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⚫ Sans morgue, sans exaltation, elle a soutenu son interrogatoire avec un calme qui étonnait ses juges et l'auditoire, et dans le moment même qui devait lui rappeler l'époque d'une dissolution prochaine, la plaisanterie s'échappait de sa bouche avec tant de facilité, que l'observateur le plus froid se sentait indigné du peu d'intérêt qu'elle prenait à elle-même. — Dans la charrette qui la menait à l'échafaud, sur l'échafaud même, ses mouvemens avaient cet abandon voluptueux et décent qui est audessus de la beauté, et que l'art n'imite jamais, sans trouver le ridicule. Elle a placé elle-même sa tête que la hache terrible a séparéé. Un profond silence regnait. L'exécuteur, en montrant cette tête, l'a frappée de la main. Un murmure presque universel du peuple a sanctionné cet adage:

La loi punit et ne se venge pas.

> La tête alors était pâle, mais d'une beauté parfaite. L'exécuteur l'ayant montrée une seconde fois, alors le sang extravasé lui avait rendu ses plus belles couleurs..... Des cris de Vive la nation, vive la République, se sont fait entendre, et chacun s'est retiré, emportant le profond sentiment de son horrible forfait, et le souvenir de son courage et de sa beauté. »

Le lendemain du jour où cet article parut, Roussillon, juré du tribunal, écrivit aux rédacteurs de la Chronique la lettre sui

vante :

⚫ CITOYENS, après que le glaive de la loi eut frappé l'assassin de Marat, le nommé Legros, l'un des aides pour l'exécution, ayant saisi la tête pour la montrer au peuple, se permit d'appliquer plusieurs soufflets sur la face de cette tête inanimée qui n'était plus coupable. Cet acte de barbarie fut improuvé par le peuple, et le citoyen Michonis, administrateur de police, ne put s'empêcher de donner une correction à cet homme qui, s'il n'est pas barbare, commit une lâcheté. Le tribunal, instruit de cette indécence, a cru devoir donner une leçon au citoyen Legros, en le mettant en prison, et se propose de lui faire une remontrance coram populo. J'ai cru devoir faire connaître cet acte de justice

au public qui, toujours grand, toujours juste, approuvera ce que l'Ami du Peuple eût approuvé lui-même s'il eût survécu à sa blessure. Il était trop grand pour approuver une pareille bassesse; il savait, et tout le monde doit savoir que quand le crime est puni, la loi est satisfaite. Quelques personnes trompées ont cru que c'était l'exécuteur lui-même qui avait commis cette faute; c'est une erreur : Samson est un très-bon citoyen, et trop instruit pour donner dans un pareil travers; il en fut au contraire très-affligé. Salut et fraternité. ROUSSILLON.

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Tous les historiens qui ont parlé de Charlotte Corday l'ont fait avec les sentimens qui inspirèrent le rédacteur de la Chronique de Paris. Ils vantent la beauté de cette femme, son sangfroid, son courage, son désintéressement; quant à son crime, c'est à peine s'ils y arrêtent un instant leur lecteur, encore est-ce pour l'attribuer au malheur des temps, sinon pour en imputer toute la responsabilité à la victime elle-même. L'assassinat politique n'est cependant pas un acte que la morale ne puisse ni ne doive juger; pour cette question, comme pour la plus petite de celles qui intéressent la société humaine, elle a des solutions certaines, des arrêts infaillibles. L'assassinat est un crime, voilà la règle, et nul ne doit être admis, dans aucun cas possible, à prouver qu'il est une action louable, car des règles de cette espèce ne comportent pas la moindre exception devant la justice des hommes. Dieu seul connaît et discerne les exceptions. Celui donc qui commet un assassinat politique se rend coupable d'un scandale qu'il ne répare personnellement aux yeux de la société qu'en reconnaissant son forfait, et qu'en invoquant la peine attachée à ce forfait, qu'en se donnant ou en recevant la mort. Alors la question est portée au tribunal de Dieu entre celui qui a frappé et celui qui a été frappé. Là, l'assassin ne peut encore se. présenter qu'avec effroi; car, en supposant que son dévouement ait été absolu, c'est-à-dire qu'il ait sacrifié son honneur et sa vie, reste encore à savoir s'il n'a pas été un ignorant et un présomptueux, s'il n'a pas mal jugé l'opinion qu'il a condamnée, le pouvoir qu'il a voulu détruire, la circonstance où il a agi, le ré

