humain!

Confident de ta haute pensée sur le cours de nos événemens, je la gardais dans ma mémoire, comme un dépôt religieux ; j'attendais le retour de la raison publique, pour la révéler. Elle m'a inspiré dans l'é

poque où nous sommes; elle a développé dans mon esprit une vue, qui part du même principe, et va au même but. Je t'en dois l'hommage; je la mets sous la protection de ta gloire.

Ombre sacrée, je t'implore; reprends ton courage, auguste vieillard. Ne répugne pas d'apparaître encore à ce parti, sous le règne duquel tu marchas à un échafaud; complaistoi encore à un service pour cette nation, qui te fut si chère. Viens leur dire : Les nations périssent, quand elles entrent dans un grand événement, sans avoir, à l'avance, conjuré ce qu'il a de sinistre. O Français de tous les partis, êtes-vous assez sûrs de bien manoeuvrer dans la tempête, pour ne pas chercher un port, à l'approche de l'orage! J'ai vu, dans les jours de sa détresse et de son héroïque piété, cet enfant proscrit de tant de rois, cette victime consacrée de votre révolution, qui avait eu le malheur de repousser mon conseil, accabler mon cœur de son profond regret. Tremblez de tomber dans des catastrophes, où celui qu'on vous donne, vous reviendrait aussi, comme un repentir!

NAPOLÉON BONAPARTE.

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OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES,

Je m'étais proposé de placer, après les deux portraits, qu'on va lire, un discours, intitulé: Considérations sur les deux règnes de Bonaparte. Mais le sujet m'ayant conduit à creuser dans des faits, à offrir des principes et des vues, sur lesquels il me paraît que le moment utile de la pleine vérité n'est pas loin, mais aussi n'est pas encore arrivé, je crois devoir en différer la publication. Je m'interdirai toujours l'honneur du courage, lorsque l'évidence d'un service public n'en sera pas l'unique et pur motif.

Je regrette, à plusieurs égards, de ne pouvoir faire lire cet écrit, à la suite des deux portraits il m'aurait dispensé des explications, que je vais donner ici.

On pourrait supposer que j'ai entendu dénigrer toutes les personnes, qui ont tenu, de près ou de loin, à ce gouvernement.

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