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Monfieur, vôtre homme arrive, je l'ai vû à

trois lieuës d'ici, où a couché le coche; & dans la cuisine où il eft defcendu pour déjeûner, je l'ay étudié une bonne groffe demi-heure, & je le fçay deja par cœur. Pour fa figure, je ne veux point vous en parler, vous verrez de quel air la nature l'a deffiné, & fi l'ajustement qui l'accompagne y répond comme il faut : mais pour fon Efprit, je vous avertis par avance qu'il eft des plus épais qui fe faffent; que nous trouvons en lui une matiére tout-à-fait difpofée pour ce que nous voulons, & qu'il eft homme enfin à donner dans tous les panneaux qu'on lui préfentera.

ERAST E.

Nous dis-tu vrai?

SBRIGANI.
Ouy, fi je me connois en gens.

NERINE.

Madame, voilà un Illuftre, vôtre affaire ne pouvoit être mise en de meilleures mains, & c'eft le Héros de nôtre fiécle pour les exploits dont il s'agit. Un homme qui vingt fois en fa vie, pour fervir fes amis, a généreufement affronté les Galeres ; qui au péril de fes bras & de fes épaules, fçait mettre noblement à fin les avantures les plus difficiles, & qui, tel que vous le voyez, eft exilé de fon Païs pour je ne fçay combien d'actions honorables qu'il a généreufement entreprises.

SBRIGANI.

Je fuis confus des louanges dont vous m'honorez, & je pourrois vous en donner avec plus de juftice fur les merveilles de vôtre vie; & principalement fur la gloire que vous acquîtes, lors qu'avec tant d'honnêteté vous pipâtes au jeu, pour douze

mille écus, ce jeune Seigneur étranger que l'on me na chez vous; lorfque vous fites galamment ce faur contract qui ruïna toute une famille; lors qu'avec tant de grandeur d'ame vous fçutes nier le dépot qu'on vous avoit confié; & que fi généreufement on vous vit prêter vôtre témoignage à faire pendre ces deux perfonnes qui ne l'avoient pas mérité.

NERINE.

Ce font petites bagatelles qui ne valent pas qu'on en parle, & vos éloges me font rougir,

SBRIGANI.

Je veux bien épargner vôtre modeftie, laiffons cela; & pour commencer nôtre affaire, allons vite joindre nôtre Provincial, tandis que de vôtre côté vous nous tiendrez prêts au befoin les autres Acteurs de la Comédie.

ERASTE.

Au moins, Madame, fouvenez-vous de vôtre rôle; & pour mieux couvrir nôtre jeu, feignez,comme on vous a dit, d'être la plus contente du mon de des réfolutions de vôtre Pere...

JULIE.

S'il ne tient qu'à cela, les chofes iront à merveille. FRAST E.

Mais, belle Julie, fi toutes nos Machines venoient à ne pas réaffir?

JULIE.

Je déclarerai à mon Pere mes véritables fenti

mens.

ERAST E.

Et fi contre vos fentimens il s'obtinoit à for deffein ?

JULIE.

Je le menaçerois de me jetter dans un Couvent.

ERAST E.

Mais fi malgré tout cela il vouloit vous forcer à ce mariage?

JULIE.

Que voulez.vous que je vous dife?

ERAST E.

Ce que je veux que vous me difiez?
JULIE.

Ouy.

ER A

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Que rien ne pourra vous contraindre, & que malgré tous les efforts d'un Pere, vous me promettez

d'être à moi.

JULIE.

Mon Dieu, Erafte, contentez-vous de ce que je fais maintenant, & n'allez point tenter fur l'avenir es refolutions de mon coeur ne fatiguez -point mon devoir par les propofitions d'une fâcheufe extremité, dont peut-être n'aurons-nous pas befoin; ^& s'il y faut venir, fouffrez au moins que j'y fois entrainée par la fuite des chofes.

Eh bien....

ERAST EI?

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ASBRIGANI. A

Ma foi, voici nôtre homme, fongcons à nous.

