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en jouit moins que l'on n'aspire encore à de plus grands.

Il y a des maux effroyables et d'horribles malheurs où l'on n'ose penser, et dont la seule vue fait frémir: s'il arrive que l'on y tombe, l'on se trouve des ressources que l'on ne se connoissoit point, l'on se roidit contre son infortune, et l'on fait mieux qu'on ne l'espéroit.

Il ne faut quelquefois qu'une jolie maison dont on hérite, qu'un beau cheval, ou un joli chien dont on se trouve le maître, qu'une tapisserie, qu'une pendule, pour adoucir une grande douleur, et pour faire moins sentir une grande perte.

Je suppose que les hommes soient éternels sur la terre, et je médite ensuite sur ce qui pourroit me faire connoître qu'ils se feroient alors une plus grande affaire de leur établissement, qu'ils ne s'en font dans l'état où sont les choses.

Si la vie est misérable, elle est pénible à supporter; si elle est heureuse, il est horrible de la perdre: l'un revient à l'autre.

Il n'y a rien que les hommes aiment mieux à conserver, et qu'ils ménagent moins, que leur propre vie.

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Irène se transporte à grands frais en Épidaure,

On prétend qu'un médecin tint ce discours à madame de Montespan aux eaux de Bourbon, où elle alloit souvent pour des maladies imaginaires.

voit Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux. D'abord elle se plaint qu'elle est lasse et recrue de fatigue; et le dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu'elle vient de faire: elle dit qu'elle est le soir sans appétit ; l'oracle lui ordonne de dîner peu: elle ajoute qu'elle est sujette à des insomnies; et il lui prescrit de n'être au lit que pendant la nuit: elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède; l'oracle répond qu'elle doit se lever avant midi, et quelquefois se servir de ses jambes pour marcher : elle lui déclare que le vin lui est nuisible; l'oracle lui dit de boire de l'eau qu'elle a des indigestions; et il ajoute qu'elle fasse diéte. Ma vue s'affoiblit, dit Irène : prenez des lunettes, dit Esculape. Je m'affoiblis moi-même, continue-t-elle, et je ne suis ni si forte ni si saine que j'ai été : c'est, dit le dieu, que vous vieillissez. Mais quel moyen de guérir de cette langueur? le plus court, Irène, c'est de mourir, comme ont fait votre mère et votre aïeule. Fils d'Apollon, s'écrie Irène, quel conseil me donnezvous? Est-ce là toute cette science que les hommes publient, et qui vous fait révérer de toute la terre? Que m'apprenez-vous de rare et de mystérieux? Et ne savois-je pas tous ces remèdes que vous m'enseignez? Que n'en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage?

La mort n'arrive qu'une fois, et se fait sentir à tous les moments de la vie : il est plus dur de l'appréhender que de la souffrir.

L'inquiétude, la crainte, l'abattement, n'éloignent pas la mort; au contraire : je doute seulement le ris excessif convienne aux hommes, qui sont mortels.

que

Ce qu'il y a de certain dans la mort est un peu adouci par ce qui est incertain : c'est un indéfini dans le temps, qui tient quelque chose de l'infini et de ce qu'on appelle éternité.

Pensons que, comme nous soupirons présentement pour la florissante jeunesse qui n'est plus, et ne reviendra point, la caducité suivra, qui nous fera regretter l'âge viril où nous sommes encore, et que nous n'estimons pas assez.

L'on craint la vieillesse, , que pouvoir atteindre.

l'on n'est pas sûr de

L'on espère de vieillir, et l'on craint la vieillesse ; c'est-à-dire l'on aime la vie, et l'on fuit la mort.

C'est plus tôt fait de céder à la nature et de craindre la mort, que de faire de continuels efforts, s'armer de raisons et de réflexions, et être continuellement aux prises avec soi-même, pour ne la pas craindre.

Si de tous les hommes les uns mouroient, les autres non, ce seroit une désolante affliction que de mourir.

Une longue maladie semble être placée entre la vie et la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et à ceux qui meurent et à ceux qui restent.

A parler humainement, la mort a un bel endroit, qui est de mettre fin à la vieillesse.

La mort qui prévient la caducité arrive plus à propos que celle qui la termine.

Le regret qu'ont les hommes du mauvais emploi du temps qu'ils ont déja vécu ne les conduit pas toujours à faire de celui qui leur reste à vivre un meilleur usage.

La vie est un sommeil. Les vieillards sont ceux dont le sommeil a été plus long : ils ne commencent à se réveiller que quand il faut mourir. S'ils repassent alors sur tout le cours de leurs années, ils ne trouvent souvent ni vertus, ni actions louables qui les distinguent les uns des autres : ils confondent leurs différents âges, ils n'y voient rien qui marque assez pour mesurer le temps qu'ils ont vécu. Ils ont eu un songe confus, informe, et sans aucune suite : ils sentent néanmoins, comme ceux qui s'éveillent, qu'ils ont dormi long-temps.

Il n'y a pour l'homme que trois événements, naitre, vivre, et mourir: il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre.

Il y a un temps où la raison n'est pas encore, où l'on ne vit que par instinct à la manière des ani

maux, et dont il ne reste dans la mémoire aucun vestige. Il y a un second temps où la raison se développe, où elle est formée, et où elle pourroit agir, si elle n'étoit pas obscurcie et comme éteinte par les vices de la complexion et par un enchaînement de passions qui se succédent les unes aux autres, et conduisent jusqu'au troisième et dernier âge. La raison, alors dans sa force, devroit produire; mais elle est refroidie et ralentie par les années, par la maladie et la douleur, déconcertée ensuite par le désordre de la machine qui est dans son déclin : et ces temps néanmoins sont la vie de l'homme!

Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux, curieux, intéressés, paresseux, volages, timides, intempérants, menteurs, dissimulés; ils rient et pleurent facilement; ils ont des joies immodérées et des afflictions amères sur de très petits sujets; ils ne veulent point souffrir de mal, et aiment à en faire: ils sont déja des hommes.

Les enfants n'ont ni passé ni avenir; et, ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du présent.

Le caractère de l'enfance paroît unique; les moeurs dans cet âge sont assez les mêmes; et ce n'est qu'avec une curieuse attention qu'on en pénétre la différence: elle augmente avec la raison, parceque avec celle-ci croissent les passions et les vices, qui seuls rendent les hommes si dissemblables entre eux, et si contraires à eux-mêmes.

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