sultat de son acte pour l'opinion qu'il professe lui-même. — Que sera-ce donc si un assassin vante son crime, s'il élève des prétentions à la reconnaissance publique et à la gloire, s'il n'a renoncé, dans le fond de son cœur, ni à sa réputation, ni à sa vie? Or, telle se montra Charlotte Corday. Il est douteux seulement qu'elle ait eu la force de l'orgueil, car, dans son interrogatoire et dans sa lettre à Barbaroux, elle laissa entrevoir toutes les faiblesses de la vanité. Son portrait la préoccupait, et elle posa devant ses contemporains. Qu'on lise attentivement cette lettre à Barbaroux qu'un historien appelle « une lettre charmante, pleine d'esprit et d'élévation, et l'on se convaincra qu'il n'y a de vrai, ni de senti que les plaisanteries: tous les mots sérieux sont faux. Que voulait dire cette jeune fille qui n'avait pas de religion, et qui ne croyait pas en Dieu, lorsqu'elle écrivait : « Ceux qui me regretteront se réjouiront de me voir dans les Champs-Élysées avec Brutus et quelques anciens; car les modernes ne me tentent pas. Elle voulait paraître, et ce désir fut même plus puissant que ses véritables opinions politiques, car, selon Wimpfen et Bougon, elle était royaliste, et elle confessa le républicanisme des Girondins. C'était, en effet, à ceux-ci qu'elle avait engagé son honneur ne s'était-elle pas promis de faire repentir Pétion du soupçon qu'il avait manifesté sur ses sentimens? La manière dont elle mourut s'explique également par sa vanité, à laquelle vint en aide l'influence de l'exemple, à une époque où, comme le dit Toulongeon, tous les condamnés allaient à la guillotine avec une tranquille assurance. » Le moyen qu'elle employa pour arriver auprès de Marat fut d'une hypocrisie si basse et si lâche qu'il eût invinciblement répugné à une ame quelque peu honnête. Quant à son désintéressement, il est tout entier dans cette réponse de son interrogatoire : « Mon intention était de faire cesser les troubles, et de passer en Angleterre si je n'eusse pas été arrêtée. Elle espérait donc pouvoir s'échapper, et ses démarches étaient tellement calculées dans ce but, que si Marat n'eût proféré aucun cri, elle sortait de chez lui comme elle y était entrée. Nous avons cru devoir apprécier sévèrement, au nom de la

T. XXVIII.

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morale sociale, une femme dont quelques historiens exaltent encore de nos jours l'abnégation, le courage et la sérénité d'ame. Il ne leur était permis de louer que sa beauté. Ils ont soutenu pareillement que les girondins du Calvados n'étaient point ses complices. Le contraire ressort évidemment de la notice de Wimpfen, dont le témoignage ne saurait être suspect.

Le lendemain de la mort de Marat, plusieurs sections se présentèrent à la barre de la Convention nationale pour déplorer cet événement. Son corps fut embaunié et exposé dans l'église des Cordeliers (1). « J'ai cru, dit David, à la séance du 15 juillet, que la meilleure manière de faire son éloge était de le montrer à ses concitoyens dans la même attitude où je l'avais surpris vendredi ; je le plaçai donc dans son bain, une seule main au-dessus de l'eau, tenant une plume; et à côté de lui un billet sur lequel est une feuille de papier. (Journal de Paris, n. CXCVII. ) Marat avait une maladie de la peau qui empêchait que l'on pût découvrir certaines parties de son corps. Sa chemise sanglante fut mise sous les yeux du peuple. Les sections se succédèrent autour de ses dépouilles jusqu'au moment de ses funérailles. Nous lisons dans le Journal de la Montagne, n. XLVII : « Plusieurs sections ont été jeter des fleurs ur le corps de Marat. Celle de la République a été la première. Son orateur a parlé ainsi :

« Il est mort l'ami du peuple!.... Il est mort assassiné !... Ne > prononçons point son éloge sur ses restes inanimés. Son éloge > c'est sa conduite, ses écrits, sa plaie sanglante, et sa mort.... › Le peuple vient jeter des fleurs sur sa tombe. La consternation › du peuple, sa douleur muette, ses larmes, les honneurs que › vous rendez à sa mémoire : voilà le plus éloquent, le plus su› blime de tous les éloges.

› Citoyennes, jetez des fleurs sur le corps pâle de Marat ; il > fut notre ami; il fut l'ami du peuple; c'est pour le peuple qu'il

(1) Cette église occupait l'emplacement actuel de nouvelle Clinique de l'École de Médecine. (Note des auteurs.)

› a vécu, c'est pour le peuple qu'il est mort. (Ici les citoyennes jettent en silence des fleurs sur le corps.

>

Citoyens, nous venons de payer à la nature et à la reconnais>sance le tribut que nous lui devions; nous venons de pleurer › la mort de l'ami du peuple. Si l'ombre de Marat est encore > susceptible de sentimens, elle a tressailli de joie à la vue de vos > regrets; elle a goûté, en voyant couler vos larmes, la plus dé>licieuse de toutes les récompenses. Mais sa grande ame, tou› jours enflammée de l'amour de la République, attend de vous › d'autres honneurs, des hommages plus dignes de lui, plus › dignes de vous, plus dignes de vrais républicains. Il me > semble la voir, cette ame magnanime, toujours enflammée de › l'amour de la patrie, sortir de sa plaie sanglante; il me semble > l'entendre vous dire dans son langage énergique: Républi› cains, cessez vos pleurs; mettez un terme à vos regrets : c'est > aux esclaves à se lamenter; le républicain ne verse qu'une > larme c'est sur les malheurs de sa patrie, et il songe à la

› venger.

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› Ce n'est pas moi qu'on a voulu assassiner, c'est la République. Ce n'est pas moi qu'il faut venger, c'est la patrie..... > Que le sang de Marat devienne une semence d'intrépides républicains; que son courage, son intrépidité, son énergie, › passent dans toutes vos ames; que les traîtres épouvantés ne voient autour d'eux que des amis du peuple et des vengeurs › de la patrie. Oui, citoyens, voilà ce que vous dit l'ame de › Marat; voilà l'hommage que vous devez rendre à sa mémoire, la vengeance qu'il attend de vous.... O Marat, ame rare et › sublime, nous t'imiterons, nous écraserons tous les traîtres; › nous vengerons ta mort à force de courage et à force de vertu. › Nous le jurons sur ton corps sanglant, sur le poignard qui te › perça le sein...... Nous le jurons!! »

La société des Jacobins consacra à l'Ami du Peuple sa séance tout entière du 14 juillet. Thirion parla longuement des dangers que couraient la plupart des patriotes, et raconta l'anecdote suivante qui lui était personnelle : Dernièrement une femme

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