NERINE.

Ah comme il eft bâti!

SCENE III.

M. DE POURCEAUGNAC, SBRIGANI.

M. DE POURCEAUGNAC, se tourne du côté d'où il vient, comme parlant à des gens qui le fuivent.

H

E' bien, quoy? qu'eft-ce ? qu'y a-t-il ? Au diantre foit la fotte & les fottes gens qui y font: ne pouvoir pas fans trouver des nigauds qui vous regardent, & fe mettent à rire! Eh, Meffieurs les Badauts, faites vos affaires, & laiffez paffer les perfonnes fans leur rire au nez. Je me donne au diable, fije ne baille un coup de poing au premier que je verrai rire.

SBRIGANI.

Qu'est-ce que c'cft, Meffieurs? que veut dire cela? à qui en avez-vous? faut-il fe moquer ainfi des honnêtes étrangers qui arrivent ici ?

M. DE POURCEAUGNAC.

Voilà un homme raisonnable celui-là.

Tom. III.

PPP

SBRI

POURCEAUGNAC

Quel procedé eft-le vôtre? & qu'avez-vous à rire? M. DE POURCEAUGNAC.

Fort bien.

SBRIGANI.

Monfieur a-t-il quelque chofe de ridicule en foi ?
M. DE POURCEAUGNAC.

Ouy.

SBRIGANI.

Eft-il autrement que les autres ?

M. DE POURCEAUGNAC.

Suis-je tortu, ou boffu?

SBRIGANI.

Apprenez à connoître les gens.

M. DE POURCEAUGNAC.

C'est bien dit.

SBRIGANI

Monfieur eft d'une mine à refpecter.

M. DE POURCEAUGNAC.

Cela eft vrai.

SBRIGANI.

Perfonne de condition.

1

M. DE POURCEAUGNAC.

Ouy, Gentilhomme Limofin.

SBRIGAN I.

Homme d'efprit.

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M. DE POURCEAUGNAC.

Qui a étudié en Droi&t.

SBRIGANI.

Il vous fait trop d'honneur, de venir dans vôtre

ville.

M. DE POURCEAUGNA C.

Sans doute.

SBRIGAN I.
Monfieur n'eft point une perfonne à faire rire.
M. DE POURCEAUGNAC.

Affurément.

SBRIGANI.
Et quiconque rira de lui aura affaire à moi..

M. DE POURCEAUGNAC.
Monfieur, je vous fuis infiniment obligé
SBRIGAN I.

Je fuis fâché, Monfieur, de voir recevoir de la

forte

forte une perfonne comme vous, & je vous demande pardon pour la ville.

M. DE POURCEAUGNAC.

Je fuis vôtre ferviteur.

SBRIGANI.

Je vous ay veu ce matin, Monfieur, avec le Coche, lors que vous avez dejeuné; & la grace avec laquelle vous mangiez vôtre pain, m'a fait naître d'abord de l'amitié pour vous: Et comme je fçay que vous n'étes jamais venu en ce Païs, & que vous y étes tout neuf, je fuis bien aife de vous avoir trouvé pour vous offrir mon fervice à cette arrivée, & vous aider à vous conduire parmi ce peuple, qui n'a pas parfois, pour les honnêtes gens, toute la confideration qu'il faudroit.

M. DE POURCEAUGNAC.
C'est trop de grace que vous me faites.

SBRIGANI.

Je vous l'ay déja dit; du moment que je vous ay veu, je me fuis fenti pour vous de l'inclination. M. DE POURCEAUGNAC.

Je vous fuis obligé.

SBRIGANI..
Votre phyfionomie m'a plu

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M. DE POURCEAUGNAC.
Ce m'eft beaucoup d'honneur.

SBRIGANI.

J'y ay veu quelque chofe d'honnête.

M. DE POURCEAUGNAC:

Je fuis vôtre ferviteur.

SBRIGANI.

Quelque chofe d'aimable.

*།

M. DE POURCEAUGNAC.

M

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