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délibérative & décifive fur les fpectacles, fe cantonnent auffi, & fe divifent en des partis contraires, dont chacun, pouffé par un tout autre intérêt que par celui du public ou de l'équité, admire un certain poëme ou une certaine mufique, & fiffle tout autre. Ils nuifent également, par cette chaleur à défendre leurs préventions, & à la faction oppofée & à leur propre cabale : ils découragent par mille contradictions les poëtes & les muficiens, retardent le progrès des fciences & des arts, en leur ôtant le fruit qu'ils pourroient tirer de l'émulation, & de la liberté qu'auroient plufieurs excellens maîtres de faire, chacun dans leur genre & se=

lon leur génie, de très-beaux ou

vrages.

9.

D'où vient que l'on rit fi librement au théâtre, & que l'on a honte d'y pleurer? Eft-il moins dans la nature de s'attendrir fur le pitoyable, que d'éclater fur le ridicule? Eft-ce l'altération des traits qui nous retient? Elle eft plus grande dans un ris immodéré, que dans la plus amère douleur; & l'on détourne fon visage pour rire comme pour pleurer, en la présence des grands & de tous ceux que l'on refpecte. Eft-ce une peine que l'on fent à laiffer voir que l'on eft tendre, & à marquer quelque foibleffe, furtout en un fujet faux & dont il

femble que l'on foit dupe? Mais, fans citer les perfonnes graves ou les efprits-forts, qui trouvent du foible dans un ris exceffif comme dans les pleurs, & qui fe les défendent également, qu'attend-on d'une fcène tragique ? qu'elle faffe rire? Et d'ailleurs la vérité n'y règne-t-elle pas auffi vivement par fes images, que dans le comique? L'ame ne va-t-elle pas jufqu'au vrai dans l'un & l'autre genre avant que de s'émouvoir? Eft-elle même fi aifée à contenter? ne lui faut-il pas encore le vraisemblable? Comme donc ce n'est point une chofe bifarre d'entendre s'élever de tout un amphithéâtre un ris univerfel fur quelque endroit d'une comédie, &

que cela fuppofe au contraire qu'il eft plaifant & très-naïvement exécuté; auffi l'extrême violence que chacun fe fait à contraindre fes larmes, & le mauvais ris dont on veut les couvrir, prouvent clairement que l'effet naturel du grand tragique feroit de pleurer tout franchement & de concert, à la vue l'un de l'autre, & fans autre embarras que d'effuyer fes larmes : outre qu'après être convenu de s'y abandonner, on éprouverait encore qu'il y a fouvent moins lieu de craindre de pleurer au théâtre, que de s'y morfondre.

10.

Le poëme tragique vous ferre

le cœur dès fon commencement;

vous laiffe à peine, dans tout fon progrès, la liberté de refpirer & le tems de vous remettre; ou, s'il vous donne quelque relâche, c'est

pour vous replonger dans de nouveaux abîmes & dans de nouvelles alarmes. Il vous conduit à la terreur par la pitié, ou réciproquement à la pitié par le terrible; vous mène par les larmes, par les fanglots, par l'incertitude, par l'efpérance, par la crainte, par les furprises & par l'horreur, jusqu'à la catastrophe.

II.

Corneille ne peut être égalé dans les endroits où il excelle: il a pour lors un caractère original & inimi

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